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Soirée McGregor/Preljocaj/Ekman – Ballet de l’Opéra de Bordeaux

Le Ballet de l’Opéra de Bordeaux a ouvert sa saison avec un programme Grands Chorégraphes du XXI siècle, réunissant le britannique Wayne McGregor, le français Angelin Preljocaj et le suédois Alexander Ekman. Trois pièces, trois générations pour trois styles très différents et qui demandent pour la compagnie une totale polyvalence technique et un grand engagement artistique. Et la troupe y affiche de belles qualités, avec un corps de ballet dynamique dans Cacti d’Alexander Ekman et des solistes de grands talents qui ont pu exprimer leurs personnalités avec Obsidian Tear de Wayne McGregor et le délicieux Ghost d’Angelin Preljocaj.

Ghost d’Angelin Preljocaj – Ballet de l’Opéra de Bordeaux

On avait quitté le Ballet de l’Opéra de Bordeaux cet été avec une entrée au répertoire glorieuse de Notre-Dame de Paris de Roland Petit. Et on attend avec gourmandise la première en France de la production de Cendrillon du Birmingham Royal Ballet chorégraphiée par David Bintley qui animera les Fêtes de décembre. En attendant, ce programme mixte et éclectique offre une soirée équilibrée et généreuse avec ces trois entrées au répertoire.

On a beau le connaitre et croire reconnaître son style, Wayne McGregor nous saisit d’entrée avec une oeuvre inattendue et une verve inédite chez lui. Obsidian Tear, pièce pour neuf danseurs, a des couleurs très sombres. Fortement homo-érotique, elle se construit sur la superbe partition écrite par Esa-Pekka Salonen (hélas, dans une version enregistrée). Le compositeur finlandais a écrit ce poème symphonique en s’inspirant de la divinité de la nuit, Nyx. Mais il n’est nul besoin de réviser la mythologie pour pénétrer dans l’oeuvre de Wayne McGregor. Les danseurs du Ballet de Bordeaux la portent naturellement et nous racontent en 32 minutes un récit sombre, combat résolument masculin, prise de pouvoir, tentative désespérée pour s’intégrer au groupe, le meurtre, le remords, la solitude. Tout est là dans une oeuvre créée pour le Royal Ballet en 2016 ce qui permet d’imaginer ses enjeux techniques.

Obsidian Tear de Wayne McGregor – Ballet de l’Opéra de Bordeaux

Les trois solistes de la première furent impeccables. Neven Ritmanic, torse nu et pantalon rouge – l’unique (l’élu ?) offre un corps-à-corps virtuose avec Ashley Whittle. Ce duo initial est la partie la plus réussie : toute en ondulation des corps, ce pas de deux masculin dégage une dialectique magnifique, diffusant à la fois force et délicatesse, attirance et répulsion, amour et haine. Ashley Whittle et Neven Ritmanic imposent un charisme qui ne se dément pas tout au long de la pièce, faisant bon usage de leurs qualités artistiques et athlétiques, indispensables pour interpréter ce duo. Ils sont rejoints par sept autres danseurs dont l’admirable Oleg Rogachev complétant ce trio. Les scènes suivantes, sans avoir le même impact, restent bien agencées et tiennent en haleine dans ce combat exclusivement masculin et nécessairement guerrier.

Obsidian Tear de Wayne McGregor – Neven Ritmanic

Mais les femmes reprennent le pouvoir après l’entracte grâce à Angelin Preljocaj et Ghost, pièce commandée à l’occasion du centenaire de la mort de Marius Petipa, fruit d’une collaboration entre la compagnie du chorégraphe et la Ballet de l’Opéra de Bordeaux. Elle avait été présentée la saison dernière au 104 lors d’une soirée mixte avec des danseuses et des danseurs issus des deux troupes. La distribution était purement bordelaise pour la première de cette pièce d’occasion et de commande réjouissante de bout en bout. Ghost, comme fantôme, évoque évidemment celui de Marius Petipa, père fondateur du ballet classique, incarnation du despote imposant sa grammaire académique à l’origine de toute la danse d’aujourd’hui. Cette rêverie chorégraphique est une vraie friandise. Et Angelin Preljocaj sait comme personne raconter des histoires sans être strictement narratif.

Sur scène, quatre ballerines en pointes et tutus blancs, aux mouvements de bras très iconoclastes au regard du vocabulaire classique et s’animant sur le standard Fever d’Otis Blackwell, dans la célèbre version de Peggy Lee. Elles paraissent tranquilles, sereines alors qu’à l’avant-scène coté cour gît un homme inanimé. Le voilà le fantôme, celui de Marius Petipa, qui sort de son sommeil ou de sa rêverie pour tenter  de s’emparer des corps des danseuses, les articuler selon son bon vouloir, les replacer. Sans grand succès d’ailleurs, alors que démarre la célébrissime musique de la variation du Cygne noir. Marius Petipa s’y envole, incarné magistralement par Neven Ritmanic, décidément héros de la soirée. Dans ce bref moment, le soliste fait un usage impeccable de sa virtuosité technique et de sa puissance pour une variation totalement décalée et soudainement interrompue. Marius devra rejoindre le royaume des fantômes et laisser les ballerines vivre leur vie. Dans ces rôles, Alice Leloup, Anna Guého, Diane Le Floc’h et Vanessa Feuillatte forment un beau quatuor, distillant tour à tour humour et autorité.

Ghost d’Angelin Preljocaj – Ballet de l’Opéra de Bordeaux

C’est le plus jeune chorégraphe qui conclut la soirée. Le suédois Alexander Ekman a désormais séduit le monde entier avec sa verve chorégraphique singulière, cet humour permanent qui nourrit chacune de ses pièces, cette manière de ne jamais se prendre au sérieux tout en se livrant sérieusement et avec une grande générosité. Cacti, créé en  2010 pour  le NDT2, reste son ballet le plus célèbre dansé aujourd’hui par une quinzaine de compagnies à travers le monde. C’est presque sa signature, et un authentique « feel good ballet » auquel il est difficile de résister.

Sa scénographie, composée de 16 estrades manipulées par 16 danseuses et danseurs, constituent l’élément-clef de Cacti. Le quatuor à cordes Prométhée (interprétant des œuvres de Schubert, Haydn, Beethoven ou improvisant) dialogue avec les artistes du ballet, qui répondent par percussions en frappant les estrades sur lesquelles ils sont juchés. Mouvements synchrones ou désynchronisés qui se moquent avec affection d’une forme d’affectation qui parfois peut saisir la danse contemporaine. C’est encore l’humour qui irradie le pas de deux central entre Marini Da Silva Vianna et Riku Otu, commentant en voix-off tous leurs déplacements, leurs gestes ou les intentions du chorégraphe. Alexander Ekman n’hésite pas aussi à aller chercher le public pour le mettre dans sa poche. Mais on lui pardonne ce cabotinage mis au profit d’un ballet drôle, joyeux et qui ne transige pas sur ses exigences artistiques. La danse d’Alexander Ekman est nourrie des meilleures influences, celles de Mats Ek et de l’école du NDT.

Cacti d’Alexander Ekman – Ballet de l’Opéra de Bordeaux

On ressort ainsi du Grand-Théâtre de Bordeaux rassuré. La crise qui menaçait la compagnie est désormais de l’histoire ancienne. Elle affiche en ce début de saison une belle santé, un corps de ballet solide, des solistes épatants et une saison prometteuse. 

 

Soirée McGregor/Preljocaj/Ekman par le Ballet de l’Opéra de Bordeaux au Grand-Théâtre. Obsidian Tear de Wayne McGregor avec Kase Craig, Guillaume Debut, Pierre Devaux, Riku Ota, Alvaro Rodriguez Piñeira, Neven Ritmanic, Oleg Rogachev, Ashley Whittle et Marc-Emmanuel Zanoli ; Ghost d’Angelin Preljocaj avec Neven Ritmanic, Alice Leloup, Anna Guého, Diane Le Floc’h et Vanessa Feuillate ; Cacti d’Alexander Ekman avec Vanessa Feuillate , Anna Guého, Natalia Butragueño, Marina Da Silva Vianna, Alice Leloup, Marina Kudryashova, Clara Spitz, Hélène Bernadou, Oleg Rogachev, Kase Craig, Guillaume Debut, Diego Lima, Pierre Devaux, Ryota Hasegawa, Riku Ota et Marc-Emmanuel Zanolie – Jeudi 16 octobre 2019. À voir jusqu’au 27 octobre 2019.

 



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