[Montpellier Danse] Journée de célébration de Merce Cunningham
Merce Cunningham et le festival Montpellier Danse ont entretenu un long compagnonnage dès 1985 grâce à son directeur Jean-Paul Montanari. Au point qu’à la demande du chorégraphe, un peu de ses cendres a été répandu dans la cour de l’Agora, près du Studio qui porte son nom. Il était donc plus qu’évident que les célébrations autour du centenaire de la naissance du « plus grand chorégraphe du XXe siècle » débutent en France à Montpellier avant de se prolonger à partir de septembre dans le cadre du Festival d’automne. Un jour avec Merce C. composé de projections, d’ateliers chorégraphiques, d’une causerie avec Jacqueline Caux, grande connaisseuse de sa vie et son œuvre, et de spectacles restera, foi de festivalière, un moment fort de cette 39e édition.
Le chorégraphe et danseur Ashley Chen a travaillé à la Merce Cunningham Dance Company dans les années 2000. Dans Chance, Space & Time datant de 2016, il s’empare du triptyque cher à Merce Cunningham. Avec deux autres danseur.se.s, notamment l’impressionnante Cheryl Terrien, il compose une chorégraphie très étudiée inspirée des procédés de création de John Cage et Merce Cunningham. Portée par une composition musicale très hétéroclite, la pièce se déploie traversée d’une multitude de gestes quotidiens (courir, marcher, tomber, trembler…) que l’on saisit à la volée.
Avoir pour principe (qui vaut ce qu’il vaut) de ne jamais lire la feuille de salle avant de recevoir une pièce, ne donne pas accès à ce qui a sous-tendu sa composition. Il convient toutefois de s’en saisir en sortant si l’on veut avoir accès au making-of de cette « création d’un chaos organisé« . En attendant, on se laisse embarquer par cette danse très abstraite, ne cherchant jamais à exprimer une intention mais qui raconte pourtant beaucoup sur l’acte de danser. Une danse où seul le mouvement dans toute sa richesse prévaut, qui repousse les limites de l’endurance de chaque interprète pour finalement donner chair à cette citation de Cunnigham : « Le mouvement n’a pas à traduire l’émotion, il doit en être la source. »
Joli clin d’œil que ce minuscule dé rouge distribué aux spectateurs et spectatrices en même temps que leur billet avant la représentation de Not a moment to soon. Dans les Events cunninghamiens, le choix des éléments chorégraphiques et leur enchaînement ont lieu suite à un tirage de dés. « Jeter les dés a quelque chose de merveilleux qui fait appel à l’imaginaire. Un quart de seconde plus tard, les dés sont de nouveau immobiles, l’esprit, lui toujours en mouvement. Essayez-vous-mêmes ! »
Ce petit dé comme un talisman introduit ce que Trevor Carlson, directeur exécutif de la compagnie et dernier bras droit de Merce Cunningham, raconte dans son solo. Une sorte de conférence-dansée où il égrène les souvenirs, notamment les dernières années du chorégraphe. Une sorte de journal de bord troublant (un grand nombre d’extraits visuels tournés par Merce Cunningham lui-même sont inédits), limite impudique par moments, sur les dernières fulgurances de ce génie de la danse.
On le savait déjà, mais on en a eu une nouvelle fois la démonstration : le Ballet de l’Opéra de Lyon se coule avec infiniment de talent dans le répertoire de Merce Cunningham. Leur interprétation des deux pièces Summerspace et Exchange est d’une précision et d’une grâce qui inspirent le respect. Au-delà de sa beauté picturale, ce Summerspace lumineux, avec en toile de fond l’œuvre de Robert Rauschenberg, nous ramène au vocabulaire si singulier du chorégraphe. Où chaque interprète, tout en arborant le même académique moucheté, comme peint à même la peau, pourrait donner l’impression de se fondre dans le groupe, mais reste acteur de sa propre danse. Une danse délicate où « les individus et leurs environnements sont à la fois indépendants et reliés les uns aux autres » selon les propres mots du maître. Plus de soixante ans après sa création, cette pièce se reçoit comme une profonde respiration dansée.
Datant de 1978, Exchange est plus âpre, en apparence plus difficile à pénétrer, mais tout aussi calibrée au millimètre. Une parfaite illustration de la mise en œuvre de l’indépendance entre la musique et la danse, chère à Merce Cunningham et John Cage, son complice. Ici David Tudor signe la composition musicale qui évoque l’ambiance urbaine tumultueuse de New York. Cette pièce, moins présentée que la précédente, propose une construction sophistiquée où les corps s’enchevêtrent dans des portés complexes et composent d’étonnantes figures. Trois parties apparaissent mettant en scène d’abord la moitié des danseurs, puis l’autre moitié et enfin la totalité, sans que ne se dégage vraiment un ordre précis. De cette série de mouvements qui se répètent émane une énergie, un souffle, qui emporte tout sur son passage.
Pour l’occasion, le festival Montpellier danse a édité une passionnante brochure intitulée Un Américain à Montpellier. Un recueil de textes qui montre bien combien le chorégraphe a marqué d’une empreinte indélébile cette manifestation. Au détour d’une page, on peut y lire cette citation de Cunningham : »Il faut l’amour de la danse pour tenir bon. Elle ne donne rien en retour, pas de manuscrits à mettre de côté, pas de peintures à montrer sur mes murs et à accrocher dans les musées peut-être, pas de poèmes à imprimer et à vendre, rien que cet instant unique et fugitif où l’on se sent vivant. La danse n’est pas pour les âmes incertaines. » Une magnifique définition de l’art chorégraphique.
Un jour avec Merce C. dans le cadre du Festival Montpellier Danse 2019. Chance, Space & Time d’Ashley Chen au Studio Bagouet/Agora avec Ashley Chen, Philip Connaughton et Cheryl Terrien ; Not a moment too soon de Trevor Carlson & Ferran Carvajal à l’ Opéra Comédie. Summerspace et Exchange par le Ballet de l’Opéra de Lyon à l’Opéra Berlioz / Le Corum. Mercredi 25 juin 2019. Le spectacle du Ballet de l’Opéra de Lyon est à avoir du 14 au 20 novembre au théâtre du Châtelet et les 13 et 14 décembre à la Nouvelle scène nationale de Cergy Pontoise dans le cadre du festival d’automne.