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Rencontre avec Roman Mikhalev, Étoile du Ballet de l’Opéra de Bordeaux, pour ses adieux à la scène

Roman Mikhalev, Danseur Étoile du Ballet de l’Opéra de Bordeaux depuis 2012, fait ses adieux à la scène le vendredi 31 mai à l’issue d’une représentation du programme Quatre tendances. Un grand moment d’émotion tant ce danseur, formé à la prestigieuse Académie Vaganova de Saint-Pétersbourg, a incarné depuis 14 ans l’image de la compagnie bordelaise. Repéré par l’ancien directeur Charles Jude, Roman Mikhalev a dansé tous les grands rôles classiques mais aussi les chorégraphes contemporains (Jiří Kylián, Claude Brumachon, Thierry Malandain, Carolyn Carlson, Oha Naharin…). Avant cette soirée d’adieu, le danseur est revenu sur sa carrière et ses 14 années à Bordeaux.

Roman Mikhalev dans Suite en blanc de Serge Lifar

Vous faites aux adieux ce 31 mai après 14 ans passé avec la Ballet de l’Opéra Bordeaux. Dans quel état d’esprit êtes-vous ?

Je me sens bien, je crois que je suis prêt dans ma tête à quitter la scène. Il y a trois ans, j’ai eu quelques soucis de santé avec mes genoux. Bien sûr, je sais que je tourne un page importante dans ma  carrière de danseur mais je ne regrette rien du tout.

 

La carrière d’un danseur, c’est très court, est-ce qu’on doit se préparer psychologiquement très tôt à quitter la scène ?

Non ! Je crois qu’il faut profiter au maximum de sa vie de danseur. En fait, j’ai commencé à m’y préparer réellement au début de cette saison car je sentais que le temps était venu pour moi. Je voulais partir en étant encore en toute possession de mes moyens physiques. Mais il ne faut pas anticiper trop tôt et prendre du plaisir à tout ce qui arrive : les belles chorégraphies qu’on nous propose, les rencontres avec les chorégraphes. Évidemment, ça va être un peu triste pour moi. C’est vrai qu’il y a cinq ans après ma première opération de la rotule, j’ai pensé que peut-être il fallait m’arrêter. Je me suis posé la question mais je ne suis pas allé plus loin et j’ai eu raison car j’ai eu cinq belles années de plus. Cela m’a permis de danser les dernières chorégraphies de Charles Jude, Roméo et Juliette, Don Quichotte.

Il faut profiter au maximum de sa vie de danseur

 

 

Vous allez faire vos adieux lors de la soirée Quatre tendances et pour l’occasion, vous danserez une pièce que vous avez spécifiquement choisie.

Oui ! Avec Vestris. C’est une chorégraphie de Leonid Jacobson créée par Mikhaïl Baryschnikov en 1969 pour le premier concours international de la danse à Moscou. J’ai choisi cette pièce car j’avais eu l’occasion de la travailler lors de la fin de mes études à l’Académie Vaganova pour le spectacle de fin d’année. Malheureusement, le professeur qui me l’a transmise a dû partir en tournée et je n’ai pas pu la présenter sur scène. Je suis donc ravi de la reprendre. C’est une pièce qui résume  finalement la vie de danseur car il faut pour l’interpréter à la fois de la technique et des qualités d’acteur. En huit minutes de chorégraphie, on change six fois de masque. C’est Éric Quilleré qui m’a proposé cette soirée car Luigi Bonino ne m’a pas choisi pour Notre-Dame de Paris, le dernier spectacle de la saison pour le Ballet de l’Opéra de Bordeaux.

Roman Mikhalev (Albrecht) dans Giselle

Vous n’aviez pas encore 30 ans quand vous êtes arrivé au Ballet de l’Opéra de Bordeaux. Qu’est ce qui vous y a conduit ?

Le hasard, mais surtout la chance de rencontrer Charles Jude au Japon en 2003, alors que nous étions en tournée là-bas avec la compagnie du Théâtre Mikhaïlovski de Saint-Pétersbourg. C’était un grand gala en hommage à Rudolf Noureev et Charles Jude était le directeur artistique de cet événement. J’ai dansé le pas de deux du Don Quichotte avec Oksana Kucheruk (ndlr : devenue également Étoile à Bordeaux). Il nous a proposé de venir danser comme invités son Coppelia à Bordeaux. C’était en 2004. Charles Jude nous a ensuite dit qu’un couple de solistes quittait la compagnie et qu’il aimerait bien nous engager.

 

Vous avez hésité ?

Je n’ai pas hésité du tout car nous avions déjà travaillé dix ans au Théâtre Mikhaïlovski et c’était la fin de quelque chose. Je sentais qu’il fallait évoluer dans ma carrière de danseur et pas rester sur la même dynamique. Nous avions dansé tout le répertoire de la compagnie, je m’étais un peu installé dans une petite routine. Avec Oksana Kucheruk, nous avons décidé de nous lancer dans cette nouvelle aventure.

 

Vous aviez imaginé rester 14 ans au Ballet de l’Opéra Bordeaux ?

Pas du tout ! La première année, c’était très dure, je ne parlais pas le français (ndlr : qu’il parle aujourd’hui parfaitement), pas un mot ! Et puis c’était une école différente, l’école française. J’ai beaucoup souffert la première année pour apprendre cette technique surtout au niveau du saut et les petites batteries. À la Vaganova, on ne travaille pas de la même manière, ce sont deux écoles complètement différentes. Quand Charles Jude donnait des cours, c’était très difficile pour moi. Parfois, je n’arrivais même pas à sauter car en Russie, nous travaillons beaucoup avec les cuisses alors qu’en France, il ne faut utiliser que le bas de jambe. Ce fut difficile d’acquérir cette petite technique. Cela n’a pas été facile non plus de prendre la décision de rester car toute ma famille est en Russie. Mais je suis resté et cela fait désormais 14 ans que je vis à Bordeaux.

Roman Mikhalev dans Zatoïchi de Carlotta Ikéda

La ville vous a tout de suite séduit ou il la fallut du temps ?

Ce qui me manquait au début était amis, mais la ville m’a plu immédiatement. En plus Bordeaux est jumelé avec Saint-Pétersbourg. Mon premier ressenti, quand nous sommes allés nous promener avec Oksana Kucheruk sur les quais de la Garonne, est que j’ai pensé aux quais de la Neva (ndlr : le fleuve de Saint-Pétersbourg). Le bateau Colbert était encore attaché au port et il m’a rappelé le croiseur Aurore de Saint-Pétersbourg. Ce sont deux villes qui finalement se ressemblent beaucoup. Pas l’architecture bien sûr, mais l’esprit.

 

Vous vous sentez bordelais aujourd’hui ?

Oui ! (rires), un petit peu. Mais je vais tous les ans en Russie pour y voir ma famille. Et mes parents seront à Bordeaux pour ma soirée d’adieu et beaucoup d’amis aussi.

Bordeaux et Saint-Pétersbourg se ressemblent, pas dans l’architecture mais l’esprit

Quels sont les grands moments qui vous ont marqué durant ces 14 ans au Ballet de l’Opéra de Bordeaux ?

C’était tellement nouveau ici pour moi. À Saint-Pétersbourg, je dansais des rôles dans les chorégraphies de Marius Petipa. À Bordeaux, les chorégraphies de Charles Jude sont d’après Petipa, mais elles restaient très différentes de ce que je dansais en Russie. J’ai des souvenirs merveilleux de la pièce Zatoïchi de Carlotta Ikéda, c’était un mélange de danse et de spectacle dramatique et cela demandait de réfléchir autrement sur le rôle. Et c’est important pour moi de toujours réfléchir à un personnage, quel qu’il soit, pour le transmettre au public et qu’il comprenne ce que l’on voulait donner. Et puis, l’autre grand moment pour moi, c’est quand Charles Jude m’a donné le rôle de Roméo dans son spectacle. C’était mon rêve depuis le début de ma carrière mais on ne me voyait pas dans ce rôle. Charles Jude non plus d’ailleurs et à la création, j’ai dansé Mercutio. C’est deux ans plus tard qu’il m’a donné le rôle de Roméo. Mon rêve s’était réalisé !

Roman Mikhalev (Roméo) dans Roméo et Juliette de Charles Jude

Et avec quel chorégraphe vivant avez-vous aimé travailler ?

Il y en a beaucoup car cet univers de danse contemporaine, c’était totalement nouveau pour moi. La toute première rencontre, c’était avec Jiří Kylián avec Click-Pause-Silence. Puis il y a eut Claude Brumachon, Thierry Malandain, ce sont des chorégraphes avec qui j’ai adoré travailler. Je n’ai pas eu l’occasion de rencontrer William Forsythe mais on a dansé ici In The Middle Somewhat Elevated. Mais je crois que je pourrais les citer tous car cet univers de la danse contemporaine que je ne connaissais pas m’a énormément apporté.

 

Est-ce qu’on danse le classique différemment après ?

Oui, sans aucun doute. J’ai commencé à avoir une autre vision de mes rôles classiques. J’ai pu avoir plus de liberté dans l’interprétation  même si ce sont des rôles très écrits. Je les ai dansés autrement.

 

Quels sont vos projets ?

Je veux rester dans ce métier. J’aimerais devenir Maître de Ballet. Je vais m’y préparer l’an prochain, me former pour être prêt.

Roman Mikhalev dans Click-Pause-Silence de Jiří Kylián

 

Les adieux de Roman Mikhalev, le 31 mai au Ballet de l’Opéra de Bordeaux lors de la dernière du programme Quatre tendances



Comments (2)

  • Aventure

    Merci beaucoup pour cette intéressante rencontre ! Le public bordelais regrettera sans nul doute ce beau danseur, très attachant. Je suis triste de ne pas pouvoir assister à ses adieux, (et d’apprendre qu’il n’a pas été choisi pour Notre-Dame de Paris…) mais j’ai eu le plaisir de l’applaudir récemment dans La Fille mal gardée. Je lui souhaite le meilleur pour la suite ! Je garde de très beaux souvenirs de ses spectacles, notamment justement dans le rôle de Mercutio, il a été mon préféré à Bordeaux.

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  • Léa

    C’était une belle soirée d’adieux, il a été très applaudi à l’issue de la première pièce, la seule où il dansait. Le Vestris n’est pas en lui-même une variation très intéressante mais elle a permis d’admirer une dernière fois sa technique et surtout son expressivité.
    Les saluts, un peu courts pour le public, ont été très beaux : chaque danseur de la compagnie est venu lui donner une rose, blanche ou rouge, et toutes ont formé un beau bouquet !!! Un geste simple, mais beau, et qui montre l’unité de cette troupe et l’amitié pour ce danseur magnifique.
    Son Alain de Noel 2018, dans la Fille Mal gardée, restera dans les anales, avec un public tellement conquis qu’il fut plus applaudi que les rôles principaux !! et à raison, car il a donné à ce personnage une vie extraordinaire, une complexité, une densité dramatique….
    Formidable aussi avec Sara Renda dans Coppélia !!

    Merci et… adieux à cette étoile.

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