[Montpellier Danse] Angelin Preljocal ou Miguel Gutierrez : un dimanche de festivalier
La 39e édition de Montpellier Danse a débuté samedi 22 juillet avec en spectacle d’ouverture Une Maison de Christian Rizzo. À l’image de cette première, ce festival 2019 fait valser les grands noms : William Forsythe, Angelin Preljocaj, Anne Teresa de Keersmaeker avec un hommage spécial à Merce Cunningham pour le 100e anniversaire de sa naissance. Avec bientôt 40 ans d’existence, Montpellier Danse s’est imposé comme un des tout premiers festivals européens grâce à son directeur Jean-Paul Montanari, bien arrimé aux commandes et toujours en quête d’idées neuves et de projets singuliers. Récit du premier dimanche de ce festival, entre de belles surprises et d’aussi vraies déceptions avec Angelin Preljocal et Miguel Gutierrez.
Arriver le dimanche en début d’après-midi à Montpellier, c’est prendre le risque de louper le pouls de la ville qui, du lundi au samedi, bat la chamade. Mais la métropole du sud a une tradition de pause dominicale que rien ne semble pouvoir arrêter. L’ambiance est donc peu festive en ce lendemain de début de festival. Mais il suffit de se rendre à l’Agora, la Cité de la Danse, pour très vite prendre la température de cette édition. Les festivaliers et festivalières conversent dans la cour écrasée de soleil et échangent volontiers leurs premières impressions. Montpellier Danse,ce ne sont pas que les stars et les grandes compagnies mais c’est aussi une myriade de découvertes.
La première du festival s’appelle Miguel Gutierrez. Le new-yorkais n’est pas un inconnu, il a récemment chorégraphié une pièce pour le Ballet de Lorraine. Mais il présente dans cette édition de Montpellier Danse un projet tout autre : The Bridge Called My Ass, dont la feuille de salle nous indique que « des scènes pourraient choquer certaines personnes« . Si seulement ! Miguel Gutierrez, qui se revendique comme artiste homosexuel latino, a pensé ce spectacle pour trois danseuses et trois danseurs dont lui-même, toutes et tous latinos. Bien que de la danse, il n’y en ait pas. Le spectacle tient davantage du happening ou de la performance. Le public est invité à s’asseoir dans le studio Bagouet sur des chaises disposées tout autour. Au centre, un bric-à-vrac invraisemblable d’objets improbables : ventilateur, aspirateur, haut-parleurs, des pinces, des cordes et un amoncellement de tissus colorés, alors que les six performeurs sont déjà là, légèrement vêtus. Qu’importe puisque toutes et tous finiront très vîtes nus. Débute alors une procession où ils se traînent, rampent, s’enroulent dans les pièces d’étoffe, s’accrochent aux objets puis les uns aux autres. Des objets qui sont tous outrageusement sexualisés et transformés en sex-toys.
Miguel Gutierrez nous intrigue tout d’abord, mais très vite il nous ennuie. Rien ne vient prolonger cette procession de l’encombrement qui dure au-delà du raisonnable. La séquence suivante est bien plus pénible : les six performeurs se mettent à réciter des répliques de telenovelas pour en montrer le vide sémantique. Fallait-il là encore prolonger le supplice ? Miguel Gutierrez croit « interroger le contraste entre l’abstraction et le contenu« , l’abstraction considérée comme l’apanage de la danse contemporaine élaborée par la population blanche opposée à une danse plus folklorique, celle des noirs et des latinos américains. Mais une déclaration d’intention ne fait pas une œuvre et au bout du compte, Miguel Gutierrez se contente de dessiner une esthétique du trash bon marché. Une partie du public applaudit à tout rompre. Suit alors un grand moment de solitude !
C’est la rançon des festivals : il faut très vite évacuer la pièce précédente pour pénétrer dans la suivante. Et de l’autre côté de l’Agora, dans le Studio Cunningham nous attend Angelin Preljocal. Avant Winterreise qui sera présenté au Corum, le chorégraphe français propose ce qu’il appelle une « restitution d’ateliers en milieu carcéral « . Depuis mars, Angelin Preljocaj travaille en effet avec cinq détenues de la prison des Baumettes à Marseille. Cela fait plusieurs années qu’il mène une action dans les prisons mais cette fois, l’objectif était aussi de montrer quelque chose au public. La danse, qui est symbole de liberté de l’espace et du corps, se marie à priori assez mal avec l’enfermement. Angelin Preljocal a exploré cette problématique en s’arrêtant sur la question des sens et de la perte sensorielle induite par la prison.
Soul Kitchen, titre de la pièce repris aux Doors et que l’on entend à la fin du spectacle, se concentre sur le goût et l’odorat. En fond de scène, cinq tables, une femme derrière chacune pour un ballet synchronisé en cuisine. Fouet à la main, on mélange farine, beurre, œuf sans mollir. Et sous chaque table un four qui éclaire le plateau. Puis vient le moment d’enfourner, et pendant la cuisson se joue une autre ballet. Des improvisations menées avec ces cinq femmes, Angelin Preljocaj a écrit un vrai spectacle, pas professionnel mais bien plus qu’amateur. Une longue séquence se joue assise dans un mouvement de répétition de flexion du corps. Viennent les textes de Gide lues par chacune quand une à une, les minuteries du four sonnent. Il est temps de défourner et d’offrir ces gâteaux au public. Avant cela, elles avaient tracé sur le sol à la farine le symbole de la liberté en berbère. L’émotion est palpable de part et d’autre après ces 36 minutes d’un beau partage entre danse et cuisine.
Etre festivalier, c’est aussi parfois se montrer trop gourmand ! Et du coup louper les 15 premières minutes d’Une Maison de Christian Rizzo dans le splendide Théâtre Jean-Claude Carrière au milieu des pinèdes. De ce qu’on en perçoit, le chorégraphe reprend et prolonge la gestuelle qui lui est propre et que l’on a vue dans ses précédentes pièces. La scénographie est spectaculaire, dominée par une corolle de néons amovibles et la danse très léchée. On y voit un fantôme dans cette maison pour 14 danseurs que l’on revisitera la saison prochaine en tournée et à Paris au Théâtre de Chaillot.
Après ce menu, il aurait été déraisonnable d’enchaîner sur un autre spectacle. Mais comment résister à Amala Dianor qui nous offre avec The Falling Stardust un pur plaisir de balletomane ? Rendez-vous dans la prochaine chronique.
The Bridge Called My Ass de Miguel Gutierrez au Studio Bagouet ; Soul Kitchen d’Angelin Prlejocaj au Studio Cunningham ; Une Maison de Christian Rizzo en co-production avec le Printemps des Comédiens au Théâtre Jean-Claude Carrière ; The Falling Stardust d’Amala Dianor au Théâtre de l’Agora. Dimanche 23 juillet 2019 ; Montpellier Danse 2019 continue jusqu’au 6 juillet.