Hard to be Soft – La prière nord-irlandaise pour Belfast d’Oona Doherty
Oona Doherty a fait irruption tel un météore sur les scènes françaises il y a trois ans, du côté des plateaux de la Briqueterie de Vitry-sur-Seine qui a lancé sa carrière dans l’Hexagone avec son solo Hope Hunt ! La chorégraphe et danseuse nord-irlandaise y est revenue régulièrement, notamment lors de la Biennale de la Danse du Val-de-Marne qui l’y a invitée pour son édition 2019 qui a eu lieu en avril. Au programme : trois spectacles d’Oona Doherty, dont la reprise de Hard to be Soft – A Belfast Prayer, création choc et politique nourrie par son expérience de l’Irlande du Nord et de sa capitale Belfast. Une œuvre radicale qui impose un style à l’énergie tout à la fois tendre et féroce.
Tout respire l’Irlande dans Oona Doherty et singulièrement l’Irlande du Nord : son nom, sa manière de parler l’anglais, son physique de garçon manqué à la peau diaphane. De sa vie à Belfast, elle a tiré une pièce magnifiquement articulée en quatre chapitres qu’elle a chorégraphiée et dans laquelle elle danse. Dans l’imaginaire collectif, bien que la paix soit maintenant revenue, le seul nom de Belfast convoque immédiatement violence, guerre civile, délinquance et misère sociale. Oona Doherty se saisit de ce matériau pour le sublimer et offrir une pièce infinimentpoétique, joyeuse et mélancolique à la fois, entrecoupée de bruits de la ville, de dialogues de bars, d’échos de bagarres.
Rien n’est asséné dans cette prière pour Belfast et c’est par le geste qu’Oona Doherty se veut politique. Elle interprète deux solos, le premier et le dernier des quatre épisodes, de blanc vêtue, crâne ras tel un bonze des temps modernes. Son corps tout entier raconte Belfast : il se tord, se tend et se détend, mêlant danse urbaine, hip hop et capoeira. Elle mime parfois comme parlant avec un interlocuteur invisible. Oona Doherty passe en un instant d’une émotion à une autre sans effet, juste avec un geste du corps.
Présence scénique hors pair mais un sens du partage qu’Oona Doherty met en scène dans Hard to be Soft, en mettant face à face deux colosses : John Scott qui fut une grande figure de la danse irlandaise et son ami Sam Finnegan. Ils avancent l’un vers l’autre, ventre en avant pour lutter et s’enlacer à la fois dans un superbe contraste de force physique et de grande douceur. Le texte en préambule évoque ce conflit des générations, entre pères et fils, entre ceux qui ont connu la guerre civile et en sont sortis meurtris et ceux qui ont grandi dans un Belfast pacifié. Ce Belfast-là, c’est l’épisode Suger Army qui le décrit, mettant sur scène neuf danseuses amatrices pieds nus et tenues fluos, entre courses et danse clubbing. Oona Doherty les a dirigées pour cette reprise lors d’un atelier à la Briqueterie co-organisé par le Théâtre de la Bastille et le Théâtre d’Ivry.
Il y a une authentique générosité chez Oona Doherty, un regard toujours bienveillant sur son environnement – l’Irlande du Nord et Belfast – et une parfaite justesse dans la manière de le restituer sur scène. Son univers est foncièrement politique mais c’est avec la geste qu’elle s’exprime. nous donnant furieusement envie d’aller visiter ses territoires.
Hard to be Soft, A Belfast prayer d’Oona Doherty au Théâtre de la Bastille. Avec Oona Doherty, Baptiste Caute, Thomas Blumenfeld, Danis Gourdien, Kevin Salles, Emy Aguirre, Clémentine Babin, Chloé Boisseuilh, Maëlle Cirou, Chloé Gaudin, Sarah Murcia, Lalasoa Randriantsainarivo, Shanez Sanaa-Plainfosse, Sokhna Sall, John Scott et Sam Finnegan. Lundi 8 avril 2019. À voir en tournée européenne.