Ballet de l’Opéra de Bordeaux – Cendrillon de David Bintley
Décembre est le mois du strass, des paillettes, des lumières, des tutus et des contes de fées. Si la France n’a jamais sacrifié au rite anglo-saxon trop sucré de Casse-Noisette, cette période de fêtes se prête mieux qu’aucune autre aux grands ballets narratifs, plus encore lorsqu’ils sont accessibles au jeune public. Quoi de mieux donc que Cendrillon, inspiré de Charles Perrault sur la musique de Serge Prokofiev ? Éric Quilleré fait entrer cette année au répertoire du Ballet de l’Opéra de Bordeaux la version créée en 2010 par David Bintley pour le Birmingham Royal Ballet. Cette rédaction dans les magnifiques décors de John Macfarlane reste fidèle au conte de Perrault dans une veine chorégraphique néo-classique très britannique et parfaitement défendue par la compagnie bordelaise, emmenée par l’Étoile Sara Renda et le nouveau venu Riku Ota.
Cendrillon est un ballet sinon maudit, du moins compliqué à plus d’un titre. Si toutes les grandes compagnies l’ont un jour ou l’autre mis au répertoire, il n’a pas réellement séduit les chorégraphes. Cendrillon souffre tout d’abord de Roméo et Juliette, le chef-d’oeuvre de Serge Prokofiev et ne s’en est jamais tout à fait remis. Pourtant, la partition de Cendrillon recèle aussi des trésors mélodiques. Autre bémol : il n’y a jamais eu de version de référence alors que les chorégraphies de Roméo et Juliette se sont bâties sur le socle créé par Leonid Lavrovsky. Sans compter qu’il est évidemment plus simple de mettre en scène le chef-d’oeuvre de Shakespeare que le conte de Charles Perrault qui peut aujourd’hui paraitre désuet.
Les chorégraphes ont donc trop souvent tenté d’adapter voire de détourner l’histoire pour en faire un conte moderne. Rudolf Noureev transposa ainsi en 1986 Cendrillon à Hollywood. La reprise l’an dernier à l’Opéra Bastille montra à quel point cette production est aujourd’hui datée. David Bintley a opté pour une relecture légère : il conserve la structure narrative mais supprime le personnage du père, mort lui aussi alors que Cendrillon a hérité de sa mère une paire de ballerines pour aller danser. Pour le reste, le conte et intact. Et c’est un parti-pris qui se révèle gagnant. Cette production est un ravissement, l’histoire en est limpide, immédiatement lisible et dramatiquement efficace.
Le premier acte se déroule dans la cuisine autour d’un décor superbe de John Macfarlane avec des perspectives parfaites et sans folklore. Juste l’essentiel. David Bintley a fait le choix de faire danser le rôle de Cendrillon sans pointes dans cette première partie pour souligner son statut misérable. Cela permet à Sara Renda une très grande liberté dans sa danse et nous montre d’emblée une technique sans failles, des lignes magnifiques et de-ci de-là un six-o-clock.
Le premier acte est aussi celui des deux demi-soeurs, personnages de comédie interprétées avec tout l’humour qui convient très bien à Anna Guého et Clara Spitz, qui excellent dans le crêpage de chignon arbitré par la marâtre de Marina Kudryashova. John Macfarlane signe aussi la création des costumes, toujours justes, élégants mais sans ostentation. Il trouve la juste mesure des couleurs pour les quatre Fées des Saisons servies par un beau quatuor, composé ce soir-là de Vanessa Feuillatte, Ahyun Shin, Alice Leloup et Marina Guizien. David Bintley conclut sur un ensemble pour 16 danseuses en tutus – les bonnes étoiles de Cendrillon ! – montrant un corps de ballet féminin en grande forme.
Second acte et second décor tout aussi beau pour la scène du bal. On y attendait la nouvelle recrue de la compagnie, Riku Ota, venu du Ballet du Rhin qui interprète son premier grand rôle à Bordeaux. Il ne déçoit jamais : de belles lignes, de l’amplitude dans les sauts et un partenaire déjà aguerri malgré son jeune âge. On retient ce porté spectaculaire, les bras en hauteur, tenant fermement Sara Renda par la jambe et une hanche, risque parfaitement maitrisé mais sans esbroufe. Le rôle du Prince ne requiert pas de grandes qualités d’acteur mais Riku Ota s’en acquitte sans soucis. Nul doute qu’il progressera très vite dans la compagnie. Ce deuxième acte nous montre aussi Sara Renda sur pointes. Quelle récompense ! Elle se coule parfaitement dans cette chorégraphie de David Bintley. Formé à la Royal Ballet School, le chorégraphe et danseur a été nourri par les oeuvres de Frederick Ashton et plus encore par celles de Kenneth McMillan. Cela se ressent dans sa chorégraphie où l’on retrouve les caractéristiques de cette école britannique où la danse est aussi théâtre. Le dernier pas de deux du troisième acte évoque sans le copier le travail de Kenneth McMillan avec des extensions extrêmes et ces portés périlleux.
David Bintley a réussi là où beaucoup d’autres chorégraphes – et parmi les meilleurs ! – n’ont pas convaincu. Il fait confiance à l’histoire et au texte de Charles Perrault. Il ne tente pas d’en faire autre chose qu’un conte de fées, il ne refuse pas les tutus, la magie, les rêves d’enfants et leurs cauchemars. Chacune et chacun peut s’y plonger avec bonheur. C’est ce que fait avec brio le Ballet de l’Opéra de Bordeaux.
Cendrillon de David Bintley par le Ballet de l’Opéra de Bordeaux au Grand-Théâtre. Avec Sara Renda (Cendrillon), Riku Ota (le Prince), Anna Guého et Clara Spitz (les soeurs), Marina Kudryashova (la Belle mère), Nicole Muratov (la Fée Marraine), Marina Guizien (La Fée Printemps), Alice Leloup (la Fée Été), Vanessa Feuillatte (la Fée Automne), Ahyun Shin (la Fée Hiver), Marc-Emmanuel Zanoli (le Costumier), Guillaume Debut, Ashley Whittle, Ryota Hasegawa, Alvaro Rodriguez Piñera (Les Amis du Prince). Mardi 17 décembre 2019. À voir jusqu’au 31 décembre.
Sylviane
Bonjour!
J’y étais dimanche passé, dommage que vous ne mentionniez pas l’orchestre, dont la musique incroyable de Prokofiev porte aussi le spectacle. A vous lire on pourrait penser que le spectacle se fait avec un enregistrement.
Sinon bravo pour vos articles!
Léa
Très beau ballet en effet, parfaitement adapté au ballet de Bordeaux, avec deux solistes magnifiques.
Un peu trop de paillettes à mon goût dans certains costumes, mais il y a eu des moyens mis dans la production et ça fait plaisir. Et un corps de ballet masculin un peu sous-exploité, on ne voit que des filles….
Mais sinon je partage tout à fait votre critique, et quel beau rôle pour Sara Renda et quelle arrivée en fanfare pour Riku Ota !! Espérons que dans les années à venir l’Opéra de Bordeaux « ressorte » ces belles productions (La Fille Mal Gardée de l’an dernier également), et si un jour possible celles de Charles Jude. C’est aussi par ses reprises que la troupe assurera sa progression et sa notoriété, et elle le mérite tellement….
Amélie Bertrand
@ Léa : Merci de votre retour ! On espère aussi que les productions de Charles Jude (notamment sa Coppélia originale) ne soient pas oubliées.
@ Sylvie : Vous avez parfaitement raison de souligner l’importance de l’orchestre, que nous oublions parfois un peu trop. Un bon orchestre est fondamental pour une belle représentation de ballet.