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Another Look at memory – Thomas Lebrun

L’on cite souvent Thomas Lebrun comme le « jeune chorégraphe qui monte ». Mais les années passant, cela fait maintenant dix ans qu’il est installé dans le paysage chorégraphique français, marqué notamment par le succès de sa Jeune fille et la mort en 2012. Pour marquer cette décennie de création, Thomas Lebrun a voulu réunir sur scène trois de ses interprètes fétiches, pour reprendre des petits bouts de pièces ou phrases chorégraphiques qui ont jalonné ses pièces. Non comme un best-of, mais comme une nouvelle pièce, judicieusement appelée Another Look at memory, harmonisée par la musique éponyme de Philip Glass. Cela sonne parfois comme un petit plaisir égoïste du chorégraphe dont le public ne perçoit pas tous les private joke avec ses interprètes. Mais le formidable et complexe langage chorégraphique de Thomas Lebrun l’emporte, tout comme l’énergie vitale des quatre danseurs et danseuses du plateau.

Another Look at memory – Thomas Lebrun

Dix ans, le bon timing pour regarder en arrière et faire le bilan. C’est un peu ce que fait Thomas Lebrun avec Another Look at memory. Anne-Emmanuelle Deroo, Anne-Sophie Lancelin et Raphaël Cottin sont trois interprètes qui l’ont suivi durant tout ce parcours. Sur scène, dans une troublante synchronisation, ils reprennent des passages d’anciennes pièces de Thomas Lebrun, des phrases chorégraphiques piochées ici et là, des gestes qui reviennent. Chacun ne danse pas forcément ce qu’ils ont interprété dans le temps. « De ces créations partagées en dix ans, quels sont les gestes qui nous sautent aux corps, à la mémoire, aux yeux ? Comment partager des soli écrits pour soi avec les collègues qui l’ont vu dansé tant de fois, quelque part offrir une partie de son intimité artisique… ?« , explique le chorégraphe. De fait, Another Look at memory va bien plus loin que la sympathique auto-citation ou le best-of facile. Il est même fascinant de voir comment Thomas Lebrun arrive, avec un matériau ancien, à faire une pièce totalement nouvelle. 

La première demi-heure d’Another Look at memory fonctionne sur le même modèle : les trois interprètes, dans un carré de lumière, dansent ensemble – et l’on insiste sur ce terme – des phrases chorégraphiques. L’on voit ainsi la richesse du matériel chorégraphique de Thomas Lebrun se dessiner, entre une phrase gracieuse et aérienne, une autre bien plus terrienne, l’une toute simple, une quatrième virtuose. Le langage chorégraphique fascine, mais l’on a un peu l’impression d’assister à un long private joke entre le chorégraphe et ses interprètes. C’est tout de même le jeu des citations, que côté public il est difficile de percevoir, mais qui visiblement met en transe les interprètes. Le chorégraphe s’est fait plaisir avec trois de ses danseurs et danseuses fétiches, les interprètes se font plaisir en replongeant dans l’oeuvre dans le chorégraphe, mais cela semble comme lointain pour quelqu’un qui n’a pas lui-même imprimé dans son corps ses phrases chorégraphiques.

Another Look at memory – Thomas Lebrun

Mais Thomas Lebrun sait surprendre. Alors que l’on se préparait à avoir cette parfaite synchronisation durant toute la durée du spectacle – synchronisation accentuée par la musique répétitive de Philip Glass – un grain de sable se pointe. Le danseur se met à contre-temps des autres avant de reprendre le rythme. Une danseuse se sert d’un autre bras, part sur un appui différent, avant de revenir dans le droit chemin. C’est presque infime, mais cela suffit à perturber le regard. Et à le préparer au total basculement, quand un élément étranger arrive sans prévenir dans le carré de lumière. Maxime Aubert vient du CNDC d’Angers. Il rentre dans le monde professionnel et Another Look at memory est sa première pièce de Thomas Lebrun. Le chorégraphe pourrait rester dans sa zone de confort avec des interprètes qu’il connaît par coeur pour fêter ses dix ans de création. Il préfère insuffler un élément nouveau et bien secouer, comme pour préparer les dix années qui viennent. Maxime Aubert se fond admirablement dans le langage chorégraphique proposé. Si l’on ne sent pas une différence technique, sa présence apporte une énergie nouvelle et puissante. La pièce prend une tournure plus folle, moins dans le contrôle même si l’exercice est le même. Et l’on est bluffé par la richesse chorégraphique qui nous est proposée, par cette science du quatuor, par cette façon toujours surprenante de faire bouger les corps. Les dix années à venir sont alléchantes. 

 

Another Look at memory de Thomas Lebrun à la Maison de la Danse de Lyon. Avec Anne-Emmanuelle Deroo, Anne-Sophie Lancelin, Raphaël Cottin et Maxime Aubert. Mardi 6 novembre 2018. À voir en tournée en France durant toute la saison, dont au Théâtre de la Cité internationale à Paris les 14 et 15 janvier dans le cadre du festival Faits d’hiver.

 

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