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Une soirée au Manège de Reims – Malika Djardi et SINE QUA NON ART

Nommé récemment à la tête du Manège de Reims, Bruno Lobé et son équipe inaugurent en cette rentrée un festival dédié à l’art chorégraphique : Born to be a live. Amené à se développer dans les années à venir, il s’étale pour cette première saison sur quatre jours, présente les travaux de quatre jeunes chorégraphes et accueille trois premières mondiales, toutes des coproductions. Et puisque son nom, inspiré du célèbre titre de Patrick Hernandez, évoque une période de tous les possibles mais aussi des dancefloors enfiévrés, deux des soirées se terminent par une fiesta mise en musique par la DJ Barbara Butch. C’est dans ce cadre qu’étaient présentés Horion de Malika Djardi et Donne-moi quelque chose qui ne meurt pas de SINE QUA NON ART. Récit d’une soirée de création et d’impertinence.

Festival Born to be a live au Manège de Reims

Festival Born to be a live au Manège de Reims

Formée aux arts plastiques, Malika Djardi a étudié la danse à Montréal avant d’intégrer le CNDC d’Angers, où elle parfait encore son apprentissage lorsqu’elle crée Love Song, sa première pièce de groupe, à la demande de Jean-Marc Adolphe. Suivent Sa Prière, solo où elle met en mouvement le destin et les questionnements de sa mère convertie à l’islam, interroge leur relation et son identité. Puis aujourd’hui Horion, duo présenté pour la première fois aux dernières Rencontres chorégraphiques internationales de Seine-Saint-Denis.

Sur la piste d’un charmant cirque XIXe, l’une des deux salles du Manège, est installé un fond blanc de studio photo, derrière lequel on devine une certaine agitation. Ça bouge, ça respire, ça gémit, ça grogne, ça s’affronte, ça s’épuise, ça s’enrage, ça se bat, ça crie. Puis un silence, quelque peu angoissant, envahit l’espace. Un drôle de couple, Adam et Ève vêtu.e.s d’académiques transparents (gracieuse feuille de vigne pour lui, délicat triangle de dentelle blanche pour elle) et chaussé.e.s de baskets, sort alors de sa cachette. Baguettes de percussion à la main, ils entament un étonnant dialogue fait de bruits de bouche. Non loin d’eux trône une batterie. Pendant près d’une heure ils s’asticotent, se bagarrent, se tuent, se pleurent, grimacent, se séduisent, s’accouplent. Ils battent la mesure de leur pieds, leurs bras, leurs cuisses, leurs bouches ou leurs baguettes, enfilent divers costumes. Humour et violence se succèdent, dans un univers toujours gentiment déjanté, foutraque.

Horion de Malika Djardi

Horion de Malika Djardi

Horion signifie « coup« . Dans sa note d’intention Malika Djardi parle de « Coup d’envoi, coup de foudre, coup de rein, de poing, de main, coup de théâtre, coup de fusil, de feu, coup dur » etc. Elle dit aussi que son duo « est une sorte d’album live dont on aurait remplacé les instruments par d’autres objets, par du geste et du corps. » Les scènes s’enchaînent donc comme autant de pistes sur un vinyle, sans qu’il soit aisé de dégager un fil conducteur. Entre étude sur le rythme, variation sur les coups, difficultés et réjouissances des rapports humains et de couple, Horion s’égare un peu à vouloir explorer trop de voies, péché de jeunesse sûrement. Il n’en reste pas moins que l’on observe la plupart du temps avec plaisir les péripéties de ses interprètes parfaitement investis, et que cette pièce donne envie de suivre de prés les prochaines étapes du parcours de la si charismatique Malika Djardi.

Programmée deux heures plus tard et présentée, elle, dans le théâtre, Donne-moi quelque chose qui ne meurt pas est l’œuvre de SINE QUA NON ART. Derrière ce nom énigmatique se cache un duo : Christophe Béranger et Jonathan Pranlas-Descours. Le premier est un ancien et brillant interprète du Ballet de Lorraine, pour lequel il crée des pièces, assiste les chorégraphes invités puis devient coordinateur artistique. Le second est diplômé d’arts plastiques et de théâtre, a étudié la danse dans l’école d’Anne Teresa de Keersmaeker P.A.R.T.S, a été l’interprète de Roméo Castellucci ou Sacha Waltz avant de rejoindre Mathilde Monnier qu’il assiste au CCN de Montpellier. Ensemble ils ont créé une compagnie et trois premiers spectacles : Topie impitoyable, Exuvie et le remarqué Des ailleurs sans lieux.

Donne moi quelque chose qui ne meurt pas de SINE QUA NON ART

Donne moi quelque chose qui ne meurt pas de SINE QUA NON ART

Donne-moi quelque chose qui ne meurt pas, leur quatrième et nouvel opus, s’ouvre sur un tableau à l’esthétique saisissante. Cinq corps presque nus sont allongés dans la pénombre sur un tapis de scène d’un noir luisant qui réfléchit leurs chairs et la nuée de lames qui les surplombe. Bougeant imperceptiblement ils se rapprochent les uns des autres, puis s’éloignent. Et tandis qui la musique électronique live s’emballe, devient assourdissante, ils entament un tonitruant et fascinant ballet de bras, très voguing. Une fois la position debout retrouvée et leurs vêtements mis, le spectacle se déroule en alternant quintets et solos (un par interprète, chacun développant un style très personnel), tandis que la centaine de couteaux, scintillants et menaçants, peu à peu s’élèvent libérant l’espace.

Depuis Christian Rizzo et son D’après une histoire vraie, les danses populaires ne cessent de s’inviter sur les plateaux contemporains. Outre le voguing, on croise dans Donne-moi quelque chose qui ne meurt pas des marches militaires ou un sirtaki qui se transforme en suite de saluts enjoués et libérateurs. Mais on retient surtout l’apparente absurdité d’un haka exécuté en chantant des comptines, Une souris verte en tête. Tandis que le rituel maori s’apaise, les interprètes entonnent et répètent à l’envi, yeux rivés vers le public, un « On dit par toute la ville que demain vous mourrez » extrait de La prison de Nantes, aussi glaçant que la kyrielle d’armes blanches qui pendent au-dessus de leurs têtes.

Comme pour Horion, on peine dans cette série de tableaux à dégager un propos clair. Recherche formelle entre singularité affirmée des solos et unisson des quintets dans un décor conçu tel une installation plastique, comme le laisse entendre la note d’intention ? Petite humanité qui par la danse et divers rituels cherche à s’unir et oublier que la mort rode ? Tension entre individualités et groupe uniformisateur ? L’impressionnant et ingénieux dispositif scénique que constitue la centaine de longs couteaux pendant des cintres ne semble de plus pas exploité à sa juste valeur. Toutefois, Donne-moi quelque chose qui ne meurt pas offre au public de beaux moments de danse et ses cinq interprètes, tous talentueux et impliqués, dégagent une vivifiante énergie.

Donne moi quelque chose qui ne meurt pas de SINE QUA NON ART

Donne moi quelque chose qui ne meurt pas de SINE QUA NON ART

 

Festival Born to be a live au Manège, scène nationale de Reims. Horion de Malika Djardi avec Nestor Garcia Diaz et Malika Djardi. Donne-moi quelque chose qui ne meurt pas de SINE QUA NON ART avec Christophe Béranger, Jorge Moré Calderon, Virginie Garcia, Francesca Ziviani et Jonathan Pranlas-Descours. Mardi 15 novembre 2016. Donne-moi quelque chose qui ne meurt pas est en tournée le 22 novembre 2016 au Pôle Sud CDC Strasbourg et les 1er et 2 février 2017 à La Coursive – Scène nationale de La Rochelle.

 

Comments (2)

  • Jean-Marc Adolphe

    Petite précision, puisque je suis cité dans l’article. Ce n’est pas tout à fait « à ma demande » que Malika Djardi a créé « Love song » en 2010. Cela s’est passé à Caen, dans le cadre de la 5ème édition du projet SKITE dont j’ai en effet été le « concepteur ». Le principe : inviter des artistes (80, à Caen), de différentes « disciplines » et origines, pendant un mois, pour se rencontrer, échanger, expérimenter, a priori sans aucune obligation de production. Dans ce cadre / non-cadre, beaucoup de choses se passent. Comme Meg Stuart, Alain Platel, Caterina Sagna, Vera Mantero, etc. (alors très peu connus) en 1992, ou encore Jérôme Bel (et bien d’autres) en 1994 à Lisbonne, j’ai eu le plaisir d’inviter Malika Djardi à Caen. Si « LoveSong » peut être considéré comme première « pièce de groupe », c’est qu’en effet le projet SKITE permet(tait), sans avoir à porter d’emblée la responsabilité d’une compagnie et d’une « production », de tester de telles aventures. (Jean-Marc Adolphe)

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