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Le Lac des cygnes de Radhouane El Meddeb – Ballet du Rhin

Voilà l’un des spectacles les plus attendus de ces derniers mois : Le Lac des cygnes revu par le chorégraphe tunisien Radhouane El Meddeb pour le dynamique Ballet du Rhin. Et l’un des premiers gros projets ambitieux – une création sur une soirée entière et toute une production créée autour – de Bruno Bouché, le directeur remarqué de la troupe depuis déjà deux saisons. Au final, il n’y a pas ici de relecture du Lac des Cygnes, ou un nouveau regard, ou une transgression. Il s’agit plutôt d’une variation autour de, menée par un chorégraphe qui, à l’adolescence, tombe amoureux de ce ballet. Il y a donc peut-être eu des déceptions lors de la première, pour ceux et celles qui s’attendaient à une transformation de ce ballet mythique. N’empêche que cette variation – au-delà d’offrir une partition chorégraphique nourrissante pour la compagnie – est bien menée, assez vive pour séduire le.la néophyte, riche de références pour l’aficionado. Et mine de rien, vient titiller le ballet classique sur plusieurs questions fondamentales, comme le genre du cygne ou la mixité du corps de ballet.

Le Lac des cygnes de Radhouane El Meddeb – Ballet du Rhin

« Un jeune garçon se plonge dans la musique du Lac des cygnes, il entend sa résonance puissante, le monument, la force extraordinaire qui s’impriment en lui […] Un jeune garçon […] est subjugué par la féerie, l’histoire d’amour déchirante, un mélange de conte de fée et de tragédie (tout cela tient dans la cassette audio enregistrée. Un petit trésor du monde de l’enfance, de l’adolescence…)« . En ouverture du programme, les mots de Radhouane El Meddeb donnent le ton. Son Lac des cygnes, c’est une façon de se replonger dans l’enfance, sur ce moment où il rencontre ce ballet, peut-être par hasard, et tombe amoureux de la danse. Sa version, c’est un hommage, et non une relecture. Le titre – Le Lac des cygnes – est ainsi peut-être une erreur, Variations autour de… aurait peut-être été plus juste. Mais tel est le choix du chorégraphe. 

Sur scène, le public (re)trouve ainsi la version traditionnelle : celle de Marius Petipa et Lev Ivanov pour les cygnes, celle de Rudolf Noureev pour les variations. Radhouane El Meddeb ne chorégraphie pas autour, mais il met en scène. Il décortique, il s’amuse avec une chorégraphique qu’il doit connaître par coeur, il déconstruit. Une variation devient ainsi un ensemble, un passage d’hommes est dansé par des femmes, Sigefried est aussi un cygne, le corps de ballet est androgyne et mixte. La musique est le vecteur et le liant, même si l’acte III a été complètement oublié (d’où aussi l’erreur du titre : un Lac des cygnes est-il un Lac des cygnes sans Odile ?). Le chorégraphe ne se lance pas dans une nouvelle interprétation, mais s’amuse avec ce ballet. Et le tout est assez bien ficelé pour que l’on ne tombe pas dans un simple enchaînement de variations. Les néophytes profitent ainsi d’une danse musicale et efficace dans sa mise en scène, mettant en valeur une troupe unie ; les habitué.e.s se réjouissent de voir de si nombreux clin d’oeil à un ballet vu et revu (le.la Balletomane, soyez-en sûr, vous aussi vous fredonnerez la deuxième variation du pas de trois quand un danseur s’y lancera en silence). 

Le Lac des cygnes de Radhouane El Meddeb – Ballet du Rhin

Ce Lac des cygnes peut ainsi se voir comme un divertissement (ce que l’on ne juge pas négativement), une danse bien menée qui tient le rythme pendant 1h30 et offre une partition chorégraphique nourrie aux interprètes. Mais cela va un peu plus loin que ça. Car mine de rien, ce Lac vient titiller la version originale, et surtout interroger certains fondamentaux de la danse classique que l’on pense immuables. Comment danser un ballet au XXIe siècle ? Comment se servir du langage académique aujourd’hui ? Beaucoup de compagnies de répertoire dans le monde s’interrogent sur ces questions, créent, remontent des versions. La question du genre et du rôle très sexuée de la technique classique n’est cependant que rarement abordée. Dans cette variation de Radhouane El Meddeb, les femmes s’emparent des variations masculines (et le font avec brio), les hommes sont Cygnes sans jouer dans le pastiche – et pris par l’enjeu ? Le travail des bras était globalement plus réussi chez les danseurs que chez les danseuses. Le corps de ballet se fait mixte aussi. Pourquoi, après tout, un cygne ne serait forcément que femme ? Ici, danseurs et danseuses forment un tout. Mélanger les sexes ne crée pas de dissociation dans le travail de corps de ballet, un ensemble se fait car chacun respirant et dansant avec l’autre. Thierry Malandain avait déjà abordé ce travail dans sa Rêverie romantique, un hommage aux Sylphides dans la même veine que ce Lac des cygnes. Il serait intéressant qu’un.e chorégraphe s’empare de ces questions pour une version traditionnelle, pour une compagnie purement classique. La danse classique ne fait pour l’instant qu’effleurer du doigt ces questions. 

Comme dit plus haut, ce Lac des cygnes de Radhouane El Meddeb est aussi l’opportunité pour le Ballet du Rhin d’éprouver sa technique plus classique. Et l’on suppose que Bruno Bouché a envie d’élever le niveau. Pour se faire, il faut danser. Les danseuses forment un ensemble plus naturellement homogène et précise dans leur technique, tandis que les danseurs, plus hétérogènes, ont parfois encore du mal face à la virtuosité (ils sont aussi plus sollicités au fil du ballet). Il sera ainsi intéressant de suivre sur ce point l’évolution du groupe au fil des différentes reprises. Le principe se dément cependant du côté des solistes. Céline Nunigé, naturellement plus portée vers le néo-classique, n’est pas forcément le cygne le plus convaincant qu’y soit, trop femme, trop dans la séduction. À l’inverse, Riku Ota est un magnifique meneur de troupe. Tantôt Siegfried, tantôt Cygne aux travail de bras très poétique, il fait preuve d’une superbe danse académique et musicale tout en montrant un charisme d’un soliste-né. Jeune danseur d’une vingtaine d’année, le Ballet du Rhin est son premier engagement après sa formation à l’école du Ballet de Stuttgart. Un jeune talent à suivre de très près et une vraie pépite pour le Ballet du Rhin. 

Le Lac des cygnes de Radhouane El Meddeb – Riku Ota et Céline Nunigé

Passons donc enfin sur le troisième acte inexistant pour sauter au final. Et Radhouane El Meddeb y change complètement de point de vue. Il met de côté les pas originaux pour façonner sa propre chorégraphie, beaucoup plus contemporaine. L’on sent cependant que le ballet l’a bercé pendant des années : son final est prenant, se servant avec force de la musique pour un pas de trois – Rothbart apparaît furtivement – d’une grande force dramatique. Riku Ota y est tout aussi surprenant, tandis que Céline Nunigé, naturellement plus à l’aise dans ce registre, déploie toutes ses qualités d’interprètes. Même si le tout est en soi réussi, le parti-pris déstabilise. Pourquoi ne pas avoir joué ce jeu de la variation jusqu’au bout ? Ou au contraire de ne s’être pas lancé dans une relecture totale, ce n’était pas visiblement les idées qui manquaient ? Cela donne finalement un côté bancal au spectacle, alors que tout se tenait plutôt bien jusque-là. 

Le Lac des cygnes a connu de multiples variations et relecture au fil de son histoire. Il est toujours intéressant de mettre en exergue ces hommages face à la version traditionnelle. Heureux hasard de la programmation, la tournée parisienne du Ballet du Rhin avec ce spectacle de Radhouane El Meddeb est prévu pour fin mars, soit quelques jours après la fin de la longue série signée Rudolf Noureev à l’Opéra Bastille. Une expérience de spectateur-rice à ne pas manquer. 

Le Lac des cygnes de Radhouane El Meddeb – Ballet du Rhin

 

Le Lac des cygnes de Radhouane El Meddeb par le Ballet du Rhin à l’Opéra de Strasbourg. avec Riku Ota et Céline Nunigé, et Monica Barbotte, Erika Bouvard, Marin Delavaud, Pierre Doncq, Ana-Karina Enriquez-Gonzalez, Hector Ferrer, Brett Fukuda, Eureka Fukuoka, Misako Kato, Pierre-Emile Lemieux-Venne, Jesse Lyon, Stéphanie Madec-Van Hoorde, Francesca Masutti, Maja Parysek, Alice Pernão, Maria-Sara Richter, Jean-Philippe Rivière, Marwik Schmitt, Wendy Tadrous, Alexandre Van Hoorde, Hénoc Waysenson et Dongting Xing. Jeudi 10 janvier 2019. À voir les 24 et 25 janvier au Théâtre municipal de Colmar, du 1er au 3 février à la La Filature de Mulhouse, du 22 au 24 mars au Manège de Reims et du 27 au 30 mars au Théâtre de Chaillot à Paris

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