Don Quichotte – Compañía Nacional de Danza de España
Un Don Quichotte pour la Compañía Nacional de Danza de España (la Compagnie Nationale de Danse d’Espagne), voilà ce qui sonne comme une évidence. Et pourtant, pas vraiment, tant ce ballet de Marius Petits et Ludwig Minkus est un empilement de stéréotypes sur l’Espagne. Quand José Martinez, le directeur de la troupe, a créé sa version de Don Quichotte en 2015, il s’agissait peut-être avant tout de donner un ballet classique à sa troupe plutôt néo, une oeuvre capable de tourner et où ses danseurs et danseuses pouvaient éprouver leur technique académique. Tant qu’à faire cependant, José Martinez a débarrassé ce ballet de certains clichés hispaniques et y a rajouté du véritable flamenco et des capes de toréador qui ne sont pas de pacotille. Le tout donne une production charmante et attachante, débarrassée de tous ces froufrous et paillettes qui piquent parfois les yeux. La Compañía Nacional de Danza de España n’est pas bien grande, mais elle occupe la scène avec justesse. Et n’a pas à rougir de sa technique classique, même si ce n’est pas son principal coeur de répertoire. Le jeu de la pantomime, si spécifique, est par contre forcément moins abouti. Mais quelques danseurs comédiens-nés rattrapent le tout, Yanier Gómez en tête en Basile irrésistible et drôle. Une soirée d’autant plus appréciée à la Maison de la Danse de Lyon que le ballet se fait rarissime dans la région.
Don Quichotte, on le sait, n’est qu’un pure prétexte à un délicieux divertissement porté par la rigueur académique, un feel-good ballet sans grande grande dimension psychologique mais si bien fait qu’il a traversé les siècles. Et qu’il se revoie d’ailleurs avec toujours autant de plaisir, même en en connaissant les variations par coeur. Il y a quelque chose d’éminemment sympathique dans ce ballet, de rafraîchissant, une drôlerie toute simple qui fonctionne pour peu que la troupe sait y croire. Et c’est ce qui se passe dès le lever du rideau pour la Compañía Nacional de Danza de España, en tournée à Lyon. Décors plutôt réalistes et joliment faits, tenues de pêcheurs et de villageois.es toutes simples mais harmonieuses : l’on est de suite plongé sur la place d’un village en Espagne, lieu commun en accord finalement avec l’histoire banale qui se joue sur scène, celle d’une jeune femme voulant épousant l’homme qu’elle aime (et qui ont ici gardé leur prénom d’origine). Qui dit Don Quichotte dit souvent clinquant à outrance pour en mettre plein les yeux. La production de José Martinez revient à une certaine simplicité bienvenue, qui donne beaucoup de charme et de véracité à ce premier acte. Les toréadors et leurs comparses sont en tenue traditionnelle et l’on sait ici frapper dans ses mains pour marquer le rythme du flamenco. La différence avec la tenue aristocrate et tape-à-l’oeil de Gamache, le prétendant de Quitéria, n’en est d’ailleurs que plus savoureuse et drôle.
Le premier acte est donc des plus agréables et la Compañía Nacional de Danza de España se défend d’une façon tout à fait honorable dans cette danse académique, alors que ce n’est pas ce qu’elle danse le plus souvent. Le petit corps de ballet est en harmonie et vivant, tandis que l’on repère déjà quelques talents virtuoses parmi les ami.e.s de Basile et Quitéria. Cette dernière est dansée avec charme et piquant par Giada Rosi, même si la pantomime n’est pas forcément son point fort. C’est d’ailleurs à ça que l’on voit que la troupe n’est pas forcément habituée de ces ballets du répertoire. Si l’ensemble est souriant, les pures scènes de jeu sont trop souvent forcées, ou au contraire pas assez marquées. Ana Pérez-Nievas et Ion Agirretxe ont ainsi un peu de mal à imposer leur personnage de Mercedes et Espada, tandis que Isaac Florencio manque de verve et d’un certain panache en Don Quichotte, trop sur la réserve. Mais Yanier Gómez, le Basile du soir, rattrape le tout. Très à l’aise dans le jeu d’acteur, à la fois romantique et drôle, il sait jouer du flirt comme des situations comiques pour porter toute l’action, sachant accentuer les choses juste comme il faut pour faire rire la salle sans que cela paraissent outrancier. Ambiance macho-pas méchant : regard de mâle pendant ses variations et clin d’oeil aux demoiselles, mais qui ne vit finalement que pour servir sa chère et tendre. À ce jeu, il est très bien secondé par José Antonio Geguiristain en père de Quitéria, par Jésús Florencio en Sancho Panza très porté sur la boisson et les jolies filles et par Álavaro Madrigal en Gamache affrété et vraiment drôle. Yanier Gómez forme de plus un couple bien assorti avec Giada Rosi, un duo Quitéria/Basile qui respire la joie de vivre et de danser comme on les aime.
Le deuxième acte est tout aussi bien mené dans l’action de sa première partie, même si encore une fois le Don Quichotte du soir manque un peu de saveur. Les gitans et le moulin rattrapent le tout. La scène des Dryades souffre par contre d’un manque de moyen, avec un décor plus que limité et des tutus pas loin de cheap, qui tranchent d’autant plus avec la production soignée des actes 1 et 3. D’autant plus dommage que les danseuses n’ont pas à rougir de leur travail d’ensemble, tout comme les solistes avec notamment la remarquée et piquante Giulia Paris en Cupidon, même si Giada Rosi reste plus à l’aise dans sa robe rouge de Quitéria. Après une entracte où Gamache déambule dans les allées pour nous distribuer les faire-part de son mariage (décidément, j’aime bien ce personnage), l’on retrouve avec plaisir la place de village animée. Comme au premier acte, Yanier Gómez et les personnages de caractère font vivre l’action avec justesse et drôlerie, avant un grand pas d’une grande classe mené avec panache par les deux protagonistes, et apprécié à sa juste valeur par le public de Lyon, peu habitué au ballet classique. C’est d’ailleurs devant une salle comble, debout et tapant dans ses mains au rythme de la marche de Minkus (musique enregistrée mais avec une acoustique heureuse) que la Compañía Nacional de Danza de España et son directeur José Martinez saluent une dernière fois. En espérant que ce succès donne quelques idées de programmation à des théâtres lyonnais qui auraient la place d’accueillir un ballet avec orchestre.
Don Quichotte de José Martinez d’après Marius Petipa et Alexander Gorski par la Compañía Nacional de Danza de España à la Maison de la Danse. Avec Giada Rosi (Quitéria), Yanier Gómez (Basile), Lucie Barthélémy (Dulcinée), Isaaac Montllor (Don Quichotte), Jésús Florencio (Sancho Panza), Ana Pérez-Nievas (Mercedes) et Ion Agirretxe (Espada), Álavaro Madrigal (Gamache), Shani Peretz, Laura Pérez Hierro (les deux amies), Giulia Paris (Cupidon), Anthony Pina (le Chef des gitans) et Carlos Faxas (le curé). Lundi 11 février 2019. À voir jusqu’au 13 février. La troupe est en tournée en France en 2019 avec des soirées mixtes.