[Prix de Lausanne 2019] En cours de danse classique avec Élisabeth Platel
Ces dernières années, c’est traditionnellement Stefanie Arndt qui était en charge des cours de danse classique des filles au Prix de Lausanne. Cette fois-ci, nouveauté : la directrice de l’École de Danse de l’Opéra de Paris, Élisabeth Platel, s’en charge. À quoi ressemblent ses cours, forcément marquée par l’école française ? Qu’apporte-t-elle de particulier aux candidates ? Cet enseignement leur plaît-il ? Reportage et témoignages de quelques apprenties danseuses.
NDLR : Sollicité par DALP, l’Opéra de Paris a répondu négativement à notre demande d’interview d’Élisabeth Platel pour ce reportage.
La présence d’Élisabeth Platel au Prix de Lausanne comme professeure de danse classique des candidates est une des grandes nouveautés de cette 47e édition. Stefanie Arndt, ancienne lauréate (1983), occupait ce poste ces dernières années, en fidèle recrue de l’équipe pédagogique du concours. Il était ainsi plus qu’intriguant – dans le bon sens du terme – de voir la directrice de l’École de Danse de l’Opéra de Paris récupérer ce poste. Car l’Étoile, qui a commencé à donner des cours de danse à ses pairs très tôt dans sa carrière, est une passionnante pédagogue.
Les exigences d’une semaine de concours
Prioritairement, c’est sur l’adaptation à des circonstances de concours qu’Élisabeth Platel a insisté cette semaine. Interrogée mercredi par la RTS (Radio Télévision Suisse), elle a dit vouloir « leur donner la possibilité de se calmer, de se montrer au mieux, d’être très entraînées, c’est-à-dire assez bien échauffées, mais sans trop les fatiguer« . Mais il s’agit aussi de les préparer à danser sur la scène du Palais de Beaulieu, réputée pour sa pente : « Aujourd’hui, on a fait le premier cours sur la pente. Pour moi, c’est quelque chose de très normal comme l’Opéra de Paris a une scène en pente. Mais là, j’ai construit des exercices pour les mettre en équilibre. Danser sur cette pente ce n’est pas très facile pour des enfants, pour de si jeunes danseuses« .
Ce souci d’accompagnement se décline aussi dans des conseils à plus long terme qu’elle donne aux candidates au fil des leçons. Aussi, les parallèles qu’elle effectue avec leur future carrière sont nombreux. Ses cours regorgent de petites anecdotes et comparaisons. Elle leur rappelle qu’une arrivée nette et rapide lors des exercices en groupe est la même que celle dont elles devront faire preuve comme danseuses de corps de ballet, leur explique l’importance de la précision des batteries pour toutes les chorégraphies qu’elles interpréteront au cours de leur carrière, de Marius Petipa à William Forsythe. Élisabeth Platel évoque aussi souvent l’histoire de la danse, d’exercices en exercices, pour illustrer les explications techniques qu’elle donne aux jeunes danseuses. La distinction des deux types de ronds de jambe en l’air qu’elle leur demande ou non est par exemple étoffée de références à Auguste Bournonville.
Une professeure admirée
Sa propre carrière n’est jamais loin non plus. Sans jamais se mettre en avant, Élisabeth Platel évoque souvent ceux ou celles qu’elle a croisé.e.s, professeur.e.s, chorégraphes, partenaires ou directeur.ice.s. Comme lorsqu’elle remercie la pianiste, la voix pleine d’émotion, d’avoir joué la musique de Piège de Lumière, ballet créé pour Rosella Higntower… Ou qu’elle évoque Rudolf Noureev, selon une habitude qu’on lui connaît. Cette carrière, les candidates la connaissent bien, d’ailleurs, et nombreuses sont celles qui disent l’admiration qu’elles ont pour leur professeure d’une semaine. Une candidate australienne me raconte, les yeux tout brillants, toujours avoir été inspirée par l’Étoile parisienne. L’argentine Paloma Ramirez parle carrément de « rêve et d’honneur de prendre des cours » avec elle. « J’aime beaucoup la regarder marquer les exercices, qui sont à la fois très beaux et très difficiles« . Et de finir par évoquer… Les Enfants de la danse, documentaire qu’elle connaît par cœur et dans lequel elle a l’impression de se retrouver lors des leçons d’Élisabeth Platel.
Le défi de l’École française
Tout n’est pas néanmoins évident pour les candidates cependant : elles sont très peu à avoir expérimenté auparavant ce qui fait peut-être la plus grande particularité de l’enseignement d’Élisabeth Platel, le fameux style français. Toutes les candidates évoquent ainsi les épaulements et l’engagement artistique des bras. L’australienne Grace Humphris a quant à elle été surprise, aussi, par le terme de « couronne« utilisé par la professeure à propos d’une position des bras qui n’avait jusqu’ici pour elle d’autre nom que la cinquième. Le travail du haut du corps est ce qui a été le plus déstabilisant pour elle durant ces cours de danse : « Je remarque beaucoup de différences au niveau des bras, je viens d’une technique anglaise. Il y a beaucoup d’épaulement, des bras et des têtes spécifiquement établis. Ce n’était presque pas naturel pour moi, au début, de bouger comme cela« . L’anglaise Bel Pickering a aussi dû s’adapter. « Je viens d’une technique russe à la base« , explique-t-elle. « Ici, j’ai surtout remarqué certains détails qui rendent les mouvements plus simples, mais en apparence seulement. Car c’est en fait très difficile à réaliser de la bonne façon. Et je ne suis pas habituée à tous ces exercices de petite batterie que nous fait faire Élisabeth Platel, je n’en fais presque jamais dans mon école« .
Certaines s’adaptent par contre sans problème, comme la candidate Yukino Chiba. « Mes professeurs ont dansé en Europe, donc les cours donnés ici me sont assez familiers« , explique-t-elle. C’est aussi le cas de Mackenzie Brown, qui pour sa part a su appréhender les exercices de petite batterie avec aisance, préparée au cours de sa formation monégasque, ce qui n’est de loin pas le cas de toutes ses compatriotes étudiant encore aux États-Unis par exemple. Ce style étant par endroits si spécifique, on pouvait au final redouter qu’il devienne contre-productif et bloque quelques candidates, en appuyant sur des points qu’elles n’ont pas forcément l’habitude de travailler. Mais les apprenties danseuses ont plutôt tendance à contredirent cet apriori. Ce qui pouvait faire craindre une contrainte s’est en fait révélé fécond, et toutes les candidates semblaient ravies de l’épanouissement artistique qu’elles ont connu en cours de danse classique cette semaine. À l’image de Grace Humphris : « Elle nous a fait faire de très bonnes barres, qui semblaient difficile au début mais on s’y est habitué. Sa carrière m’a beaucoup inspirée, c’est vraiment excitant de l’avoir comme professeure« .
On ne sait pas encore si ce changement est durable, ou si la présence d’Élisabeth Platel était exceptionnelle et propre à cette 47e édition du Prix de Lausanne. Il reste que sa participation pourrait bien y avoir ajouté une valeur substantielle. Ce n’est pas tant que la directrice de l’École de danse a fait mieux que ce qui se faisait ces dernières années, car il n’y a pas lieu de comparer son travail avec celui de Stefanie Ardnt sur ce plan. Elle a néanmoins fait différent : au-delà de son aura de star qui n’échappe à aucune candidate, elle a permis à toutes ces jeunes danseuses de s’exprimer par le biais d’un style qui ne leur est pas familier, qu’elles se sont progressivement approprié au fil de la semaine et de l’approfondissement des exercices. Il ne pourra être que passionnant de suivre l’évolution d’Élisabeth Platel à ce poste, si elle y reste. Si ce n’est pas le cas, cette édition restera tout au moins changée par sa présence.
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merci pour ce passionnant article