Stage-festival DARC de Châteauroux, dans les coulisses d’un stage pas comme les autres
Acronyme de Danse, Art, Rythme, Culture, DARC est un stage de danse qui propose 10 jours de cours de danse dans 24 disciplines différentes, suivis de trois journées de répétition en vue du spectacle final. Mais DARC c’est aussi un festival de musique dont la programmation éclectique mêle artistes reconnus (Black M, Bénabar) et jeunes talents (Collectif 13, La Poussée d’Archimède), un festival backstage qui propose une initiation à la régie d’un festival, des actions dans les quartiers de Châteauroux (cours de hip-hop et percussions) et des concerts dans huit communes rurales du département de l’Indre – DARC au pays. L’édition 2015 qui a eu lieu du 9 au 21 août, plongée en coulisses d’un stage de danse pas tout à fait comme les autres, qui vient de fêter ses 40 ans.
Jour 1 – Arrivée des stagiaires et début des cours
Arrivée – Effervescence, excitation et enthousiasme sont les maîtres mots de cette journée de lancement. Les 600 stagiaires, venus de 30 pays différents, sont à l’image du stage : dynamiques, motivé-e-s, métissé-e-s et animé-e-s par la passion de la danse. Leurs signes distinctifs : un bracelet autour du poignet, le T-shirt et le sac au logo de DARC distribués à l’arrivée. Une fois équipé-e-s, munis du programme des cours de la semaine, ils pénètrent dans l’univers DARC, un peu déroutés pour certains (environ 50% des stagiaires sont là pour la première fois), à l’aise comme à la maison pour les habitué-e-s des lieux. Dispersée pendant l’année aux quatre coins du monde, la grande famille DARC se retrouve aussi avec une joie communicative. À la cafèt, dans les allées de Belle-Isle, les accolades et embrassades entre profs, organisateur-rice-s et habitué-e-s ne manquent pas.
Dans les cours de DARC et dans les allées de Belle-Isle, son visage est familier. Malgré tout, Jacqueline est discrète et n’aime pas parler d’elle. Pourtant, elle est passionnante. Jacqueline était là au premier stage DARC, en 1975. Elle a même fait les dix premiers. Elle est à nouveau là pour le 40è, et pas dans les coulisses : elle fait les cours de barre à terre et de classique de niveau avancé ! « Au début, il y avait une centaine de stagiaires et six disciplines : classique, modern’jazz, contemporain, claquettes, expression corporelle et mime« , raconte-t-elle. « Le festival n’existait pas. Le soir, place Voltaire, les stagiaires montaient sur scène pour présenter les cours. Mais les fondamentaux étaient déjà présents : le spectacle final thématique et avec les tableaux enchainés, les disciplines principales, la qualité des enseignants et la dimension internationale« .
Au fil des années, certaines disciplines ont été supprimées comme le cirque. D’autres ont fait leur apparition, comme le ragga jam enseigné par Audrey Bosc (professeure au Studio Harmonic) et la danse indienne, enseignée par Alokapari, Castelroussine (formée en modern’jazz par Nadia Coulon et tombée amoureuse de la culture indienne).
14h – Tous les stagiaires se dirigent vers le grand gymnase de Belle-Isle. Un accueil chaleureux leur est réservé par l’équipe de DARC, le maire de Châteauroux Gil Avérous, et le directeur du stage-festival Eric Bellet. Les 35 professeur-e-s sont accueillis avec applaudissements, acclamations et ovations. Tous et toutes sont en effet des références dans leur domaine, certain-e-s bénéficient d’une renommée internationale : Bruno Agati en modern’jazz, Rudy Bryans et Isabelle Riddez en danse classique, Béatrice Legendre-Choukroun en barre à terre, Martine Harmel et Larrio Ekson en danse contemporaine, Fabrice Martinen claquettes… Un regret cependant : les stagiaires apprennent avec tristesse l’absence d’Anne-Marie Porras, professeure de modern’jazz, fondatrice de la compagnie Epsedanse à Montpellier et figure incontournable de DARC. Elle est remplacée par Didier Barbe, dit Didou, un de ses anciens élèves et assistant, aujourd’hui professeur et chorégraphe à Epsedanse.
Lancement – Après les remerciements d’usage aux nombreux soutiens et partenaires du stage, Eric Bellet lance le coup d’envoi du 40 è stage-festival DARC sous les hourras déchainés des stagiaires impatient-e-s de se lancer dans l’aventure ! Les cours peuvent commencer. Les stagiaires se dispersent dans l’effervescence, après avoir élaboré le programme de cette première journée, composée de 5 sessions 55 minutes chacune. L’occasion pour chacun de tester les cours et les niveaux afin de bien mettre au point le programme de la semaine.
DARC, 40 ans d’histoire
Nadia Coulon, professeure de modern’jazz à l’école de danse DARC, est la cofondatrice du stage DARC avec Nicole Ivars et Max Ploquin. Pour elle, si le stage d’aujourd’hui plaît tant aux stagiaires, c’est que l’idée de départ est fondée sur l’expérience de deux jeunes danseuses, qui constatent le cloisonnement des disciplines dans les stages de danse de l’époque. Nadia et Nicole décident donc de monter leur propre stage, avec le rêve d’en faire un lieu multidisciplinaire et dynamique, à l’américaine, sur le modèle de FAME. Elles se lancent avec l’enthousiasme et la détermination de la jeunesse, pour qui rien n’est impossible. Le duo a la chance de bénéficier du soutien financier et de l’entregent de Max Ploquin, médecin aisé, qui a des relations parmi les élus et désire soutenir les arts. Un peu de sponsoring leur permet de payer les supports de communication. A partir d’un listing de 5. 000 personnes, elles envoient des tracts, écrivant à la main les 5 000 adresses et tamponnant elles-mêmes les enveloppes.
Le maire de Châteauroux de l’époque, Daniel Bernardet, accepte de leur mettre à disposition des équipements : la salle des fêtes, la MJC Belle-Isle et le gymnase, qui abritent encore aujourd’hui les cours de DARC. Il n’attribue pas de financements : les deux amies doivent d’abord faire leurs preuves. Et le succès est là. D’année en année, le stage prend de l’ampleur : le nombre des stagiaires augmente rapidement, ainsi que celui des professeur-e-s et des disciplines, jusqu’à arriver en 2015 aux 24 disciplines et 600 stagiaires. L’idée du festival est quant à elle née de l’envie d’occuper les stagiaires le soir, dans une ville peu animée au mois d’août. Surtout d’aller vers les gens, d’ouvrir le stage sur l’extérieur. Des carnavals furent organisés dans la rue avec des défilés sur des chars, des présentations des cours de danse et de petits concerts présentant des artistes locaux eurent lieu en ville.
Nadia Coulon aime ce que le stage est devenu car il conserve l’ambiance familiale des débuts et reste accessible à tous. Néanmoins, elle regrette le côté « usine », lié au nombre d’élèves dans certains cours, qui témoigne certes du succès du stage mais peut nuire à la qualité du travail. Elle aimerait aussi qu’un peu de renouvellement ait lieu parmi les professeurs, afin que l’on puisse revenir à DARC sans se dire que rien n’a changé : un peu de sang neuf pourrait donner un nouvel élan. Depuis 2013, Nadia Coulon a quitté l’aventure DARC, à la fois en tant qu’organisatrice que professeure. Des regrets ? Non, c’est une page qui se tourne. Elle se concentre sur l’école de danse DARC dont elle est responsable pédagogique, et sur la compagnie Made in Jazz qu’elle a créée avec Mylène Riou. Tout ce qu’elle souhaite, c’est que son rôle dans la fondation de DARC ne soit pas oublié. En venant assister au cours de son ami Angelo Monaco, elle reçoit un beau cadeau : deux jeunes stagiaires, qui ne l’ont pourtant pas connue en tant que professeure, l’ont remerciée d’avoir créé ce stage où elles prennent tant de plaisir.
Jour 2 – Découverte des cours, premiers plaisirs sur le plancher, premières douleurs
Le deuxième jour est celui de tous les enthousiasmes… et de tous les excès ! Le programme des cours est si alléchant que certains ont les yeux plus gros que le ventre. Pourquoi choisir quand on peut cumuler et accumuler les heures de danse ? Mais attention, le corps risque de ne pas tenir le rythme. Les premières courbatures, bleus et douleurs apparaissent, d’autant plus que certain-e-s, pour des raisons de conflits horaires ou de méconnaissance des niveaux, se retrouvent parfois dans des cours trop difficiles pour eux.
Les niveaux moyens sont généralement les plus fréquentés. L’affluence dans les cours de modern’jazz d’Angelo Monaco en témoigne. Le cours de Ragga Jam, danse d’origine afro-jamaïcaine enrichie de mouvements de hip-hop, connaît également un immense succès : le parquet est plein à craquer. Le classique n’est pas en reste : il ne reste plus beaucoup de place à la barre dans les cours de Rudy Bryans et d’Isabelle Riddez.
Jeunes danseurs classiques pré-professionnels y côtoient des danseurs spécialisés dans d’autres disciplines qui ne pratiquent pas la danse classique de manière régulière et des amateurs. Cette diversité se retrouve de manière plus marquante encore au cours d’initiation qui permet à des danseur-se-s de tous horizons de découvrir la danse classique. C’est ce qu’explique Isabelle Riddez, professeur de danse classique au CNSMDP et qui enseigne au stage DARC depuis 25 ans : « Le cours d’initiation est particulièrement intéressant car il permet de faire connaître la danse classique à tou-te-s et la rapidité des progrès est spectaculaire« .
Au cours avancé, on peut rencontrer de discrètes célébrités. Ainsi, Margaux de Meulemeester, 23 ans, formée à l’école Jazzy free, a été lauréate de nombreux concours internationaux. Elle a même été Quadrille au Ballet de l’Opéra de Paris pendant quelques mois. Mais ça elle n’aime pas le dire. Par modestie. Ou par envie de ne pas se faire remarquer. Elle est aujourd’hui soliste dans la Compagnie JCDM, fondée par sa mère Sandrine de Meulemeester. Elle est venue à DARC avec trois amies, également danseuses dans la Compagnie, Anaïs, Jessica et Mathilde. Leurs projets ? Rester dans la compagnie, et continuer à danser ensemble !
Au fil de la journée, les cours se succèdent et certain-e-s ne quittent pas les tapis de danse, enchainant parfois 2 ou 3 cours de niveau avancé. Le corps souffre mais le plaisir se lit sur les visages, émerveillés de découvrir autant de professeur-e-s exceptionnel-le-s et de disciplines différentes. Les choix se précisent, des coups de cœur ont lieu pour certains styles de danse ou personnalité de profs.
Isabelle Riddez : DARC, un « moment de vie »
Née au Canada, Isabelle Riddez a mené une carrière internationale. Formée par des maîtres comme Eric Hyrst, Solange Golovine, Violette Verdy et Raymond Franchetti, elle a poursuivi une double carrière de soliste et maîtresse de ballet en France et à l’étranger, notamment au Boston Ballet, à la Compagnie des Ballets du Nord et au Landestheater de Salzburg. Elle devient professeur au CNSMDP en 1999 et enseigne dans de nombreux stages internationaux.
Isabelle Riddez est arrivée à DARC par hasard, il y a 25 ans, lorsqu’elle fut appelée pour remplacer au pied levé Solange Golovine. Elle y est restée par amour. Amour du stage en lui-même, de ce qu’il représente et de ses spécificités, amour des « visages chers » – professeurs, équipe du stage, élèves – qu’elle y retrouve, et amour qu’elle a trouvé en la personne de son ancien compagnon, musicien rencontré au stage. « DARC est une belle aventure professionnelle et humaine », explique Isabelle Riddez. « On y rencontre des professionnels de haut niveau et un lien fraternel s’est créé entre les professeurs, qui se retrouvent chaque année comme dans une grande famille ».
Si Isabelle Riddez enseigne dans de nombreux autres stages, comme le stage Theilaïa à Lyon, DARC occupe ainsi une place à part dans son cœur. Elle en loue l’organisation, salue le travail des bénévoles, apprécie la mixité des élèves, la bonne humeur alliée au travail intense, la qualité d’écoute et de concentration des stagiaires. La durée du stage – 10 jours de cours- permet un travail en profondeur, une réelle progression à partir du niveau initial de chacun et une continuité qui permet d’entrer dans la technique et l’esprit du professeur.
Jour 3 – Un travail intense
Le temps de la découverte est terminé. Le travail s’intensifie à DARC, au rythme des échappés, pliés, pas-de-bourrés et autres entrechats. Les corps fatiguent, certain-e-s préfèrent abandonner certains cours pour se concentrer sur d’autres, mais la détermination et le plaisir n’ont pas faiblis. On entre dans le cœur du travail réalisé par les professeurs. « On est des danseurs, pas des sportifs« , assène Rudy Bryans. La performance physique, l’exactitude des pas ne suffisent pas : il faut y ajouter un supplément d’âme, une intention, une respiration, qui d’un coup, font jaillir la beauté et l’émotion, l’art.
Le travail chorégraphique pour le spectacle a déjà commencé chez Christopher Huggins. Le professeur américain de modern’ Jazz aux talents de showman, ancien danseur chez Alvin Ailey, a transformé son cours supérieur en un workshop où il propose aux élèves de travailler sur une œuvre de son répertoire personnel, Coming out, sur une musique de Steve Reich. C’est un réel privilège pour les stagiaires de bénéficier de ce travail de compagnie avec un professeur qui a chorégraphié pour la Ailey School mais aussi pour la Duke Ellington High School à Washington et la Eleone Dance Company à Philadelphie.
Christopher Huggins accepte tous les élèves, même si certain-e-s qui prennent le cours avancé auraient davantage leur place en intermédiaire. Lui aussi, jeune danseur, a pris des cours trop durs pour lui. Mais « Danser, c’est essayer« , c’est comme ça qu’on progresse. Christopher reste toutefois très vigilant à ce que personne ne se blesse : le placement est essentiel, il faut comprendre comment le corps fonctionne. Comprendre ce que l’on fait, c’est le secret pour durer. Pour devenir pro, la danse doit être une passion, quelque chose de nécessaire, de vital. « It is something that you must do, not you have to, you MUST« , assène Christopher Huggins.
Jour 4 – Un-e stagiaire, des stagiaires
L’une des richesses principales du stage réside dans la diversité des profils des stagiaires. Certain-e-s, comme Romane, 19 ans, élève au conservatoire de Reims en contemporain, viennent pour tester de nouvelles disciplines. Outre le classique et le contemporain, Romane a décidé pour son deuxième DARC d’innover et essaie le rock acrobatique et la capoeira. D’autres, comme Pierre, 16 ans, qui vient d’être reçu au CNSMDP, abordent le stage dans une optique plus professionnalisante. Pierre enchaine les cours avancés de modern’jazz et de contemporain, il veut préparer au mieux sa rentrée au CNSM et se mettre en condition physique après la rupture de l’été. Il a fait également la connaissance d’Isabelle Riddez qui sera son professeur de danse classique au CNSM.
Mais le stage DARC ne s’adresse pas seulement à de jeunes danseur-se-s professionnel-le-s ou semi-professionnel-les. Tous les âges et tous les profils s’y côtoient.
Florence, 45 ans, est professeure de modern’jazz à Cholet et connaît le stage depuis 30 ans. Elle a fait son premier DARC à 16 ans et revient régulièrement depuis car « On ne s’ennuie jamais à DARC !« , s’exclame-t-elle. Elle retrouve les professeurs qu’elle aime – Angelo Monaco en modern’jazz, Isabelle Riddez en classique et Martine Harmel en contemporain – et découvre de nouvelles disciplines comme l’analyse du mouvement enseigné par Térésa Salerno. C’est tout l’intérêt de la formule cours illimités : elle donne une totale liberté aux stagiaires de sortir des sentiers battus, de s’ouvrir à de nouveaux univers. En tant que professeur-e, le stage permet de se remettre en question, de se mettre à la place de l’élève et d’expérimenter de nouveaux chemins pédagogiques. Florence se souvient aussi avec émotion des anciens professeurs, aujourd’hui disparus, qui ont marqué l’histoire de DARC : Robert-José Pomper en modern’jazz, chorégraphe à la Batsheva Company, Eneida Castroen afro-brésilien accompagnée aux percussions par son époux Nilton Castro, ou encore Christiane Legrand, la sœur de Michel Legrand, en chant.
Certain-e-s stagiaires n’ont jamais été danseur-se-s. Ce sont simplement des passionné-e-s, abonné-e-s au Théâtre de la Ville ou au Théâtre de Chaillot où elles ne ratent aucun spectacle. Sophie et Valérie ont ainsi laissé maris et enfants pendant une semaine et sont venues à DARC entre copines, après avoir lu un article consacré au stage. Elles pratiquent la danse – contemporain et danse africaine – en amateures, au Centre de danse du Marais. Elles adorent la plongée dans ce bain de danse pendant une semaine, l’intensité du travail, la complémentarité des disciplines. Valérie n’a pas froid aux yeux : elle enchaine les cours de 9h à 19h, notamment le ragga jam avec Audrey Bosc, la danse africaine avec Louis-Pierre Yonsian, le modern’jazz avec Angelo Monaco et le classique initiation avec Isabelle Riddez. Tous ces professeur-e-s lui apportent énormément de par leurs grandes qualités pédagogiques mais son coup de cœur est pour Angelo Monaco, qui a un « désir de porter haut la danse« .
En 2015, le cours de Christopher Huggins est particulièrement représentatif de ce cosmopolitisme essentiel à l’esprit de DARC. Parmi les élèves de son cours avancé, il y a six Italiens, trois jeunes japonaises, un groupe de danseuses grecques et une élève Russe. Sabina, bientôt 26 ans, vient de Vladivostok, à l’extrême Est de la Russie. Elle vit actuellement à Genève où elle est danseuse, professeure et chorégraphe. Elle a entendu parler du stage par la directrice de Dansons comme Noureev, l’école où elle enseigne. Elle est venue pour se perfectionner en tant que danseuse mais aussi apprendre de nouvelles techniques d’enseignement et essayer de nouvelles disciplines. Parmi les différents cours qu’elle suit, elle aime particulièrement ceux de Christopher Huggins et d’Alokapari, la professeure de danse indienne, dont elle apprécie la personnalité ouverte et positive.
Jour 5 – Canicule sur Châteauroux
Alerte canicule ! La chaleur est écrasante à Châteauroux et la température monte encore d’un cran dans les gymnases et les tentes surchauffées. Cette ambiance caliente correspond bien au cours de salsa cubaine d’Aniurka Balanzo et Antoine Joly. « Les filles, vous êtes belles, vous êtes des fleurs !« , répète Aniurka Balanzo, qui apprend avec une grâce et un naturel désopilants aux danseuses à quitter leur raideur classique, à « bouger les popos » et onduler les épaules. « Ça gratte dans le dos, aïe, aïe aïe !« . Une fois les bases consolidées, les élèves peuvent danser en couples et former une rueda. Les garçons suivent les indications d’Antoine Joly qui annonce des enchainements du type « dile que no« , « cortico« , « hecho« , « sacala« , au son de groupes cubains à la mode comme El Nino et Maikel Blanco.
Pour Aniurka Balanzo et Antoine Joly, enseigner la salsa, c’est faire partager la culture cubaine, inhérente à cette danse. La salsa cubaine est une danse populaire, à la portée de n’importe qui. « À Cuba, on dit que quand on sait marcher, on sait danser« , répète Antoine Joly pour mettre en confiance les élèves. Mais encore faut-il adopter l’attitude propre à cette danse : marteler le sol de ses pieds, qui sont les percussions du salsero, et « fleurir la danse« . L’amour de la danse, la joie de vivre et l’humour d’Aniurka et Antoine sont communicatifs. Mais ils sont également des professeurs rigoureux et exigeants : la salsa est une danse comme une autre, aussi difficile à bien danser, en dépit d’une apparente simplicité. Pour venir au cours avancé, il est indispensable d’avoir déjà dansé la salsa, et Aniurka et Antoine sont vigilants à ce que tout le monde soit capable de suivre le cours. Si vous ne maîtrisez pas les bases, vous serez priés de retourner au cours débutant.
Les journées des stagiaires sont longues, et elle s’arrêtent pas avec les cours à DARC. Avec le début du festival, la musique a pris possession des rues de Châteauroux. Il est possible d’aller voir un petit concert intimiste donné par le groupe Victoria à l’Elysée Hôtel, avant d’aller faire un tour place Voltaire pour écouter le concert gratuit du soir. La danse n’est bien sûr pas en reste. La salsa sort de l’enceinte de Belle-Isle et s’invite dans Châteauroux : Aniurka et Antoine assurent deux animations salsa place Monestier, à l’issue de la journée de stage. Cela permet aux stagiaires d’aller à la rencontre des habitants qui peuvent s’initier à cette danse, et apporte un peu du soleil de Cuba en plein cœur du Berry.
Rencontre avec Eric Bellet, directeur du stage-festival DARC
Comment êtes-vous arrivé à DARC et quel est votre rôle actuellement ?
J’ai commencé à DARC comme bénévole : je récoltais les tickets repas, transportais les stagiaires… J’ai découvert la danse via ma petite amie de l’époque, qui était danseuse et cousine de Nadia Coulon. Je connaissais Max Ploquin qui était médecin dans le village où vivaient mes parents. Il n’y a pas de hasard dans la vie. Mon rôle actuel est d’être directeur artistique du stage-festival DARC. C’est-à-dire que je suis en charge de l’organisation de la manifestation dans son ensemble, y compris DARC au pays, le stage backstage, le festival.
Quel est le budget de la manifestation ?
Le budget de la manifestation dans son ensemble est d’1,2 M€, financé à 50% par des recettes propres et à 50% par des subventions. Le développement du mécénat est fondamental. On sait très bien que les collectivités diminuent leurs aides financières et qu’un nombre important de festivals ont disparu. Je me bats politiquement pour que les collectivités ne réduisent pas leur aide à la culture. C’est fondamental que dans des moments difficiles, les collectivités injectent de l’argent dans la culture. La subvention de DARC a diminué de 16.000€ cette année. Il a fallu trouver d’autres solutions, sans augmenter les tarifs. J’ai maintenu ainsi le prix du stage : 450€ avec nombre de cours illimités. J’ai cherché des partenaires : ERDF, Banque Populaire, Astronics, Orange. Ces partenaires ont été fidélisés depuis plusieurs années et c’est bien parce qu’on a tenu nos engagements.
DARC n’est pas seulement un stage de danse. Quelle est l’ambition de la manifestation en termes de développement de l’attractivité du territoire ?
L’attractivité du territoire s’exprime de plusieurs manières : quand il y a 31 nationalités présentes au stage, on peut parler d’attractivité du territoire. A l’échelle du département de l’Indre, avec l’opération DARC au pays, on intéresse toutes les communes du département au stage-festival international. On n’invente rien : on réoccupe la place du village, tout simplement. À 18h30, on vient avec les artistes et les communes fournissent le repas de la convivialité à midi et le soir.
Comment fait-on venir autant de nationalités à DARC ?
Les professeur-e-s sont des ambassadeurs du stage. Lorsque Christopher Huggins va faire un stage au Japon, il est évident qu’il devient aussi ambassadeur du stage de Châteauroux. Et il y a aussi le programme CultureLab2. On fait partie des sessions retenues. On est annoncé dans toutes les ambassades de France, par le biais de l’Institut français.
Combien de personnes travaillent à l’organisation du stage-festival ?
Deux ! Moi-même, directeur du stage et Véronique Touzin, secrétaire. C’est ce qui est assez incroyable.
Et les bénévoles ?
Les bénévoles n’arrivent qu’à partir du mois de juillet. La création et l’organisation de cette manifestation ne se font que par deux personnes. Il y a une centaine de bénévoles dont 50% travaillent sur le stage et 50% sur le festival. Ils s’occupent de la restauration (cafétéria), de la surveillance des salles. Par contre, tout ce qui est son/lumières et montage du chapiteau est assuré par des professionnels, intermittents du spectacle ou prestations de service.
Quelles évolutions envisagez-vous pour le stage DARC dans les prochaines années ?
Tout est prévu pour que les stagiaires puissent travailler de 9h à 19h. On réfléchit en permanence à comment améliorer le quotidien des stagiaires. Par exemple, on a instauré un système de dépôt de linge. C’est plein de petits détails comme ça pour faciliter à 100% la vie du stagiaire. Après il y a des questions qui se posent : faut-il introduire des masterclasses ? Peut-on ajouter un chapiteau supplémentaire, une discipline ? Cela ne peut se faire qu’après étude de la situation financière en septembre.
L’arrivée de nouvelles disciplines ou de nouveaux professeurs n’est donc pas à l’ordre du jour ?
On arrive à une occupation maximale des salles. C’est l’unique raison pour laquelle on n’introduit pas de nouvelles disciplines. En ce qui concerne les professeur-e-s, je ne peux pas vous dire pour le moment. Une analyse est faite en septembre : c’est là que je prendrai les décisions qui s’imposent sur le nombre de disciplines et le choix des professeurs. Il faut laisser un peu de temps pour faire descendre la température et prendre les décisions à froid.
Quelle est votre plus belle réussite à DARC ?
La réussite c’est surtout par rapport aux autres. Il y a des stagiaires qui sont devenu-e-s professionnel-le-s, aussi des professeurs qui se sont rencontrés sur le lieu du stage et qui, dans leurs créations, travaillent ensemble. On est là pour aider, donner le coup de pouce nécessaire à un jeune pour partir dans une compagnie ou rencontrer un chorégraphe ou un professeur. C’est aussi l’un des buts de la manifestation.
Il y a donc une double vocation éducation populaire et professionnalisation ?
Oui bien sûr. Pendant le stage, une dame, venue avec moi dans une émission de radio, qui n’est pas danseuse et a un physique un peu fort, m’a confié que l’intérêt pour elle de participer à la manifestation c’est de ne pas se sentir regardée. Elle est dans le stage, elle est heureuse, elle se sent bien. Et ça c’est essentiel.
Jour 6 : Dernier effort avant le repos du samedi
A DARC, le jour chômé est le samedi. Le dernier jour de la semaine, vendredi donc, la fatigue se fait sentir, avec l’accumulation des cours, la lassitude du corps et le manque de sommeil pour certain-e-s, entre les sorties concert au festival, la pluie au camping ou l’agitation à l’hébergement collectif. Le travail d’étirement et de préparation corporelle réalisé au cours de barre à terre est d’autant plus indispensable pour éviter les blessures.
Béatrice Legendre-Choukroun, professeure au conservatoire du 9è arrondissement de Paris et enseignante de barre à terre à DARC depuis près de 10 ans. Les exercices qu’elle propose dans deux niveaux de cours – débutant et avancé – sont le fruit d’une réflexion sur les besoins du-de la danseur-se, fondée sur sa propre expérience d’interprète. Elle a mis au point une technique propre, inspirée de sa pratique du pilate et du karaté. Le cours de barre à terre s’adresse à tous et toutes, danseur-se- ou non, classique ou non.
En début de stage, Béatrice Legendre-Choukroun voit « des corps en vrac« . C’est ensuite comme un jeu de puzzle, il faut remettre les pièces dans le bon ordre. Après plusieurs jours d’exercices, les progrès sont visibles : les corps sont mieux placés, plus souples, plus dynamiques, l’en-dehors et l’ouverture s’améliorent, les jambes s’allongent. Toutes les parties du corps, sans exception, sont sollicitées. De tels résultats nécessitent une réelle assiduité. Et les douleurs musculaires ne doivent pas être un argument pour ne pas venir, bien au contraire.
Béatrice Legendre-Choukroun, et son époux Laurent Choukroun (pianiste et chef de chant à l’Ecole de danse de l’Opéra de Paris, compositeur de nombreux CD de musique de cours de danse) ont le projet de réaliser un DVD de barre à terre, avec les exercices mis au point et expliqués par Béatrice.
Trois questions à Laurent Choukroun, accompagnateur des cours de danse classique au DARC et chef de chant à l’Ecole de Danse de l’Opéra de Paris
En quoi consiste le métier de chef de chant ?
En tant que chef de chant attitré à l’Ecole de danse de l’Opéra de Paris, j’assure les répétitions au piano et suis chargé de mettre en relation le chorégraphe et le chef d’orchestre. Concrètement, je regarde la proposition du professeur de danse et la traduit musicalement. Accompagner la danse, c’est faire une interprétation musicale du mouvement. Cela implique de comprendre le mouvement, et suppose une connaissance parfaite de la danse.
Comment avez-vous débuté dans ce métier ?
J’ai fait mes débuts en tant que pianiste lyrique au Capitole de Toulouse. C’est là que j’ai commencé à travailler avec des danseur-se-s. Je suis tombé amoureux du métier, avant de tomber amoureux d’une danseuse ! J’ai ensuite été engagé à l’Opéra de Paris à l’époque de Rudolph Noureev, il y a 25 ans de cela. J’ai eu la chance de travailler avec les plus grands, comme Serge Golovine, Violette Verdi…
Comment et quand êtes-vous arrivé à DARC ?
Je viens au stage DARC depuis 20 ans environ. Le milieu des pianistes accompagnateurs est assez restreint et j’ai été invité.
Jours 11 et 12 – Répétitions pour le spectacle
Le mardi soir marque la fin des cours. Tous les stagiaires ont rendez-vous dans le grand gymnase pour assister à une petite représentation réalisée par le groupe de jeunes de Châteauroux, qui bénéficient de cours de hip-hop gratuits.
Planning – Puis le moment tant attendu arrive : la distribution du planning des répétitions. Les 600 stagiaires se précipitent sur les bénévoles chargés de la distribution, vers qui des centaines de mains se tendent en même temps. La joie ou la déception se lisent sur les visages : certaines répétitions ayant lieu à la même heure, l’emploi du temps détermine dans combien de disciplines les stagiaires pourront participer au spectacle. Certain-e-s parviennent quand même à cumuler les répétitions, en négociant avec leurs professeur-e-s d’arriver en milieu de répétition. C’est le cas de Sabina, de Vladivostok, pour qui le hasard du planning fait mal les choses : les répétitions des trois disciplines dans lesquelles elle veut danser (modern’jazz, danse indienne et capoeira) ont lieu en même temps, de 9 à 12h. Ses qualités de danseuse et son habitude de la scène lui ont permis d’obtenir l’indulgence des professeur-e-s et finalement elle pourra participer aux trois spectacles. D’autres, comme Chris, sont plus chanceux : il pourra combiner sans trop de difficulté les répétitions de Christopher et Angelo en modern’jazz et de Dominique Lisette en hip-hop.
6 heures de répétition – Mercredi et jeudi sont des jours consacrés aux répétitions. Les professeur-e-s disposent en tout et pour tout de six heures de répétitions avec leurs élèves pour monter un spectacle, qui, sans être parfait, doit être harmonieux et fini. Attention, sérieux et réactivité sont attendus des stagiaires devenus à présent des danseur-se-s. Le niveau d’exigence des professeur-e-s est élevé. Tous sont perfectionnistes et attendent de la précision, de la rigueur et de la musicalité.
Angelo Monaco conçoit son spectacle comme un collectif. Il ne recherche pas des solistes. Tous les élèves (et il y en a près de 200 sur scène !) dansent les chorégraphies apprises pendant les cours. En tant que chorégraphe, il est conscient que l’effet scénique aurait pu être amélioré, en diminuant le nombre de duos par exemple, mais l’important est que tous les élèves se fassent plaisir. Le spectacle n’est pas dans une optique professionnelle, il faut respecter la dimension populaire du stage et la diversité des profils des stagiaires.
Sur le thème du désordre, les idées foisonnent. Isabelle Riddez axe son travail sur l’ordre et le désordre de la nature et met en scène une forêt, symbolisée par les bras des danseur-se-s habillé-e-s de diverses nuances de vert. Malgré le peu de temps consacré aux répétitions, Isabelle Riddez ne prépare pas la chorégraphie avant le début du stage. Elle préfère d’abord appréhender le niveau des élèves.
Aniurka Balanzo & Antoine Joly choisissent le ton de l’humour, car la salsa reste une danse festive. Les élèves incarnent des paysans qui travaillent dans la bonne humeur dans un champ à Cuba, quand des guêpes font irruption et viennent perturber l’ordre établi. L’arrivée des salseros qui frappent dans leur main la clave va chasser les guêpes qui seront définitivement vaincues par une salsa endiablée.
Certain-e-s professeur-e-s choisissent aussi des thématiques plus en résonance avec l’actualité. À quelques mois de la conférence intergouvernementale sur le climat – la COP 21- Fabrice Martin (claquettes) choisit le thème de la pollution environnementale. Une image forte à retenir : la scène jonchée de bouteilles plastiques et de bouts de papier jetés par les danseur-se-s, en écho aux videos de dépotoirs projetées sur les écrans. Angelo Monaco questionne pour sa part le thème de la guerre et des grands massacres de l’histoire, en mettant en relief l’absurdité et l’absence de sens de la violence guerrière.
Filage – Dès le jeudi soir, un filage a lieu sur la scène de la place Voltaire. Le filage de la première partie commence à 21h et dure tard dans la nuit. Celui de la seconde partie commence à 9h. La nuit va être courte pour certain-e-s ! Il faut pourtant être en forme pour la journée du vendredi.
Jour 13 – The show must go on
En ce dernier jour de stage, l’emploi du temps des stagiaires ressemble à un véritable emploi du temps d’artiste : filage à 9h, générale à 14h15 et spectacle à 20h45.
Ça fourmille dans les coulisses, ça court, ça s’interpelle, ça se bouscule autour des miroirs pour se coiffer et se maquiller. L’excitation de monter sur la grande scène de la place Voltaire s’empare de tout ce petit monde. Malgré le peu de répétitions et le nombre des danseur-se-s sur scène (allant jusqu’à près de 200 dans certaines disciplines !), le résultat est étonnant. Michel Lopez, le metteur en scène du spectacle, est satisfait : les professeur-e-s se sont emparés du thème avec brio et le résultat est à la hauteur des espérances. L’implication des stagiaires est totale.
Certain-e-s élèves réalisent un véritable parcours du combattant, enchainant les numéros. Sabina, notre danseuse russe, apparaîtra sur scène dans quatre numéros : danse indienne, ragga jam, modern’jazz et capoeira. Au filage, chaque professeur-e a droit à deux passages : un placement des élèves sur scène, puis une répétition du ballet. A la générale, en revanche, tout s’enchaine comme au spectacle. Il faut être très attentif aux ordres de passage, anticiper le moment où il faut se préparer, se placer dans les coulisses. L’équipe backstage est très pro et apporte une aide précieuse pour assurer le bon déroulement du spectacle, dans l’ordre et le calme.
La générale se termine vers 18h et les stagiaires disposent de moins de 2h pour se restaurer, se reposer et se préparer pour le grand spectacle final. À 20h, la file d’attente pour assister au spectacle s’allonge. Beaucoup de parents, amis, petits copains viennent spécialement à Châteauroux pour encourager leurs proches. La salle est comble. Presque autant que pour Black M, s’amusent les stagiaires ! Côté coulisses, l’excitation monte. Lorsque le rideau s’ouvre, des cris fusent : le 40è spectacle de DARC est lancé.
Les numéros s’enchainent. Les stagiaires descendent de scène les yeux brillants. La fatigue, le stress, les petites erreurs, les douleurs sont oubliés. Tout ce qui reste, c’est le plaisir immense d’être sur scène, devant un public enthousiaste, de faire partie d’un ensemble, de sentir le groupe respirer, se mouvoir comme un seul corps.
Une fois le noir tombé sur les danseur-se-s de Christopher Huggins qui ont eu le privilège de clore le show, tous les interprètes reviennent sur scène. Les professeur-e-s sont appelé-e-s un à un, sous les hourras des stagiaires. Louis-Pierre Yonsian s’empare du micro et emmène avec lui public et danseur-e-s, avec ses célèbres « Ahaa » et ses adresses au public : « Est-ce que vous êtes fatigués ?« . Les stagiaires s’époumonent : « On n’est pas fatigués !« . Ils pourraient ajouter « Et on n’a pas envie de descendre de scène« . Le plancher vibre sous les battements de pied, les applaudissements et les hurlements de joie. Ce n’est qu’à regret que chacun-e regagne les coulisses, triste de voir s’achever cette 40è édition du stage-festival DARC qui, encore une fois, a été à la hauteur des attentes, aussi bien des stagiaires, que du public et des organisateurs.
Mais il est encore temps de faire la fête : un dernier repas est prévu pour les stagiaires et les professeur-e-s dans la salle des fêtes de Belle-Isle, suivi d’une soirée dansante. L’occasion de se défouler, de se dire au revoir … et de se donner rendez-vous pour l’année prochaine !