Rencontre avec Marion Barbeau, nouvelle Première danseuse du Ballet de l’Opéra de Paris
Après dix ans de carrière dans le corps de ballet, Marion Barbeau a été promue Première danseuse lors du dernier Concours de promotion. Pour DALP, elle revient sur cette promotion, ce concours, la façon de gérer une carrière avec plusieurs directions ou ses aspirations en tant qu’artiste.
Un mois après cette promotion, quelles sont vos impressions ?
J’ai en fait du mal à m’en rendre compte. Le hasard a fait que je suis distribuée sur Cendrillon parmi les solistes, comme beaucoup de Sujets sur ce ballet, même si je fais encore un peu de corps de ballet dans le troisième acte (ndlr : sa promotion n’est effective que le 1er janvier 2019). C’est difficile de se projeter pour l’instant. J’avais déjà commencé à avoir des rôles, même si je n’ai jamais eu de vrai premier rôle dans un ballet classique. Ce qui me marque pour l’instant, c’est surtout l’idée de ne plus faire de corps de ballet après avoir passé dix ans dans le groupe. Mais pour cette fin de saison, cela ne va pas changer tant que ça. Peut-être que cela sera plus le cas la saison prochaine.
La suite de la saison ne marque pas de gros changements pour vous pour l’instant ?
Pas forcément. Après Cendrillon, je reprends sur la création de Marco Goecke, qui est une pièce de groupe. Puis je participe à la tournée à Abou Dabi avec Joyaux où je danse le pas de trois que j’ai déjà interprété et je suis remplaçante sur Rubis, ce que je pouvais aussi être en tant que Sujet. Je reprends ensuite le rôle de Marie dans Iolanta/Casse-Noisette avant d’être sur Le Lac des cygnes qui part en tournée à Singapour et Shanghai en fin de saison, avec Blake Works I de William Forsythe et The seasons’ Canon de Crystal Pite.
Il n’y a pas une certaine frustration de ne pas voir les choses changer ?
Je suis très heureuse de reprendre ces rôles, donc non, il n’y a pas de frustration. Pour sa création, Marco Goecke ne voulait que des solistes. C’est moi qui me suis proposée, je n’aurais sûrement pas pu y accéder sans cette promotion.
Vous avez fêté votre promotion tout de même ?
Pas tant que ça, ça vide le Concours ! Je l’ai fêtée avec ma famille dont je suis très proche, avec Delphine Moussin avec qui j’ai travaillé. Le Concours a de ça d’étrange qu’il se déroule un peu dans un monde parallèle. Nos journées sont les mêmes à l’Opéra, le Concours se greffe en plus. Et une fois que c’est terminé, le quotidien reprend.
Tant que le quotidien ne change pas concrètement, c’est difficile de se projeter ?
Le planning change vraiment une fois que l’on est Première danseuse. Je pense qu’on y a une qualité de travail qui n’est pas négligeable. En tant que Sujet, quand nous avons une opportunité de soliste, c’est en plus du travail de corps de ballet. Souvent nous apprenons les rôles chez nous, sur vidéo. C’est assez usant d’être sur tous les fronts, de répéter un rôle de soliste l’après-midi et d’être dans le corps de ballet le soir. C’est un rythme difficile, on doit vraiment être partout. J’espère que ce temps de qualité va arriver maintenant que je suis Première danseuse, d’avoir le temps de travailler en profondeur, de bien préparer un rôle. Même si sur Cendrillon, avec les nombreux changements de distributions, nous sommes toutes logées à la même enseigne, Sujets ou Premières danseuses.
Finalement, être Première danseuse n’est pas une finalité, il faut toujours faire ses preuves ?
J’en parlais avec Sae Eun Park il y a un an, qui me disait que le Concours était difficile tous les ans, mais que en tant que Première danseuse, le Concours, c’était tous les jours (rires) ! On attend désormais autre chose de nous. Je pense que, ce qui va être agréable, c’est cette charge en moins de corps de ballet. Ensuite, les rôles arrivent ou pas, tout dépend des opportunités. Ces derniers temps, je n’étais pas vraiment en attente d’un rôle en particulier parce que j’ai fait beaucoup de pièces de groupe contemporaines et que ça m’a beaucoup plu. Ce qui pourrait me frustrer serait de ne plus pouvoir participer à ce genre de projet collectif.
C’est étonnant car le public vous perçoit plus comme une ballerine classique. Comment est venu ce changement ?
L’année dernière, j’ai dansé The Art of Not Looking Back de Hofesh Shechter. Si j’avais été dans le public, je ne sais pas si j’aurais aimé. Mais en tant qu’interprète, j’ai adoré. On a passé beaucoup de temps en studio à seulement 11 danseuses, uniquement des femmes. Il y avait une ambiance de groupe en répétition que je n’avais jamais ressentie dans un ballet classique, On se sentait soudée et c’était vraiment agréable. Il y avait beaucoup de boulot, ça a été un vrai challenge, une grosse découverte pour moi et une expérience que je n’oublierai jamais. J’ai ensuite dansé dans Decadance d’Ohad Naharin. Même si nous étions plus nombreux, il y avait ce sentiment de faire partie d’un groupe tout en ayant un vrai sentiment de liberté.
Comment expliquez-vous que l’on ne retrouve pas cette sensation de liberté dans le corps de ballet d’une oeuvre classique ?
Je ne sais pas si on peut parler de carcan ou d’un problème de liberté dans le ballet classique. Mais j’ai l’impression qu’on nous responsabilise plus dans le contemporain, on nous apprend à être plus autonome. Je pense que les maîtres de ballet classiques sont d’accord avec cette idée, mais malgré tout, on y a moins de possibilités. On nous apprend le pas, on nous donne des consignes et nous devons les respecter. Nous savons très bien où aller, ce vers quoi on tend, ce que sera le résultat. Dans le contemporain, c’est nous qui créons ce résultat, la consigne est justement de le chercher, de trouver ce que l’on veut donner en scène. Même dans The Art of Not Looking Back de Hofesh Shechter qui est une pièce très écrite, la manière de travailler est plus personnelle, il faut réfléchir de son côté. Et le résultat ne sera pas le même chez la voisine, alors que dans un corps de ballet classique, il faut un côté uniforme.
Même si vous tendez vers les pièces contemporaines en ce moment, vous avez choisi une variation très classique pour le Concours de promotion. Pourquoi ?
Mais j’ai une passion pour le classique, d’autant plus que j’aime énormément cette variation de La Belle au bois dormant de Rosella Hightower. Pour moi, le Concours est fait pour danser du classique, il ne sert pas la danse contemporaine, même si on parle tout de même en général de pièces créées il y a parfois plus de 30 ans. C’est beaucoup plus difficile d’extraire un passage d’un ballet contemporain alors qu’une variation classique est faite pour cela. Alors autant y aller vraiment !
Personne ne connaît cette version de Rosella Hightower. Comment avez-vous déniché cette variation quand vous l’avez dansée pour la première fois en 2015, quand vous êtes passée Sujet ?
Comme Lydie Vareilhes l’explique dans votre précédente interview, le Concours est aussi l’opportunité d’aller fouiller les archives vidéo de l’Opéra. C’est compliqué de reprendre une variation qui a été énormément dansée, d’autant plus par des sublimes danseuses qui ont toutes un avis sur comment il faut l’interpréter. Et c’est très agréable de danser quelque chose que personne ne connaît, sans image de quelqu’un d’autre dans la tête. Le jury est aussi dans la découverte et on a plus l’impression de proposer quelque chose de personnel. C’est presque comme une création, l’on peut proposer un regard neuf.
Comment avez-vous découvert cette variation ?
Fabien Révillion aime bien aussi trouver des variations moins connues, il avait ainsi dansé la version masculine lors du Concours en 2012. Je devais l’avoir dans un coin de ma tête. Après une heure à farfouiller dans les archives, je suis tombée sur cette variation dansée par Claude de Vulpian. Je trouvais justement que sa manière de danser était très libre. Il y a ces espèces d’équilibres à trouver : je relève et je vois ce qui se passe. Je trouvais que c’était intéressant à trouver parce que ça nécessitait une sorte de réaction qui n’est jamais le même selon le moment. J’aime cette idée de chercher le plan B, de faire faire comprendre à son corps de trouver autre chose de joli si ça ne fonctionne pas. En 2015, j’ai travaillé cette variation avec Florence Clerc qui l’avait aussi dansée et qui l’a remise au goût du jour, il y avait des choses à revoir dans les bras ou les postures. Cette année, je l’ai travaillée avec Delphine Moussin.
Pourquoi avoir voulu la reprendre ? Vous ne vous êtes pas dit que cela allait vous desservir ?
Les danseurs et danseuses reprennent régulièrement des variations déjà dansées. Je me suis posée la question mais c’est passé assez vite. J’avais adoré danser cette variation. Et je voulais me faire plaisir cette année car j’avais pris la décision que, quoi qu’il arrive, il s’agirait de mon dernier Concours, et que j’irai voir ailleurs si ça ne marchait pas. Je pense que ça a joué sur ma manière de danser. Avant de rentrer en scène, je me disais que, si ça se trouve, c’était la dernière fois que je dansais sur ce plateau du Palais Garnier. Alors autant prendre des risques, parce que ça serait dommage de ne pas en prendre pour la dernière fois sur cette scène. C’était quitte ou double, mais au final cela a été stimulant. Je ne pourrais pas avoir ma valise dans la coulisse chaque fois que je danse (rire) ! Mais ça m’a aidé à me libérer.
Pourquoi ce Concours, c’était le dernier ?
Dans le travail, le Concours de promotion est très intéressant, mais il est dur moralement et physiquement. Le dernier Concours six mois plus tôt a aussi joué, même si déjà à l’époque je me disais que ce serait le dernier (sourire). Il n’y a eu aucune promotion et nous avons eu l’impression que nous n’étions pas les bienvenues.
Pourquoi expliquez-vous alors que ce Concours, ce fut le bon ? Avec l’autre promue Héloïse Bourdon, vous êtes deux anciennes. Pourquoi, cette fois-ci, ça a marché ?
C’est difficile à expliquer, et une fois que l’on est promue, on ne cherche pas vraiment à savoir qui a voté pour qui. Il n’y a pas de règle dans ce Concours, parfois cela se joue sur le jour J, parfois sur les performances de l’année.
Et vous, personnellement, comment expliquez-vous que ce Concours fut le bon pour vous ?
Je me suis sentie bien ce jour-là et je dansais deux variations que je chérissais. J’ai beaucoup aimé la variation imposée, Casse-Noisette de John Neumeier, très agréable et sur une très belle musique, même si elle est un peu tordue et qu’il y a des petits pièges. Elle m’a beaucoup plu, d’autant plus comparée à l’imposée du Concours précédent, Diane et Actéon. Et puis cette année, il y avait une très bonne ambiance entre nous. Peut-être qu’il y a eu un lâcher-prise dans notre manière d’aborder le Concours. Il y avait davantage d’entraide. Et puis nous avons toutes pris des variations libres différentes, nous étions chacune dans notre univers tout en admirant le travail des autres.
Après l’avoir beaucoup passé, quel est votre point de vue sur le Concours de promotion ?
Je trouve que c’est un peu trop dur pour ce que c’est, car c’est en plus de tout le reste. Certain.e.s sont à 6h à l’Opéra pour réserver un studio à 16h pour travailler entre deux services. Cette préparation est une fatigue monstrueuse. Et si l’on veut évoluer dans la hiérarchie, il n’y a pas d’autre choix que de le passer. Le Concours est là, on l’accepte en tant qu’artiste de l’Opéra, mais je trouve qu’il est devenu obsolète. L’idée de base n’est pas mauvaise, on ne monte pas ainsi uniquement selon la direction. Nous sommes une compagnie particulière où tout le monde est en CDI, où on ne part pas si la direction change. Mais être jugé par ses collègues, avec qui on a forcément un vécu, n’est pas l’idéal. Nous devons bien sûr avoir un niveau de classique au top. Mais le Concours n’est pas adapté au contemporain, à la programmation d’aujourd’hui, on ne peut pas montrer ce que l’on sait faire dans ce domaine. Même en trouvant un bon extrait, on ne va pas faire une variation très dure sur pointes, puis 20 minutes plus tard se retrouver pieds nus à se rouler par terre. Il faut un échauffement, un état d’esprit particulier, ça ne marche pas comme ça.
Il y a une discussion ouverte sur le sujet ?
C’est un sujet de conversation qui revient constamment entre danseurs et danseuses, avant même Benjamin Millepied qui a mis ouvertement le sujet sur la table. Si les plus jeunes de la troupe sont encore dans la découverte, la génération des 23-24 ans, celle juste en-dessous de moi, ne comprend pas ce Concours, même si certains et certaines l’ont réussi. Nous sommes à peu près tous d’accord pour dire que ce Concours n’est pas adapté. Mais qu’est-ce que qu’on fait à la place ? Tout le monde a une idée différente sur le sujet. Pour l’instant, cette discussion n’est qu’entre danseurs et danseuses, mais je pense que l’on va continuer à travailler sur cette question.
Avez-vous envie de vous investir sur ces changements ?
On m’avait proposé d’être dans la nouvelle CEA, avant le Concours. J’avais décliné car dans ma tête, j’étais peut-être partie. J’ai un avis sur tout ça. Mais avec ce qui s’est passé avec les anciens membres de la CEA, ça ne donne pas envie d’en faire partie.
Maintenant que la promotion est arrivée, l’envie de partir s’est complètement envolée ?
L’idée de sortir de chez soi m’intéresse, mais je ne parle pas forcément de partir pour une autre compagnie. Peut-être pour un projet de création très différent. J’apprécie beaucoup le travail d’Alan Lucien Øyen, de Peeping Tom que j’adore, tous ces chorégraphes qui font de la danse-théâtre.
Petit retour en arrière. Vous entrez à l’École de Danse de l’Opéra de Paris à 11 ans. Quels souvenirs gardez-vous de votre formation ?
Je suis rentrée à l’École de Danse pour mon grand stage en 6e division et en 6e scolaire. J’ai fait mes six années de formation et je suis rentrée dans le corps de ballet. Avec du recul, cela a été simple. Je pense que j’étais très bien préparée par ma première professeure, avec qui j’ai continué tout un travail en parallèle pendant mes années d’école, qui m’avait prévenue que ça serait très dur. C’était normal de travailler autant, c’était la base et je ne me posais pas de question. J’ai eu Claude Bessy comme directrice pendant deux ans avant Élisabeth Platel et la différence entre les deux a été énorme. Tout a changé dans l’état d’esprit, que ce soit en cours ou à l’internat, tout était moins stricte, il y avait plus de liberté.
Quelles sont les professeures qui vous ont marquée ?
J’ai adoré ma 5e division avec Janine Guiton. J’ai le souvenir d’une professeure très rigolote. On travaillait beaucoup, elle était stricte, mais la manière d’apprendre la danse restait ludique, c’était comme un jeu. Puis Carole Arbo en première division m’a vraiment mise en confiance pour la préparation du corps de ballet.
En entrant dans la compagnie il y a dix ans, quelle était la vision de votre carrière ?
Une vision très classique. Avec Brigitte Lefèvre, on avait compris qu’il fallait rester dans le corps de ballet plusieurs années, même rester dans la coulisse au début, puis commencer à travailler des rôles, et après éventuellement devenir soliste. Je n’osais même pas espérer un rôle avant plusieurs années. C’était vraiment le schéma classique de l’époque qui a complètement changé avec Benjamin Millepied. Ma génération a ainsi pu être dans un entre-deux pas terrible. En entrant dans le corps de ballet, on nous avait dit que notre tour viendrait plus tard, que l’on était trop jeune. Puis on a vieilli. Et quand Benjamin Millepied est arrivé, il voulait les jeunes, les plus jeunes que nous. Mais au final, les choses se font tout de même.
Quels souvenirs gardez-vous de la période Benjamin Millepied ?
Il est arrivé avec des artistes qu’il aimait déjà beaucoup et je ne faisais pas partie de son groupe au début. J’ai commencé à penser à partir mais Benjamin Millepied a cherché à connaître les gens, c’est quelque chose que j’ai apprécié. Pour moi, cela a évolué après et ça a été un travail très intéressant. Sa création Clear, Loud, Bright, Forward a été une vraie expérience de soliste, avec une manière plus légère de l’aborder. J’ai aussi apprécié son association avec Benjamin Pech, il y avait avec lui une certaine liberté dans le travail des ballets classiques, il y avait moins de pression. Il y a eu une forme de déception quand Benjamin Millepied a quitté son poste, il avait beaucoup de projets et il est parti en plein milieu.
Quelle est la différence avec la direction d’Aurélie Dupont ?
Aurélie Dupont nous connaissait tous et toutes depuis longtemps. Cela peut être aussi un handicap car elle a déjà avis, elle n’a pas un regard frais sur nous, on peut moins faire ses preuves d’une certaine manière. Personnellement, j’ai apprécié sa programmation, même si je sais qu’elle est très discutée. Je la remercie de nous avoir apporté Hofesh Shechter ou Ohad Naharin.
Comment gère-t-on sa carrière quand on connaît trois directions différentes, donc trois façons de faire ?
C’est compliqué, il faut faire un vrai travail sur soi car il n’y a pas forcément de logique entre deux directions différentes. Mais on vieillit nous aussi et on n’a pas les mêmes attentes avec les années. Il faut essayer de trouver nous-même une régularité personnelle. Ce n’est pas la direction qui va créer une régularité dans notre carrière, il faut donc la créer seule.
Quel regard portez-vous avec le recul sur la progression de votre carrière ?
Mes premières années n’ont pas été très intéressantes, il n’y avait pas grand-chose à faire, pas de pression et pas grand-chose de stimulant. Je suis passée Coryphée sous Brigitte lefèvre après cinq ans en tant que Quadrille. Avec Benjamin Millepied, cela a changé, je suis passée Sujet, j’ai eu des rôles, il y a eu plus de régularité.
Que vous ont appris ces dix ans de corps de ballet ?
Mon métier, la rigueur, aussi à me familiariser avec les ballets de Rudolf Noureev et son style.
Quel a été le moment le plus compliqué ?
Quand je travaillais un rôle de soliste, puis que je retournais dans le corps de ballet pendant trois ou quatre productions. Ces périodes sont régulièrement revenues pour moi, quel que soit mon grade ou la direction.
Une fois que l’on passe Première danseuse, l’idée de nomination d’Étoile arrive-t-elle ? C’est logiquement la prochaine étape.
Je n’ai pas encore fait mes preuves dans un grand rôle classique, alors la question ne se pose pas. En tout cas, j’ai toujours eu envie d’être soliste, dès que je suis entrée à l’École de Danse. Au début, je ne m’en rendais pas compte, il y avait un côté naïf à vouloir danser ces grands rôles. Mais l’envie est restée avec le temps. Puis j’ai découvert le contemporain, les pièces de groupe. Aujourd’hui, je ne peux pas parler des grands rôles classiques, je ne les connais pas. J’ai besoin de les expérimenter et de passer par là pour me faire une idée.
Héloïse Bourdon, qui a été promue Première danseuse en même tant que vous, a déjà cette expérience des premiers rôles classiques. Il n’y a pas de pression de votre côté, la crainte d’une comparaison ?
Non. Nous avons des parcours très différents. Elle est rentrée dans le corps de ballet un an avant moi et elle est montée très vite dans la hiérarchie. Elle a dansé beaucoup de rôles du répertoire, et j’espère qu’elle va pouvoir les redanser. Pour ma part, j’ai attendu plus longtemps, j’ai expérimenté le répertoire contemporain. Nous sommes différentes et nous n’avons pas les mêmes envies. J’espère que l’on ne va pas nous comparer parce que ça n’aurait pas de sens.
Vous êtes en ce moment sur Cendrillon. Vous allez entre autres danser l’une des soeurs. Pouvez-vous nous parler de ce rôle qui joue beaucoup sur l’humour ?
C’est en effet assez particulier, il faut mal danser tout en dansant bien, c’est inédit pour moi. Mais intéressant à travailler. Ce qui est agréable est de travailler avec mon binôme Fanny Gorse et de trouver ces petites choses et ces détails qui ne vont peut-être pas compter pour le public, mais qui vont proposer un véritable univers, enrichir le personnage et créer un vrai lien entre nous. Faire vraiment rire le public reste délicat, surtout à l’Opéra Bastille où il faut toucher tout le monde, de très loin comme de très près. C’est un équilibre à trouver agréable.
Vous reprenez ensuite le rôle de Marie dans Iolanta/Casse-Noisette, avec la mise en scène impressionnante de Dmitri Tcherniakov. Pouvez-vous parler de ce projet si particulier ?
C’est aujourd’hui la plus grande expérience de ma carrière. Travailler avec trois chorégraphes différents – Sidi Larbi Cherkaoui, Édouard Lock et Arthur Pita – plus un metteur en scène tellement attachant mais complètement barré, ça a été fou. La création a duré trois mois, ça a été très court finalement parce qu’il y avait beaucoup de choses à faire. Mais ce fut trois mois à être plongée dans l’univers de trois chorégraphes qui n’ont rien à voir, à travailler ensemble. Ça a été intense.
Quelles sont vos envies pour la suite ?
Une expérience comme Casse-Noisette, j’aimerais en avoir d’autres. Avoir cette expérience de la création, travailler avec un.e chorégraphe pendant longtemps, qu’il.elle travaille sur mon corps, créer des choses avec lui/elle, ça me plaît beaucoup. Et comme dit plus haut, de continuer à avoir ces expériences de groupe très fortes. Pour le classique, je n’ai pas forcément de rôle en particulier. J’ai déjà danser Giselle et Aurore il y a longtemps en Russie et j’ai apprécié les interpréter, Kitri a aussi des choses intéressantes. En fait, beaucoup de projets m’intéressent, surtout que l’on est souvent surpris par se passionner pour des choses que l’on ne pensait pas être pour soi. Mais le plus important, quel que soit le style, c’est d’avoir le temps de bien travailler les choses. Danser Giselle sans avoir le temps de vraiment travailler le personnage, ça ne m’intéresse pas.
Emma Motet
Une jeune femme hyper réaliste et bien dans sa tête je lui souhaite le meilleur pour l’avenir
Christian PRUNIER
Une jeune danseuse qui a de toute évidence quelque chose de plus : elle m’a, disons-le, scotché dans « Iolanta-Casse-Noisette » sur France 3 dans des chorégraphies que je n’aurais pas suivies plus de deux minutes auparavant, et ce à une heure pourtant ô combien tardive. On découvre sa grâce extrême dès son premier sourire à la fin de Iolanta, puis son incroyable énergie accroche irrésistiblement. Les chorégraphies interpellent par elles-mêmes, mais on sent Marion Barbeau y adhérer avec un tel enthousiasme que ça emporte littéralement. Ouvrir à ce point, en une heure, le champ de vision sur son art d’un vieux bonhomme de 74 ans comme moi, c’est je crois une belle réussite qui s’ajoute au bonheur qu’elle prend visiblement elle-même à le servir avec un tel talent.
Anne-Claire
Merci pour cet entretien. C’est vraiment très étonnant de voir qu’une danseuse qui semblait plutôt bien lotie dans les distributions et qui est l’image de Repetto pouvait avoir des envies de départ. Ses propos confirment aussi que la direction Millepied s’appuyait beaucoup sur Benjamin Pech et que les reprises « réussies » des classiques ainsi que les distributions devaient sans doute beaucoup à l’étoile.
Léa
Merci pour cette belle interview d’une danseuse qui fait preuve d’une remarquable maturité et de beaucoup de franchise. On comprend bien aussi -mais on s’en doutait- que Aurélie Dupont programme ce qui plaît aux danseurs avant de se poser la question de ce qui plait au public. Et ici on a quelqu’un -une fois de plus- qui se retrouve visiblement plutôt dans le contemporain, avec cela de particulier qu’elle y brille très spécialement ; et qu’une danseuse très classique a été nommée en même temps. On a donc un certain équilibre.
Mais je me réjouis de savoir qu’il existe une possibilité de se sentir libre dans le classique, et que c’est une question de pédagogie plutôt que de style. Je le suppute depuis longtemps, hélas le culte à Noureev voué par les maîtres de ballet actuels, qui l’ont connu et restent marqués par sa personnalité, pèse lourd. Dommage donc que Benjamin Pech soit lui aussi parti, et que ce soit Rome qui bénéficie de sa capacité à procurer aux danseurs joie et légèreté dans le ballet classique…
Maddie
Elle a travaillé en 2015 avec Glen Keane, légende de l’animation, pour Nephtali (3ème scène). Elle a été choisie avant qu’elle ne devienne première danseuse, le talent d’observation de Glen Keane avait quelque chose d’annonciateur, bien sûr elle a beaucoup travaillé depuis, mais j’aime bien cette idée de cohésion entre artistes qui se rassemblent autour du mouvement. C’est une très belle nomination.