Boris Charmatz – Infini
Créée au dernier festival Montpellier Danse dans la cour de l’Agora, Infini du chorégraphe Boris Charmatz est une pièce pour cinq interprètes structurée autour de différentes façons de compter. Un champ des possibles infini, inventif et étourdissant qui plonge le public dans un tourbillon de chiffres, de nombres et de dates. Arithmophobiques s’abstenir ! Une pièce dans la continuité existentialiste du foisonnant 10.000 gestes où la gageure était de ne faire se succéder que des gestes inédits.
Les hasards jouent parfois des tours. Aller voir cette pièce un vendredi 13 en est assurément un. Car Infini est là pour nous rappeler combien notre vie quotidienne est rythmée, scandée, dictée par les chiffres, les nombres ou les dates. Et parfois les superstitions qui vont avec. Le ton est vite donné dès les premières minutes. Voilà que les cinq danseur.euse.s se mettent à compter à tour de rôle ou en même temps à partir de 120. Comme 120 battements par minute ? Une sorte de compte à rebours pour poser le propos arithmétique de la pièce. Jusqu’au fameux zéro que l’on guette, ils enchaînent une série de gestes un peu décousus, mais où chacun.e dessine sa propre trajectoire.
S’il surprend, ce premier décompte a surtout le mérite de préfigurer le dilemme auquel l’on va se trouver confronté. Compter machinalement avec les cinq interprètes dans une sorte de réflexe limite pavlovien, au risque de s’ y perdre et de perdre par la même occasion le fil de la pièce. Ou les laisser nous bercer de cette musique qui donne un ton étrange à la pièce. Option deux retenue, car le trouble face à ce comptage n’ira que croissant plus on avance vers cet Infini.
Compter appartient au registre de la danse. Impossible d’y échapper. On peut aussi choisir de s’en affranchir pour imposer son propre tempo, une liberté débarrassée de toute contrainte. Décider ainsi de cet égrenage des différents âges de la vie, des premiers mois du nourrisson au crépuscule du centenaire. Ce passage est plutôt savoureux ; chacun.e incarnant ce que lui évoque différentes étapes de vie. Puis, le plateau se transforme en frise chronologique mouvante où chacun.e à tour de rôle énonce des dates plus ou moins marquantes de l’histoire de l’humanité. Tout y passe des batailles décisives aux naissantes de personnalités célèbres – les clins d’œil à la danse y sont d’ailleurs légion.
Éclairés de manière crue par des gyrophares posés à même le sol, les interprètes, dont la toujours impressionnante Raphaëlle Delaunay, écrivent une partition en apparence totalement décousue et déjantée, mais d’une grande maîtrise. C’est qu’il en faut de la concentration pour continuer d’égrener les chiffres ou les dates tout en occupant l’espace. Une scène qu’ils transforment à la fois en terrain de jeux, de confrontations, d’explorations et d’expérimentations. C’est foisonnant, jusque boutiste et chaotique, avec toujours une forme de radicalité qui peut séduire ou agacer pour les mêmes raisons.
Ce qui fait sans doute la singularité de Infini, c’est la posture de Boris Charmatz dans le mode de composition. « Je retrouve le plaisir de construire une pièce chorégraphe de l’intérieur, confie-t-il. Le fait d’être dans le groupe me procure des effets en trois dimensions. » C’est vrai que cela faisait un petit moment qu’on ne l’avait pas vu danser. Sa présence puissante au cœur de ce quintet disparate insuffle clairement quelque chose d’une grande force expressive à cet unisson discontinu.
Infini de Boris Charmatz dans le cadre du Festival d’Automne à Paris au Théâtre de la Ville – Espace Cardin. Avec Régis Badel, Boris Charmatz, Raphaëlle Delaunay, Maud Le Pladec, Fabrice Mazliah, Solène Wachter. Du 17 au 19 octobre au Lieu unique à Nantes. Vendredi 13 septembre 2019. Du 7 au 8 novembre à Bonlieu Annecy. Du 13 au 16 novembre au Théâtre des Amandiers de Nanterre, le 19 novembre à l’Espace 1789 de Saint-Ouen. Puis en tournée en France.