Jiří Kylián : « Au fond, toute mon oeuvre ne parle que de l’amour et de la mort »
Le Ballet de l’Opéra de Paris reprend Doux mensonges de Jiří Kylián, lors de la soirée contemporaine Teshigawara/Brown/ Kylián qui démarre le 31 octobre. Ce ballet a été créé pour la compagnie parisienne en 1999. Pour cette nouvelle reprise, une rencontre publique a été organisé avec Jiří Kylián. La chorégraphe a évoqué Doux mensonges et sa vision de la danse. Compte-rendu.
Pourquoi ce titre, Doux Mensonges ?
Lors de la création du ballet, j’étais sur le plateau du Palais Garnier avec Hugues Gall, le directeur de l’Opéra de Paris de l’époque. ll m’a demandé pourquoi ce titre. Je lui ai dit qu’en haut de cette maison, il y a Apollon musagète. En dessous, dans les tréfonds, il y a le fantôme. Et tout ce qu’il y a entre les deux n’est que mensonge.
Doux mensonges parle beaucoup du couple et de l’amour. Ce sont des thèmes importants pour vous ?
Un grand critique littéraire allemand vient de mourir. Dans son dernier entretien, il a dit que toute la littérature, au fond, se réduisait à ces deux questions que sont l’amour et la mort, qui sont les deux grands mystères que l’on ne comprend pas. Je pense que tout mon travail parle de l’amour et de la mort. C’est banal, mais c’est ça.
Comment avez-vous choisi la musique ?
La musique que j’ai choisie est écrite par deux compositeurs de la Renaissance italienne : Monterverdi qui est le Duc des Lumières et Gesualdo qui est le Prince des ténèbres. Ce dernier était vu comme un grand novateur en matière de musique vocale. Mais il avait une face cachée : il a un jour surpris sa femme avec son amant, il les a assassinés tous les deux et a laissé les cadavre sur place pendant trois jours. Dans ce ballet, je cherche à montrer évidemment la face lumineuse, mais aussi le côté obscur que chacun a au fond de soi.
La musique a été la source d’inspiration de Doux mensonges. Je suis particulièrement attaché à cette période de la Renaissance et à la musique baroque.
Les textes des chants ont-ils eu une importance ?
Bien sûr. Mais c’est toujours la musique qui est le plus important pour moi.
Comment travaillez-vous avec vos interprètes ?
Pour moi, il est primordial d’aborder chaque danseur et danseuse en tant qu’individu, et de considérer la différence avec celui ou celle qui est à côté de lui. Heureusement et malheureusement, nous venons d’une tradition du ballet classique, où on voit quantité de danseuses habillées de manière identique, qui lèvent le bras et la jambe de manière identique. C’est la raison pour laquelle, maintenant, je ne travaille plus avec de très gros effectifs. Je travaille avec six danseurs et danseuses au maximum dans mes créations actuelles. Je peux ainsi aller à l’intérieur de la personnalité de chacun.
La danse est la plus ancienne de toutes les formes d’art, encore plus ancienne que la peinture, le chant ou la musique. Ce qui caractérise la danse, c’est que le corps humain se met lui-même en jeu. Il n’y a pas d’intermédiaire. C’est la chose la plus pénible et la plus lourde. Pour les danseurs et danseuses, on se lève le matin, et après on est condamné à être toute la journée devant la glace, à se regarder, à s’accepter tel que l’on est.
Doux mensonges sera interprété pour cette reprise par Eleonora Abbagnato, Alice Renavand, Stéphane Bullion, Vincent Chaillet, puis par Eve Grinsztajn, Aurélia Bellet, Alexandre Gasse et Alessio Carbone. Comment les avez-vous choisis ?
C’est d’abord moi qui les ai choisis. Je crois que la question du choix est la plus importante et la plus difficile. Pas seulement pour la personne que l’on choisit, qui va forcément être contente, mais pour toutes les autres que l’on n’a pas prises. Il faut aussi penser à ces personnes-là. J’ai dirigé une compagnie de ballet pendant 25 ans, c’est une question que je connais bien.
Évidemment, les interprètes qui dansent Doux Mensonges aujourd’hui ne sont pas les mêmes qu’à la création. Ils sont obligés de répéter les mêmes gestes que leurs prédécesseurs. Mais je suis là aussi pour qu’ils donnent d’eux-mêmes et qu’ils apparaissent en tant qu’individus.
Pouvez-vous nous parler de la scénographie particulière de Doux mensonges ?
Dans ce ballet, on voit les danseurs et danseuses évoluer sur scène, puis passer à travers des trappes sous la scène, où on peut les voir danser grâce à des caméras. Il se passe des choses mystérieuses sous la scène… Les images sont projetées à l’arrière du plateau. La caméra permet de montrer le visage d’un danseur ou d’une danseuse de très près, donc ses sentiments les plus intimes. C’est quelque chose que l’on ne peut absolument pas voir quand on est installé en haut du Palais Garnier.
Ce sont des vérités premières, mais, pour un danseur ou un acteur, quand on est face à une caméra, sourire d’un millimètre va sembler être un mètre projeté sur un grand écran. Il faut donc apprendre à réduire l’expression.
C’était la première fois que vous utilisiez la vidéo ?
Ce n’était pas la première fois que j’utilisais la vidéo, mais la première fois que je l’utilisais en live, avec un retour en direct. J’ai une passion pour le cinéma de Buster Keaton, de Charlie Chaplin et le cinéma muet. J’ai inventé pour Doux mensonges une technique particulière. En répétition, nous avons enregistré la musique et nous l’avons ralentie à 50 %. Les danseurs et danseuses ont appris à danser à cette vitesse. Quand ils ont entendu la musique à sa vitesse réelle, les interprètes dansaient donc deux fois plus vite, il y a eu un effet d’accélération. Ça paraît impossible mais l’effet comique est très fort.
Qu’est-ce que la technologie peut apporter à la danse ?
Je suis très intéressé par le couple que forment la danse et le cinéma. J’ai créé un ballet où il y a d’un côté une représentation filmée, et de l’autre côté des êtres vivants. La technologie est en train de pousser les limites de la chorégraphie. Ceci étant dit, je crois qu’il est important de se dire qu’il ne faut jamais devenir esclave de cette technologie.
Il y a une part d’improvisation lors de ces passages sous la scène ?
Oui, les danseurs et danseuses sont libres d’improviser à ce moment-là, mais contraint-e-s par un thème. Ils doivent donner la part obscure d’eux-mêmes, quelque chose qui est à l’intérieur de leur corps et que je ne voulais pas, moi, deviner.
Les danseurs et danseuses réussissent-ils à vous montrer cette face obscure ?
Non, parce qu’il ne s’agit que de mensonges (sourire).
Joelle
Encore une découverte qui promet !!!! 🙂
Joël
« En répétition, nous avons enregistré la musique et nous l’avons ralentie à 50 %. Les danseurs et danseuses ont appris à danser à cette vitesse. Quand ils ont entendu la musique à sa vitesse réelle, les interprètes dansaient donc deux fois plus vite, il y a eu un effet d’accélération. Ça paraît impossible mais l’effet comique est très fort. »
Je n’ai pas du tout compris comme le traducteur officiel de la rencontre ce qu’a dit Jiří Kylián. On verra bien…
a.
Ah! Kylian…. c’est vraiment le plus grand… (soupir) J’ai un souvenir absolument limpide de ce ballet alors que e ne l’ai pas vu depuis au moins 15 ans ! (quel métier, tout de même, Amélie, passer de Danse académie (ou truc du même genre) à Kylian ! vous êtes la pro du grand écart!)
Joelle
@a. : Amélie est définitivement la pro du grand écart. j’adore l’expression ! 🙂
Maintenant que j’ai vu ce superbe ballet, je suis envoutée, même malgré la violence de la scène où Stéphane B. a « agressé » la pauvre Alice R. sous les dessous de la scène de Garnier ! Tandis que Eleonora A. maîtrisait bien son Vincent C. ! 🙂