La Dame aux camélias de John Neumeier – Léonore Baulac et Mathieu Ganio « à la virginité du vice »
La dernière Dame aux Camélias de John Neumeier par le Ballet de l’Opéra de Paris avait laissé flotter dans le Palais Garnier le parfum capiteux d’une Agnès Letestu en grande demi-mondaine déchue, danseuse dont l’autorité scénique et la danse majestueuse conféraient maturité au rôle. Cette reprise pour les Fêtes a jeté sous les feux des projecteurs la jeune Léonore Baulac, revenue à une lecture plus littérale du personnage. Elle prête naturellement sa danse pétillante à Marguerite Gautier. En revanche, elle n’est pas encore tout à fait Dame aux Camélias. C’est d’autant plus palpable face au charisme magnétique d’Eve Grinzstajn (même blessée, elle irradie la force des grandes héroïnes qui traversent les âges) dans la peau de Manon, double vampirique venu ramener Marguerite à sa trivialité de courtisane. Retour sur une demoiselle aux Camélias, qui reste « à la virginité du vice« , pour reprendre les mots d’Alexandre Dumas.
Le ballet que John Neumeier a signé sur le drame de La Dame aux Camélias est un envoûtement des sens. Merveille d’esthétique, de chorégraphie, d’esprit. Le Palais Garnier en est l’écrin naturel. L’inventive écriture chorégraphique reprend les codes de John Cranko et de Kenneth MacMillan pour en amplifier l’expressivité. Ce style a la grâce de l’intemporel. Parce que le ballet exploite un grand roman de la littérature française, on présumerait que la troupe du Ballet de l’Opéra de Paris serait prédestinée pour l’incarner, en peindre les nuances, en ressusciter l’intensité. Si les magnifiques tableaux (merci à Jürgen Rose) des valses de belles étoffes s’enchaînent avec fluidité, il manque globalement ce supplément d’âme qu’on attend, légitimement, de la troupe parisienne dans ce registre romantique. Au-delà du corps de ballet, le couple principal formé par Léonore Baulac et Mathieu Ganio offre de beaux moments mais il campe une Dame aux Camélias encore trop chaste, qui ne suscite pas les émois sensuels des grands titulaires de ces rôles.
Quand Mathieu Ganio accourt à la vente aux enchères des effets de feue la Dame aux Camélias, c‘est en Albrecht éploré qu’il m’apparait. Héros du romantisme chrétien, héritier de Giselle, plus qu’un Armand Duval emporté par ses sens. Léonore Baulac, à cet égard, ressemble à une Carlotta Grisi vaguement encanaillée. Ce n’est pas que sa chevelure blonde, son visage juvénile, sa silhouette frêle qui en font une demoiselle aux camélias. C’est aussi ses expressions, sa danse enjouée mais polie. En ce sens, elle semble distiller autour d’elle la candeur dont Armand Duval la pare dans le roman. « Bref. On reconnaissait dans cette fille la vierge qu’un rien avait faite courtisane, et la courtisane dont un rien eût fait la vierge la plus amoureuse et la plus pure« . Léonore Baulac nous livre ainsi un nouveau visage chorégraphique de La Dame aux Camélias, qui questionne notre approche du rôle, celle, plus fiévreuse, dictée par ses aînées.
Dans le deuxième acte, Léonore Baulac et Mathieu Ganio personnifient d’abord le romantisme champêtre d’un Eugène Onéguine, on entrevoit parfois la tendresse mutine que se portent Lenski et Olga. On entend parfois résonner les mots de Dumas : « quel sublime enfantillage que l’amour ! »… jusqu’à ce que l’ombre malveillante de Manon, dansé par la charismatique Eve Grinzstajn, vienne se rappeler à Marguerite, balayant l’espoir de tout amour rédempteur. Ce moment sublime, parmi les acmés dramatiques du ballet, est l’élément déclencheur de la théâtralité de Léonore Baulac. Métamorphosée par la prise de conscience de sa souillure, indélébile, la demoiselle aux Camélias nous montre alors une jeune femme brisée aux gestes las et au visage défait. Mais toujours prisonnière de ce charme floral que sa danse exhale, elle présente davantage le profil d’une innocente victime, terrassée par son premier chagrin d’amour, que celui d’une courtisane repentie. Il faut attendre le troisième acte pour que Léonore Baulac se révèle davantage encore et nous emporte dans son malheur, sans susciter le vertige attendu. Mathieu Ganio, élégant mais sur la réserve, ne déploie pas l’étendue de la sensualité du personnage. Si l’émotion s’invite enfin dans le Black pas de deux, le manque d’alchimie reste le talon d’Achille de la représentation.
La Dame aux Camélias est historiquement un ballet d’interprètes, auquel s’attaquent les danseuses aguerries, avides de couronner une grande carrière par un épilogue dramatique. Laissons le temps à Léonore Baulac de faire évoluer son interprétation au gré de ses inspirations… et de ses partenaires. De jeune fille en fleur, elle doit encore devenir Camélia.
La Dame aux camélias de John Neumeier par le Ballet de l’Opéra de Paris au Palais Garnier. Avec Léonore Baulac (Marguerite), Mathieu Ganio (Armand Duval), Yann Saïz (Monsieur Duval), Eve Grinsztajn (Manon), Manon (Des Grieux), Muriel Zusperreguy (Prudence), Paul Marque (Gaston Rieux), Héloïse Bourdon (Olympia), Laurent Novis (Le Duc), Simon Valastro (Le Comte de N.) et Ninon Raux (Nadine). Vendredi 7 décembre 2018. À voir jusqu’au 3 janvier.
Béatrice demi mondaine
La lecture de ce papier m’enchante .
Vous avez la poésie si juste et la plume si aisée! C’est merveilleux !
J ai pris du plaisir à vous lire , merci infiniment ,
et j irai si le temps le permet voir évoluer ses jeunes danceurs.
Dans un autre registre , tout paradoxal, je suis Demi Mondaine
« De mon nom d’ artiste » et chante au Folies Bergère presque chaque soir dans la revue de
Jean Paul Gaultier, ou la sulfure ne manque pas.
Belle journée à vous et soyez la bienvenue de l autre côté du miroir si le cœur vous en dis .
B.
DM.