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Iñes Bogéa, directrice de la São Paulo Dance Company : « La culture brésilienne est dans notre danse »

La São Paulo Dance Company n’a que dix ans d’existence, et déjà cette compagnie classique a conquis le monde sous la direction artistique d’Iñes Bogéa, ancienne danseuse, écrivaine et documentariste. Le répertoire de cette troupe couvre à la fois les grands ballets classiques d’après Marius Petipa, les pièces néo-classiques de George Balanchine et les chorégraphes contemporains de William Forsythe à Jiří Kylián. La São Paulo Dance Company passe pour trois soirées au Théâtre de Chaillot, du 18 au 20 avril, avec un programme mixte réunissant Suite pour 2 pianos d‘Uwe Scholz et L’Oiseau de Feu de Marco Goecke, deux pièces déjà montrées à la Maison de la Danse de Lyon la saison dernière, et la création de Joëlle Bouvier Odisseia, co-produite par le Théâtre de Chaillot. Iñes Bogéa s’est attardée pour DALP sur le parcours étonnant de cette compagnie qui sera en tournée dans toute la France en mars 2020.

Iñes Bogéa

La São Paulo Dance Company est une très jeune compagnie, dix ans seulement. Qui a décidé de créer une compagnie classique à São Paulo ?

En fait, c’est le secrétaire à la culture de l’époque et le gouvernement de l’état de São Paulo. J’étais parmi les personnes invitées pout discuter de ce projet et on m’a demandé si j’étais prête à créer une compagnie classique et contemporaine, car il faut évidemment présenter l’héritage du passé mais aussi être connecté au monde d’aujourd’hui. Il n’y avait aucune compagnie classique professionnelle dans  l’immense Etat de São Paulo. Il y a des troupes contemporaines excellentes et une compagnie classique à Rio de Janeiro mais c’est tout.

 

Il a donc fallu recruter tous les danseurs et danseuses. Comment avez-vous fait ? 

Le Brésil est un pays immense et la première étape fut d’organiser un tour du pays pour auditionner danseuses et danseurs. Ce fut incroyable : plus de 800 artistes ont postulé pour passer cette audition et nous en avons choisi… 36 ! C’était un vrai challenge car il fallait aussi recruter l’équipe technique, les répétiteurs et répétitrices, et créer une compagnie avec une âme et qui puisse aussi refléter l’esprit de São Paulo.

La São Paulo Dance Company

Et les 36 interprètes que vous avez sélectionnés avaient tous une formation classique ?

Oui, c’est une règle. Encore aujourd’hui, quand nous cherchons de nouveaux danseurs et danseuses, la première étape passe par le classique et les candidat.e.s doivent danser une variation de notre répertoire. Cela peut être George Balanchine aussi bien que William Forsythe. Le vocabulaire classique est notre base, notre langage  mais nous voulons aussi l’utiliser pour interpréter des chorégraphes contemporains. Nous voulons trouver des danseuses et des danseurs qui veulent partager cette aventure avec nous et danser un répertoire qui aille du classique au contemporain et qui se sentent à l’aise dans ces différents styles. Ils sont d’ailleurs surprenants, avec une étonnante ouverture d’esprit toujours prêts à expérimenter  de nouvelles choses.

 

Aviez-vous un modèle de compagnie quand vous vous êtes lancée dans ce projet ?

Le Ballet de l’Opéra de Pars est évidemment un très très grand modèle car c’est la compagnie la plus importante au monde qui combine un répertoire classique et contemporain. Mais aussi l’American Ballet Theatre et le New York City Ballet, même si nos effectifs sont plus modestes. Je fus moi-même danseuse mais j’ai commencé comme gymnaste, puis je suis passée par la capoeira, j’ai commencé la danse classique et j’ai atterri à Grupo Corpo (ndlr : compagnie de danse contemporaine brésilienne). C’est un voyage qui permet d’utiliser son corps, de parler différents langages et aborder des univers variés.

 

Aviez-vous à l’esprit un répertoire spécifique ?

J’ai choisi deux lignes spécifiques. Tout d’abord le ballet classique en ayant à l’esprit le respect d’une tradition, et en se demandant comment cette tradition peut s’exprimer aujourd’hui. Si vous faites Le Lac des Cygnes en 2019, ce n’est pas le ballet que l’on voyait lorsqu’il a été créé à Saint-Pétersbourg ! Mais c’est tout de même Le Lac des Cygnes et le public est toujours en phase avec ces grandes histoires de passion et d’amour. L’an dernier, nous avons fait une recréation du Lac des Cygnes. C’est une version plus courte avec de nouveaux décors et de nouveaux costumes mais l’essence du ballet est là. Ma deuxième ligne artistique, ce fut de chercher les chorégraphes de la jeune génération qui sont capables de créer de nouvelles possibilités dans la danse.  Bien sûr, ce sont deux faces différentes mais qui sont reliées : George Balanchine, Michel Fokine, William Forsythe, Édouard Lock.. Et puis Nacho Duato, Joëlle Bouvier qui a créé une pièce pour nous et aussi évidemment de jeunes chorégraphes brésilien.ne.s. Pour moi,  tous ces artistes sont importants et je sais que nous pouvons les danser. Je n’irai pas m’aventurer dans un style que nous ne pourrions pas faire. J’aime la danse-théâtre et Pina Bausch en particulier mais nous ne saurions pas nous approprier cette technique, c’est hors de notre spectre.

Odisseia de Joëlle Bouvier – São Paulo Dance Company

Et comment choisissez-vous les créations avec des chorégraphes vivants ?

Tout d’abord, je suis mon instinct et mon point de vue. Ensuite, je vais parler avec la compagnie. Ils me donnent plein de noms nouveaux et des artistes qui les touchent, qui les émeuvent. J’essaye aussi de créer un univers. Par exemple, si je fais entrer Jiří Kylián au répertoire, je ne veux pas que ce soit une seule pièce. Idem pour William Forsythe ou Édouard Lock qui va créer une seconde pièce pour nous. C’est nécessaire pour nous de nous immerger plus profondément dans le langage et le style d’un ou d’une chorégraphe. J’essaye toujours de trouver un fil conducteur, une logique artistique quand j’assemble un spectacle. Par exemple, si je mets une pièce de George Balanchine sur scène, il y a comme une évidence à la faire suivre de William Forsythe car on voit comment se déploie dans l’espace et se modifie le mouvement classique. Chacun me donne un indice supplémentaire. Ce n’est pas forcément très rationnel mais c’est quelque chose que je sens profondément. Chaque année, je regarde ce que nous avons fait, comment nous avons progressé pour savoir où nous allons aller par la suite.

 

Vous venez à Paris avec une création de la chorégraphe française Joëlle Bouvier. Comment s’est opérée cette rencontre ?

J’ai été invitée  à voir Tristan et Isolde de Joëlle Bouvier pour le Ballet de Genève. C’est une magnifique pièce et quand je l’ai vue, je me suis dit qu’elle savait parler à travers les images et avec des mouvements très délicats, elle crée un univers poétique. Et ainsi nous avons commencé une conversation pour savoir vers où nous orienter. Joëlle Bouvier est venue voir la compagnie et elle a beaucoup aimé notre travail. Guy Darmet (ndlr : créateur de la Biennale de la Danse de Lyon) a eu l’idée première du compositeur Heitor Villa Lobos. Cela a enthousiasmé Joëlle qui voulait  ajouter Bach car nous sommes à la fois brésiliens et internationaux. Elle souhaitait aussi parler des grandes migrations, des traversées. Odisseia est une œuvre à la fois simple et sophistiquée et à chaque fois que la vois, je suis profondément émue car elle nous parle de l’humanité et comment rester soi-même au delà des difficultés. C’est une pièce sur le besoin des autres, du groupe.

 

Est-ce que c’est important pour la compagnie de venir à Paris ?

C’est une forte émotion. Etre dans ce magnifique Théâtre de Chaillot, c’est merveilleux, pouvoir montrer au public parisien notre compagnie et notre art. Nous parlions tout à l’heure des chorégraphes brésiliens. Il n’y en a pas dans ce programme mais notre culture brésilienne, on peut la voir sur scène, dans notre corps, dans notre danse. Elle est à l’intérieur de nous.

 

La São Paulo Dance Company au Théâtre de Chaillot du 18 au 20 avril

 

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