Staatsballett de Berlin – Le réjouissant retour du Casse-Noisette de Yuri Burlaka et Vasily Medvedev
Le Staatsballet de Berlin affichait en cette fin d’année une programmation résolument classique, entre la création de La Bayadère d’Alexeï Ratmansky et le retour bienvenu au répertoire du Casse-Noisette dans la rédaction de Yuri Bourlaka et Vasily Medvedev. Cette version, créée en 2013, avait été écartée de la scène lors de l’arrivée à la direction de la compagnie de Nacho Duato, qui lui avait substitué sa propre version. Le travail de Yuri Burlaka et Vasily Medvedev avait pourtant été unanimement salué par la critique et suscité un engouement populaire. Un retour bienvenu d’une magnifique production, et rassurante sur l’état de santé d’une compagnie qui s’inquiète des changements de direction.
Yuri Burlaka, qui fut un éphémère directeur du Bolchoï après le départ d’Alexeï Ratmansky, est un spécialiste reconnu de la reconstruction des ballets académiques. Et c’est avec Alexeï Ratmansky qu’il avait coopéré pour faire renaitre la version originale du Corsaire qui, au fil des années et des productions, avait perdu son authenticité. Le public parisien avait pu admirer cette production lors de la venue du Bolchoï au Palais Garnier en 2008. Pour ce Casse-Noisette, Yuri Burlaka a collaboré avec le pétersbourgeois Vasily Medvedev avec le projet de réaliser une reconstruction la plus fidèle possible. Il s’agissait non seulement d’aller fouiller dans les fameuses notations de Vladimir Stepanov, l’assistant de Marius Petipa qui a recensé la plupart des ballets du chorégraphe franco-russe, mais aussi de reconstituer les décors et les costumes de la production étrennée sur la scène du théâtre Mariinsky en décembre 1892. Le scénographe Andreï Voitenko s’est donc très largement inspiré des décors créés par Konstantin Ivanov et Michail Botscharov, et la costumière Tatiana Novigova a travaillé sur les dessins et les figurines laissés par Ivan Vsevolojski pour remettre en scène ce Casse-Noisette. Petit point historique en passant pour ce ballet phare du répertoire, l’un des plus populaires mais au destin contrarié . Si Marius Petipa en a écrit le livret en s’inspirant d’un des contes d’Hoffman et collaboré étroitement avec Tchaïkovsky pour élaborer la partition, il ne réalisa pas la chorégraphie de ce ballet bien qu’il en soit souvent gratifié dans les différentes productions. C’est son fidèle collaborateur, Lev Ivanov, qui chorégraphia le ballet de bout en bout.
On peut débattre sur l’intérêt et les limites de ce souci de reconstruction des ballets académiques. Mais la version de Casse-Noisette de Yuri Burlaka et Vasily Medvedev est une franche réussite. Par la richesse de ses décors et de ses costumes, aussi parce que ce retour aux sources fait revivre sur scène un ballet profondément russe, débarrassé de son trop-plein de sucreries et d’imageries de Noël. On y retrouve une œuvre magnifiquement écrite, au récit limpide doublé d’une féérie dans la plus pure tradition pétersbourgeoise.
Ce retour au répertoire en 2018 a été fort bien accueilli par le Staatsballet de Berlin en proie à une crise qui s’éternise. Le départ anticipé de Nacho Duato qui n’avait pas réussi à établir une relation de confiance avec la compagnie et la nomination surprise de Sasha Waltz ont provoqué la stupéfaction d’une troupe soucieuse de conserver son savoir-faire classique. La chorégraphe contemporaine allemande arrivera la saison prochaine aux côtés de Johannes Öhman qui cette année assure seul la direction. Sa programmation voulait rassurer une compagnie déchirée dont plusieurs membres ont préféré partir de peur de voir le Staatsballet de Berlin devenir un terrain d’expérimentation contemporaine.
Cette longue série de Casse-Noisette a apaisé les craintes, du moins temporairement : toutes les représentations ont affiché complet et les nouvelles distributions étrennées pour cette reprise ont montré la solidité technique du corps de ballet et des solistes du Staatsballet. Ksenia Ovsyanick, recrutée en 2016 par Nacho Duato, débutait dans le double rôle de Clara et de la Fée Dragée pour cette version à hauts risques. La ballerine russe s’est jouée sans soucis de tous les obstacles et offert une prestation impeccable, tout aussi à l’aise dans ses variations solos que dans son pas de deux avec Dinu Tamazlacuru, pilier de la compagnie (il est le partenaire attitré de Iana Salenko, actuellement en congé maternité), remarquable en Casse-Noisette et Prince Coqueluche. Engagé en 2002 au Staatsballet de Berlin et Principal depuis 2012, le danseur moldave y a dansé tout le répertoire. Dinu Tamazlacuru est aussi un artiste accompli, alternant l’élégance princière du personnage et la virtuosité technique avec sa légendaire ampleur de sauts. Si le corps de ballet manque parfois de synchronisation, il est au rendez-vous de la fameuse valse des flocons. Enfin Dominic Hodal reprend avec bonheur le rôle clef de Drosselmayer
On imagine que le Casse-Noisette de Burlaka/Medvedev est revenu au répertoire pour y rester. Cette longue série semble comme un gage du maintien du répertoire classique qui a fait la réputation de la compagnie. D’autant plus qu’elle s’est enrichie cette saison d’artistes de réputation internationale : le russe Daniil Simkin qui venait de l’American Ballet Theatre, la cubaine Yolanda Correa qui a quitté le Ballet de Norvège et son compatriote Alejandro Virelles, transfuge du Ballet de Bavière. Avec Polina Semionova, première artiste invitée et Iana Salenko, le Ballet de Berlin est aujourd’hui en mesure d’offrir des affiches de grand talent. Il serait dommage de les gâcher.
Casse-Noisette de Yuri Burlaka et Vasily Medevedev par le Staatsballett de Berlin au Deutsche Oper. Avec Ksenia Ovsyanick (Clara), Dinu Tamazlacaru (Le Prince Coqueluche), Dominic Hodal (Drosselmayer) et Nikolaï Korypaev (Le Roi des souris). Jeudi 27 décembre 2018.