Wonderful One – Abou Lagraa
Abou Lagraa est revenu au Théâtre de Chaillot pour y présenter sa dernière création Wonderful One, avec sa compagnie La Baraka. Cette pièce créée il y a deux ans explore l’être merveilleux dans un spectacle divisé en deux parties : un duo masculin puis un trio mixte, sur deux univers musicaux très différents dans une scénographie au cordeau signée Quentin Lugnier. Wonderful One exsude une atmosphère résolument humaniste et bienveillante, proposant une danse hypertonique dont l’intensité ne faiblit pas un seul instant.
« Être merveilleux, c’est pour moi la capacité de ne pas se définir comme un homme ou une femme mais s’affirmer et se remplir de son masculin et de son féminin », revendique Abou Lagraa dans la note d’intention du programme de Wonderful One. Cette parole résonne de belle manière lorsqu’au même moment, un danseur très médiatisé tient sur les réseaux sociaux des propos sexistes et homophobes. Le hasard de l’actualité fait là comme un pied de nez ! Le chorégraphe français illustre d’entrée son propos dans un duo purement masculin interprété par Pascal Beugré-Tellier et Ludovic Collura. Abou Lagraa a choisi pour cette première partie Le Combat de Tancrède et Clorinde de Monteverdi, extraite des Madrigaux guerriers et amoureux. Ce duo de 30 minutes débute autour d’un cube blanc biseauté placé à l’arrière scène côté cour. C’est comme une protection pour les danseurs, presque une maison dans laquelle on vit toutefois courbé. Et le duo tourne parfois au duel : attraction/répulsion, amour/haine : la danse alterne des moments paroxystiques quasi épileptiques et des phases plus lascives et érotiques sans jamais la moindre vulgarité. Abou Lagraa questionne dans Wonderful One le genre pour décrire la dualité des êtres avec poésie et sensualité.
La seconde partie s’engage sur un autre registre musical. Pour mettre en danse le trio, le chorégraphe s’appuie sur l’Orient avec les voix sublimes de l’égyptienne Oum Kalsoum et de la libanaise Marie Keyrouz. Au cube se sont substitués trois cintres mobiles faits d’acier aux motifs ajourés. Ludovic Collura revient sur scène flanqué de Sandra Savin et Antonia Vitti. Les cintres sont déplacés pour former des espaces sans cesse nouveaux dans lesquels évolue le trio. Là encore, le mouvement et la danse n’établissent aucune définition du genre. Les rapports de forces naissent et se construisent selon les individus. Le geste est toujours plein, souvent rapide. Il arrive aussi que l’on chute en chemin. Cette deuxième partie est comme un prolongement de la première bien qu’elle soit moins évidente à saisir. Mais le trio n’est-il pas nécessairement quelque chose de plus complexe ? Ce sont « deux façons de poser un regard sur l’humain, deux manières d’enchanter le réel, de prendre en compte le morcellement du monde et la fragilité de nos espaces », explique Abou Lagraa. Il y a sans doute une part de naïveté dans cette pétition artistique. Mais ce qui se dévoile sur scène est un désir d’harmonie dont on ressort émerveillé. C’est fort salutaire en ces temps compliqués !
Wonderful One d’Abou Lagraa par la compagnie La Baraka au Théâtre de Chaillot. Avec Pascal Beugré-Tellier, Ludovic Collura, Sandra Savin et Antonia Vitti. Jeudi 17 janvier 2019. À voir jusqu’au 24 janvier, puis au Théâtre de la Ville de Luxembourg les 5 et 6 mars.