Peau d’Âne – Théâtre Marigny
Pour cette réouverture du Théâtre Marigny, Jean-Luc Choplin (l’amoureux des comédies musicales) a choisi d’adapter Peau d’Âne, le film culte de Jacques Demy. Un pari audacieux car près de cinquante ans après sa sortie, ce film musical compte parmi les chefs-d’œuvres iconiques que l’on peut visionner des dizaines de fois sans se lasser (si, si !). Mais un pari tentant, car comme le résume bien le directeur artistique Emilio Sagi : « Les ingrédients du succès sont là : la musique très française de Michel Legrand, le charme particulier des mélodies qui restent en tête, le drôle de mélange des époques ». Sans parvenir à supplanter le conte délicieusement kitsch, le résultat est à la hauteur de la promesse : une exquise féérie musicale portée par un casting quatre étoiles, des costumes enchanteurs et une mise en scène efficace quoiqu’un peu répétitive par moments.
Les premières notes de la musique de Michel Legrand s’élèvent dans la salle du théâtre Marigny et on est happé.e. Le rideau de perles laisse entrevoir une forêt mystérieuse et on lâche prise. Comme Alice passant de l’autre côté du miroir, vive est l’envie de pénétrer dans cet univers onirique. Comme chez Jacques Demy, dès le début de ce beau conte, la prospérité et le bonheur sont rapidement assombris par le décès de la reine de ce paisible royaume. Avant de mourir, elle fait promettre au roi de ne prendre pour nouvelle épouse qu’une femme « plus belle et mieux faite » qu’elle. Mais la seule personne à la hauteur de cette promesse se révèle être leur propre fille, que le roi demande en mariage. Malgré ses tentatives pour échapper à cette union incestueuse, la princesse n’a pas d’autre choix que de s’enfuir, revêtue de la peau du célèbre âne qui assurait la fortune du royaume…
Selon le principe de toutes comédies musicales, les dialogues parlés succèdent aux passages chantés. Très attendus (Ah, la célèbre Recette pour un cake d’amour), on remarque toutefois que la mise en scène prend peu de liberté par rapport au film, exception faite peut-être du duo Rêves secrets d’un prince et d’une princesse (« mais qu’allons-nous faire de tout cet amour ? »). Mais alors que Catherine Deneuve ou Delphine Seyrig (la fée des Lilas) étaient doublées, là les comédien.ne.s interprètent leur rôle entièrement. Le casting est d’ailleurs l’une des réussites de cette production : Marie Oppert est une Peau d’Âne gracieuse et pétillante, Emma Kate Nelson accentue la drôlerie de cette fée-marraine perchée sur des rollers. Mention spéciale à Michaël Denard, qui campe avec prestance et panache le Roi du royaume bleu et bien sûr, à la très attendue Marie-Agnès Gillot, tourbillonnante Reine rouge, qui gagne ici ses galons de comédienne.
On nous avait annoncé une féérie musicale et le contrat est rempli. La magnificence des costumes de Pepa Ojanguren, avec clins d’œil aux tenues originales, y contribue grandement. Si le film ne comprend pas de véritables moments chorégraphiés, Emilio Sagi a imaginé une mise en scène où les décors bougent animés par les choristes. Une sorte de ballet bien huilé, mais hélas parfois un peu répétitif. On aurait aimé encore plus de surprises, plus d’effets de mise en scène, plus de boules à facettes et de rideaux de roses. Malgré tout, ce Peau d’Âne reste sans contestation possible le meilleur antidote à la morosité que l’on puisse s’auto-prescrire par cet hiver naissant.
Peau d’Âne d’après un film de Jacques Demy adapté de Charles Perrault. Musique : Michel Legrand. Direction artistique : Emilio Sagi avec Daniel Bianco, Pepa Ojanguren, Eduardo Bravo et Nuria Castejon. Direction musicale : Thierry Boulanger et Patrice Peyrieras. Avec Marie Oppert (Peau d’Âne), Mathieu Spinosi (le Prince), Michael Denard (le Roi du Royaume Bleu), Emma Kate Nelson (la Fée des Lilas), Marie-Agnès Gillot (la Reine du Royaume Rouge), Christine Gagnieux (la Vieille), Franck Lopez (le Roi du Royaume Rouge) et Claire Chazal (la Narratrice). À voir jusqu’au 17 février 2019.