Degas danse au musée d’Orsay- Ballet de l’Opéra national de Paris
Quelques jours après le lancement de l’exposition événement de la saison 2019-2020 Degas à l’Opéra au musée d’Orsay, le parcours-spectacle Degas Danse, à l’initiative de la directrice de la danse Aurélie Dupont et du danseur et chorégraphe Nicolas Paul, proposait une expérience immersive dans ce haut lieu de l’impressionnisme. Une sorte de nuit au musée déambulatoire où l’on pouvait aussi bien croiser une danseuse étoile prenant la pose en tant que modèle ou de jeunes ballerines comme jaillies des tableaux du maître. Un bel hommage au « peintre des danseuses » et aux interprètes eux-mêmes. Cette collaboration entre « deux maisons qui s’aiment et se respectent » s’est ainsi révélée fructueuse, parfois hasardeuse, mais traversée de quelques jolies évocations.
En préambule de l’exposition, la Danseuse Étoile Émilie Cozette, cheveux très courts et tutu blanc long piqué de fleurs (ceux du Gala d’ouverture de saison signés Chanel), se tient face à des étudiants de l’Ecole nationale supérieur des Beaux-Arts sur un socle circulaire. Bras en couronne ou cachés dans le dos, elle prend la pose entre L’Atelier du peintre et Un enterrement à Ornans de Gustave Courbet (étonnant choix…). Imperturbable, elle se plie à l’immobilité et aux regards de ceux qui déambulent dans les allées. Les croquis s’enchainent et jonchent le sol. Par moments, la danseuse s’étire puis change d’attitude. Le temps semble comme suspendu.
Nicolas Paul n’a pas voulu créer un spectacle sur Degas. Il a préféré cette itinérance au cœur de son œuvre dans le but d’instaurer un dialogue entre le public et les interprètes autour de l’acte de danser, d’être en représentation, de s’offrir au regard de l’autre. C’est aussi un hommage au travail du danseur. Ainsi sur les deux grandes tours de la nef, est projetée de part et d’autre la même proposition chorégraphique en boucle, dans une sorte de mouvement perpétuel. Plus tard, au cœur de l’exposition, de grandes baffles diffusent mezzo voce des extraits d’interviews. Danseuses et danseurs y confessent des souvenirs. Il faut tendre l’oreille pour percevoir vraiment les propos. On décroche, hélas, assez vite.
Dans la majestueuse salle des Fêtes, les danseuses Ida Viikinkoski, Juliette Hilaire et Caroline Osmont sont semblables à des apparitions. Alors que le public fait claquer chaussures et talons sur le parquet ciré, elles surgissent à travers de lourdes portes. Pieds nus, en tenues de danseuses du XIXe siècle (seules les genouillères couleur chair apparaissent comme un anachronisme), coiffure légèrement négligée, menton bravache, elles déambulent parmi les gens, les toisent, les frôlent parfois. Leur gestuelle, leur manière un peu nonchalante de se mouvoir entre le public rappellent les danseuses des tableaux ou des sculptures de Degas. Parmi les spectateurs et spectatrices, l’autrice Camille Laurens cherche sans doute sa Petite danseuse de quatorze ans. Par un subtil jeu de lumières, les trois jeunes filles semblent surgies d’une autre époque. C’en est très troublant. La chorégraphie s’accélère, plus contemporaine et on apprécie ce contraste qui préfigure l’évolution du répertoire de la ballerine.
La déambulation encadrée par des médiateurs conduit ensuite vers l’auditorium. Nicolas Paul a choisi d’inverser les perpectives en installant le public sur la scène et dans les coursives, tandis que le danseur étoile Stéphane Bullion patiente parmi les sièges vides. C’est toujours un plaisir de voir ce danseur à l’humilité magnétique. Sur une musique électro, il commence à se mouvoir entre les fauteuils. Ses gestes précis, saccadés zèbrent l’espace. Par moments, le danseur disparaît derrière les fauteuils pour réapparaître. Ce solo en forme de cache-cache avec le public constitue un moment dansé qui questionne, mais laisse aussi un peu perplexe. Quelle finalité véritable ?
On revient sur nos pas. Sous la nef du musée, une barre a été installée ainsi qu’un banc et quelques sièges. Soudain, elles apparaissent dans leurs costumes tout droits sorties du ballet La Petite danseuse de Degas de Patrice Bart. Trois danseuses, nouvelles recrues du Ballet, Inès McIntosh, Luna Peigné, Nine Seropian, prennent la pose dans un fascinant jeu de miroirs. Toutes trois exécutent quelques exercices à la barre avec une belle application. On se dit malgré tout que si la composition est réglée au cordeau, elle n’en est pas moins un peu attendue.
Enfin, le costume occupe aussi une grande place dans cette expérience immersive. Au fond de la nef, portants et cabines attendent celles et ceux qui décident de se rêver artistes en se glissant dans un costume de scène. Si cet atelier semble plus anecdotique, on ne peut s’empêcher d’y voir un certain écho avec la dernière étape du parcours. Durant toute la soirée, un étrange ballet s’est déroulé dans les allées du musée. Après avoir revêtu un costume, une dizaine de danseurs et danseuses ont emprunté l’escalier situé sous la célèbre horloge du musée d’Orsay.
Ils.elles descendent les marches et se débarrassent de leurs costumes dans un mouvement continu. Puis remontent enfiler un nouveau vêtement pour s’en dépouiller peu après. Les tenues s’amoncellent au fur et à mesure pour former un tapis coloré. Tous les interprètes de la soirée se prêtent à ce cérémonial pour finir dans le plus grand dépouillement dos au public. « Que reste-t-il une fois que le rideau est tombé ? » questionne Nicolas Paul (qui s’est fondu dans le groupe) et Jean-Christophe Guerri. Degas n’aurait pas renié cette interrogation.
Degas Danse au Musée d’Orsay. Création du Ballet de l’Opéra national de Paris. Direction artistique : Aurélie Dupont. Conception et chorégraphies : Nicolas Paul. Avec Emilie Cozette, Stéphane Bullion, Ida Viikinkoski, Juliette Hilaire, Caroline Osmont, Inès McIntosh, Luna Peigné, Nine Seropian…Vendredi 11 octobre 2019.