Les beaux jours de la danse au Théâtre du Châtelet
Enfin ! Après plus de deux ans de fermeture pour travaux, le Théâtre du Châtelet rouvre enfin ses portes le 13 septembre, pour une première saison sous la direction bicéphale de Ruth Mackenzie et Thomas Lauriot dit Prévost. C’est le début d’une nouvelle ère pour cette salle emblématique de la vie parisienne depuis plus de 150 ans. Sis au centre de la capitale et en diptyque avec le Théâtre de la Ville (également fermé pour travaux), le Théâtre du Châtelet affiche de nouvelles ambitions tout en reprenant un héritage composite dont la musique sous toutes ses formes demeure le dénominateur commun. Son histoire avec la danse y est tout aussi forte – il fut l’un des théâtres des Ballets russes – et cette nouvelle saison en est à la hauteur, avec une affiche luxueuse invitant les chorégraphes Merce Cunningham, William Forsythe, Pina Bausch, Christopher Wheeldon ou Akram Khan. Retour sur les liens étroits qui unissent la danse et le Théâtre du Châtelet, une histoire de plus d’un siècle qui n’a pas fini de s’écrire.
Le souffle des Ballets russes
La réouverture du Théâtre du Châtelet n’est pas seulement un événement artistique. C’est aussi la renaissance d’un micro-quartier parisien qui s’était assoupi avec la fermeture consécutive des deux théâtres, qui depuis 1861 ont façonné la place et ses rues alentour. Curieuse initiative de la Ville de Paris d’avoir décidé de fermer simultanément ces deux lieux pivots de la vie culturelle parisienne. On ignore toujours à quelle date rouvrira le Théâtre de la Ville, dont les travaux ont pris beaucoup de retard. Ces deux institutions ont aussi en commun d’avoir une place unique dans l’histoire de la danse. La première parisienne du chef-d’œuvre de George Balanchine, Apollon Musagète, fut ainsi créé dans ce qui était alors le Théâtre Sarah Bernhardt (ancien nom du Théâtre de la Ville) en juin 1928 avec les Ballets Russes, Stravinsky à la baguette. C’est aussi là que fut montré pour la première fois Le Fils prodigue du même chorégraphe, dernier ballet de la compagnie.
Mais la troupe de Serge de Diaghilev fut surtout présente au Théâtre du Châtelet. C’est ainsi sur cette scène que furent créées des oeuvres emblématiques comme Les Danses polovtsiennes (1909), Les Sylphides (1909), Petrouchka (1911), Daphnis et Chloé (1912) ou le mythique L’Après-midi d’un faune (1912). Et par les grande Étoiles de l’époque : Vaslav Nijinski, Anna Pavlova, Tamara Karsavina… C’est à cette époque florissante que le Théâtre du Châtelet rend hommage pour sa réouverture en 2019, avec une nouvelle vision de Parade confiée à Stéphane Ricordel et Elisabeth Streb. Créé en 1911, le ballet réunissait les grandes signatures du début du XXe siècle : Léonide Massine pour la chorégraphie qui s’est inspiré d’un poème de Jean Cocteau, Erik Satie pour la musique, Picasso pour le rideau de scène et les décors.
Le renouveau William Forsythe
Les années passent… Si la danse a toujours été présente dans la programmation du Théâtre du Châtelet, la salle fut dédiée au théâtre et connut aussi l’âge d’or de l’opérette avec sa star Luis Mariano. Il faut attendre que la Ville de Paris, propriétaire du bâtiment, en reprenne la direction pour que soit mise en œuvre une politique artistique plus élaborée. Stéphane Lissner, qui en prend les rênes en 1988, y joue un rôle fondamental en imaginant une programmation festivalière de haut niveau. Il propose ainsi à la fois des opéras mis en scène, des concerts mais aussi de la danse.
William Forsythe, que Paris a découvert en 1987 à l’Opéra de Paris avec In the Middle Somewhat Elevated, devient ainsi le chorégraphe en résidence durant le mandat de Stéphane Lissner, revenant chaque année avec le Frankfurter Ballet de 1990 à 1998. Une période faste où face-à-face, les deux théâtres de la place du Châtelet mettent à l’affiche deux des plus grands chorégraphes contemporains, William Forsythe d’un côté, Pina Bausch de l’autre ! Ces deux chorégraphes sont d’ailleurs à retrouver au Châtelet pour cette nouvelle saison.
Jean-Pierre Brossman, qui succède à Stéphane Lissner, prolonge cette ligne artistique en l’infléchissant quelque peu. S’il n’y a plus de chorégraphe en résidence, cette nouvelle direction intègre la danse dans sa programmation. L’un des temps forts de ce début des années 2000 fut ainsi la venue du Ballet National de Finlande avec la Giselle dansée et chorégraphiée par Sylvie Guillem en janvier 2001. La danseuse revient au Châtelet avec la Carmen de Mats Ek et le Ballet de l’Opéra de Lyon en avril 2005.
Les Étés de la Danse… et la comédie musicale
Jean-Luc Choplin, qui arrive en 2006, opère un changement radical. Le Théâtre du Châtelet demeure une salle pluridisciplinaire mais la comédie musicale devient l’axe privilégié de la programmation. Contre toute attente, le public afflue aux musicals américains avec des séries à guichets fermés, toujours montrés en version originale. Parmi les grandes réussites, Un Américain à Paris, adaptation du film de Vicente Minelli dans une chorégraphie et une mise en scène de Christopher Wheeldon, co-produit avec Broadway. La pièce est un triomphe, d’abord au Théâtre du Châtelet, puis à Londres et à Broadway, raflant quatre Tony Awards (le Graal des récompenses des comédies musicales), dont celui de la meilleure chorégraphie. Le spectacle reviendra pour cette réouverture au Théâtre du Châtelet, avec une longue série en décembre.
Enfin, le Théâtre du Châtelet accueillit avec bonheur de 2009 à 2016 les Étés de la Danse. Festival incontournable de l’été parisien, il invite chaque année une grande troupe internationale pour deux à trois semaines de spectacles et de cours publics. Et avec des séries mémorables : le Ballet de Novosssibirsk (2010), le Miami City Ballet (2011), le Sans Francisco Ballet (2014) ou le New York City Ballet (2016), sans oublier l’Alvin Ailey American Dance Theater, qui par trois saisons a rempli à craquer le Théâtre du Châtelet.
Après des échappées à la Seine musicale ou au Théâtre Mogador, les Étés de la Danse seront de nouveau dans les murs du Théâtre du Châtelet lors de sa prochaine édition en juillet 2020. Avec une double et belle affiche : Cendrillon de Christopher Wheeldon par le Het Nationale Ballet et la très attendue Giselle d’Akram Khan par l’English National Ballet. Ce programme conclura une saison plus qu’appétissante avec successivement A Quiet Evening of Dance de William Forsythe, la venue du Ballet de l’Opéra de Lyon avec un programme Merce Cunningham, le Tanztheater Wuppertal avec la reprise des Sept Péchés Capitaux de Pina Bausch et enfin la chorégraphe plasticienne Giselle Vienne qui reprendra une pièce de 2010, This is how you will disappear. Nous sommes prêts. Que la fête commence !