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Rencontre avec Lauren Anderson, pédagogue, première Étoile afro-­américaine du Houston Ballet

Née à Houston, au Texas, Lauren Anderson a fait toute sa carrière au Houston Ballet. En 1990, elle devient même la première Principal afro-américaine de cette compagnie, dansant tous les grands rôles du répertoire.

Après ses adieux à la scène en 2006, Lauren Anderson est aujourd’hui pédagogue. Elle vient en France du 15 au 22 mars pour donner des master-classes au conservatoire de Grigny, au Centre chorégraphique national de Nancy, dans les conservatoires de Paris, au Conservatoire de Rambouillet et au CRR de Boulogne-Billancourt (événement organisé en collaboration avec la Société Auguste Vestris, le Centre de danse du Marais et le Houston  Ballet).

À cette occasion, rencontre avec Lauren Anderson, qui évoque sa vision de l’apprentissage de la danse et les difficultés des danseurs et danseuses de couleur à se faire une place dans le monde du ballet.

Lauren Anderson - Le Lac des Cygnes

Lauren Anderson – Le Lac des Cygnes

 

Le public français ne vous connaît pas forcément beaucoup. Pouvez-vous retracer en quelques lignes votre carrière et vos grands rôles au Houston Ballet ?

C’est à l’âge de sept ans que j’ai commencé à étudier la danse à Houston Ballet Academy. En 1983, j’ai rejoint le corps e ballet de Houston Ballet et en 1987 je suis passée soliste. Puis, en 1990, j’ai été nommée Étoile, la première Étoile afro-américaine de la compagnie. Cette même année, je me suis présentée à l’International Ballet Competition et j’ai reçu le Prix spécial du Jury.

J’ai dansé le rôle principal dans Cendrillon, Le Lac des Cygnes, Les Sylphides et La Sylphide, La Belle au Bois Dormant, Casse-Noisette, Giselle, La Bayadère, Coppelia, Don Quichotte, Le Corsaire, le pas de deux de Diane et Actéon, Snow Maiden, Cleopatra de Ben Stevenson, Dracula et tant d’autres.

 

Vous avez été la première Étoile afro-américaine du Houston Ballet. Votre couleur de peau a-t-elle été par moment un frein à votre carrière ? Ce statut de « première Étoile afro-américaine » a-t-il été une fierté pour vous ou quelque chose d’un peu lourd à porter ?

Au contraire, je crois que ma couleur de peau était un avantage! Je n’étais pas la x-ième blonde au fin fond du corps de ballet. L’œil est attiré par ce qui est différent. On se fait remarquer ! Et si on est observé, mieux vaut être au top. Être Étoile afro-américaine est source de fierté. Ce n’est que lorsque j’ai pris ma retraite que je me suis rendue compte que peu d’Étoile de par le monde dans les grandes compagnies me ressemblaient. Lorsque j’étais encore sur scène, le monde tournait autour de moi-même. Le monde de la danse est petit et je savais ce qui se passait. Je me suis dit que sans doute ces danseurs et danseuses de couleur n’avaient que peu de couverture de presse. Puis j’ai réalisé qu’il n’y en avait en fait pas du tout.

Quelle que soit sa couleur de peau, “Lourde est la couronne à celui qui doive la porter”… Et parfois la couronne semble plus lourde à porter encore…

 

Vous venez en France pour quelques master-classes. Quand est venue chez vous cette vocation de pédagogue ? Pouvez-vous nous raconter votre parcours en tant que professeure ?

J’ai eu comme professeur l’un des meilleurs du monde, Ben Stevenson. Il a su prendre quelqu’un avec mon physique, transmettre à la fois la technique et l’artistique et faire de moi une ballerine. Mon rêve serait de devenir une telle enseignante ! Dès 1987, on m’a demandé d’enseigner lors du stage d’état de Houston Ballet Academy, où les danseurs de la compagnie enseignaient souvent. Depuis, j’enseigne partout aux USA.

 

Vous enseignez aussi bien à des élèves se destinant à une carrière qu’à des enfants amateurs. Quels sont les points communs de votre pédagogie pour ces deux types d’élèves ?

Les deux catégories doivent se sentir à l’aise tant avec eux-mêmes qu’avec le pas à exécuter. J’évite de créer les préconditions d’un échec.

Lauren Anderson et Carlos Acosta - Don Quichotte

Lauren Anderson et Carlos Acosta – Don Quichotte

Concernant des élèves se destinant à une carrière, qu’est-ce qui est le plus important d’un point de vue pédagogique ? Quels conseils généraux leur donnez-vous ?

Le placement. Et ne pas mentir à soi-même. Utiliser l’en-dehors disponible plutôt que celui dont vous rêvez. Même chose pour les levers de jambe. Investir l’effort qu’il faut tout en restant dans la précision académique.

 

Même question concernant les élèves amateurs. Qu’est-ce qui est le plus important pour eux dans un cours de danse ?

Sortir heureux d’avoir fait quelque chose de positif et souhaiter y retourner.

 

Comment percevez-vous l’évolution de la pédagogie de la danse aujourd’hui ? Quelles différences y a-t-il par rapport à l’époque où vous étiez vous-même élèves dans la façon d’apprendre la danse ? (points positifs et négatifs).

Cela fait des années que je ne prends plus de cours moi-même, et je ne suis donc pas tout à fait au courant de ce qui s’enseigne. Néanmoins, chez nombre d’élèves je constate qu’ils ont les épaules derrière le basin, un placement tordu et qu’ils n’appuient pas fermement le talon au sol, ce qui est susceptible de provoquer tendinites et tensions dans le torse.

 

Qu’est-ce qui vous marque le plus chez les élèves d’aujourd’hui ?

Les élèves semblent à la recherche de pirouettes multiples, d’écarts importants et de lancers de jambe coûte que coûte. Les pirouettes multiples peuvent être bienvenues si elles sont légères et sur la musique. Quant aux écarts, cela peut être joli si cela vient de la hanche et non du bas du dos.

 

En France, peu de personnes de couleurs pratiquent la danse. Comment l’expliquez-vous ? Comment lutter contre cette sorte de discrimination ?

Il ne m’est pas possible de juger pourquoi cela se passe ainsi en France, l’art classique étant censé faire corps avec votre culture. La raison est peut-être la même que ce que nous constatons aux USA …

Lauren Anderson en Une de Dance Magazine

Lauren Anderson en Une de Dance Magazin

Une Danseuse Étoile française a expliqué lors d’une rencontre publique que, pour elle, les grands rôles du répertoire comme Giselle ou Odette ne pouvaient être dansés que par des personnes de type caucasien, car ces histoires étaient européennes. Selon vous, comment lutter contre ce cliché que les personnes de couleur ne peuvent pas danser ces grands rôles classiques ? 

Certes ce sont des histoires européennes, connues et aimées de gens partout au monde. Mais nulle part est-il dit dans les contes de fées que le prince soit caucasien … Cendrillon est l’histoire de quelqu’un qui passe de la misère à la fortune la plus enviable. La Belle au Bois Dormant est une princesse que réveille un prince, Odette est ornée de plumes blanches et Odile, de noires. La Fée Dragée est une dragée !

Seule Alice (au Pays des Merveilles) est véritablement caucasienne. J’ai dansé le rôle d’Alice dans les années 1970 alors que j’étais élève du Houston Ballet Academy. Quel n’a pas été mon étonnement de découvrir mon nom sur la feuille de distribution comme Alice ! Mais mon directeur (ndlr : Ben Stevenson) m’a dit : “Dans l’art, la seule couleur est celle que le peintre pose sur la toile au pinceau”. Voilà comment j’affront le cliché. J’ai dansé tous les grands rôles dans les ballets classiques. Le directeur de la danse doit avoir un esprit ouvert.

 

Aux États-Unis, comment sont les choses ? Y a-t-il eu beaucoup d’évolution depuis vos débuts en 1983 ? Y a-t-il beaucoup de danseurs et danseuses de couleur dans les compagnies classiques ? Comment est la situation par rapport à l’Europe ? 

Si l’on est effectivement bien plus conscient de la situation de nos jours, je ne vois cependant aucun Danseur Étoile afro-américain. Il y a eu avant moi des danseurs de couleur dans les compagnies classiques, et il y en aura après moi. La question demeure des rôles que l’on leur permettra de danser – surtout dans les grandes compagnies. Je ne puis qu’espérer que nous verrons bientôt des Cendrillon, des Aurore et des Odette à la peau foncée.

 

Quels conseils pourriez-vous donner à des élèves de couleurs se trouvant confrontés à ce genre de discrimination ?

Soyez très bon danseur afin de ne leur laisser qu’une seule option : vous choisir !

 

Vous êtes aujourd’hui responsable des programmes de diffusion et sensibilisation culturelle pour enfants défavorisés au sein du Houston Ballet. Quelle est votre action ? En quoi est-ce important pour vous ? 

J’ai la chance de visiter des écoles sans programme artistique où les élèves n’ont pas accès à la danse classique ou au théâtre. Je leur parle de ma carrière et je donne des cours. Et nous faisons venir en autobus des élèves pour des spectacles gratuits au Houston Ballet Center for Dance. La plupart de ces programmes sont gratuits.

Comments (8)

  • Thibaud

    Grande déception de lire de tels propos de la part d’Agnès Letestu … comment une grande danseuse comme elle est-elle encore capable de dire de telles absurdités ? Il est clair que le ballet de l’ONP reste un des seuls sans danseur de couleur, ça saute vraiment aux yeux lorsque l’on voit les autres compagnies mondiales … Merci Amélie pour cet article fort intéressant. Comme dans tous les milieux, même en 2014, les choses ont du mal à évoluer !

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  • Joelle

    J’ai également assisté à cette « sortie » assez idiote de la danseuse en question…
    Et c’est vrai que notre charmant ballet parisien ne donne pas trop dans la diversité, à part quelques exceptions plutôt asiatiques, mais dans les élèves de l’Ecole cela commence à changer. En espérant pour eux qu’ils réussiront à intégrer le corps de ballet grâce à leurs mérites de danseurs !

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  • a.

    Ah! merci Amélie, très intéressant! je pense que c’est rare de lire cela en France. J’aurais bien aimé avoir d’autres indications sur les détails techniques qu’elle donne (talon, épaules en arrière). En revanche, pour me faire l’avocat d’Agnès Letestu, je ne pense pas du tout que ce fut là un remarque raciste – je pense que ce que veut dire Letestu, c’est que Gisèle, la Belle, etc. sont des histoires issues de la culture européenne (ça, personne ne peut le nier) et que l’un des rôles de l’opéra est de la perpétuer. C’est une question de transmission culturelle. Si je ne me trompe Letestu ne parlait que pour l’opéra de paris, pas pour des compagnies américaines, qui n’ont pas la même histoire (tant du point de vue général que du point de vue de la danse). Ne lui jetons pas la pierre pour une phrase extraite d’un contexte! Sincèrement, je ne crois pas que c’était discriminatoire. (je sens que je vais me faire des amis…)

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  • a.

    Enfin, j’ajoute que lire que l’élève doit ressortir du cours heureux, qu’il doit faire « avec » son corps (son en-dehors naturel), est très réjouissant! On ne lit JAMAIS cela des professeurs français; on ne se rend pas compte à quel point les américains, mais aussi les danseurs et professeurs de pays qui n’ont pas une forte tradition d’école et de style, ont changé la danse, la technique, ont libéré le corps. Entre mon vieux maître issu de l’opéra dont le leitmotiv était « vas-y, force! » et mon professeur sud-américain qui sans cesse répète « libère les articulations, lâche le muscle, travaille sans force »… tout un monde!!

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  • Tim

    Je pense aussi que l’ONP s’adapte à ses spectateurs. Ils n’auraient pas été prêts à accueillir en 90 des danseurs de couleur, encore moins une danseuse étoile « afro-française », et ils ne le sont toujours pas aujourd’hui…

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  • Joelle

    En ce qui concerne l’ONP, je pense que les choses évoluent, lentement certes, mais dans le bon sens… J’attends d’ailleurs avec intérêt les résultats du concours d’entrée dans le corps de ballet en juillet prochain… On verra !!!

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  • Qu’est-ce que ça fait du bien de lire qu’une pédagogue de son rang « dénonce » les pirouettes multiples et autres sauts à tout prix.
    Tout à fait d’accord avec elle, ça n’est pas mal venu si ce n’est pas fait au détriment du placement et de l’artistique.
    Pour ce qui est de la couleur de peau il s’agit bien d’une sale habitude de représentations culturelles de dire que tel rôle n’est pas fait pour quelqu’un qui ne soit pas blancheur aspirine. Il n’y a aucune logique à cela sinon le cygne noir ne serait jamais dansé par une blanche, Nikiya ne serait pas dansé par une blonde non plus.C’est tout un travail de déconstruction des représentations culturelles qu’il faut entreprendre.

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