Olivier Meyer : « Suresnes Cité Danse a donné au hip hop ses lettres de noblesse »
Déjà 28 bougies ! Suresnes Cités Danse est devenu la festival de référence de toutes les danses urbaines. 28 éditions riches de découvertes qui ont contribué à donner ses lettres de noblesse au hip-hop pour le faire prospérer sur les scènes de théâtre et dialoguer avec la danse contemporaine. Le beau Théâtre Jean Vilar sur la colline de Suresnes a provisoirement fermé ses portes pour des travaux qui vont améliorer singulièrement l’accueil des spectacles et du public. Ce festival 2020 se fait donc hors-les-murs, dans le Théâtre André Malraux de Rueil-Malmaison. Si le format est un peu réduit, cette édition propose toutefois cinq créations à voir sur quatre week-ends consécutifs, du 11 janvier au 2 février. DALP a rencontré le directeur et fondateur du festival Olivier Meyer pour évoquer les temps forts de la programmation et l’avenir souriant du Théâtre Jean Vilar.
Voilà une édition de Suresnes cités danse un peu particulière, puisque vous allez être accueillis dans un théâtre partenaire. Qu’est ce que cela va changer ?
Nous sommes accueillis dans ce théâtre voisin et ami pour quatre week-ends. Cela modifie un peu le programme puisque nous ne disposerons que d’un seul lieu et non pas de deux, et que nous concentrons les spectacles sur quatre week-ends consécutifs. Mais nous conservons le même esprit, la même volonté de faire venir de nouvelles productions et de marquer des fidélités à des chorégraphes que nous apprécions.
L’ouverture propose une soirée en deux temps : Massiwa, une commande du Théâtre de Suresnes signée du comorien Salim Mzé Hamadi Moissi, et une coproduction, Telles Quelles/Tels Quels de Bouziane Bouteldja. Comment s’est construit ce programme ?
Les Comores, c’est loin ! Géographiquement mais aussi parce que l’on ne voit pas beaucoup d’artistes comoriens s’exprimer sur les scènes françaises. Ils n’ont pas le contexte et les moyens dont nous disposons ici, que ce soit les théâtres ou les accompagnements. Mais ils ont la volonté d’exprimer tout ce qu’ils ont au fond du coeur et du corps à travers la danse, l’énergie, la violence… Il se trouve qu‘il y avait là-bas, aux Comores, des danseurs qui avaient beaucoup de force, mais aussi de fragilité due au contexte dans lequel ils sont. Et ils expriment très bien à mon sens ce qu’ils vivent à travers leur danse. La beauté de leurs villes, mais aussi la misère quelquefois, sans jamais pour autant tomber dans le pathos. Il y a une force magnifique qui mérite d’être montré. J’avais discerné cela lors de leur venue l’an dernier avec Soyons Fous. Il n’y a pas de sophistication, il n’y a pas de prétention. C’est une danse énergique, généreuse et virtuose mais aussi parfois violente. Dans cette même soirée d’ouverture revient Bouziane Bouteldja, qui avait aussi exprimé avec délicatesse dans ses solos le poids des traditions de sa communauté. Pour ce spectacle, ce sera différent : il a travaillé avec des danseuses et danseurs marocains et français, notamment l’actrice marocaine Zineb Boujema qui fait l’affiche du festival. Ce sera donc ces deux pièces passionnantes de 40 minutes chacune qui ouvriront le festival 2020.
Il y aura ensuite la reprise de Vertikal de Mourad Merzouki, un habitué du festival, et la semaine suivante une autre création qui vient d’être montrée au Festival de Danse de Cannes : Butterfly de Mickaël Le Mer avec sa compagnie S’Poart. Pouvez-vous nous parler de cette dernière pièce ?
J’ai trouvé cette production absolument formidable. Elle s’est inscrite pour lui dans un moment tout à fait particulier, nourrie de nombreuses émotions personnelles et de deuil. Tout d’abord sa fille qui regardait virevolter les papillons et qui lui a donné l’inspiration. Il a fait de cela un spectacle virtuose et intense. Il a exprimé à travers sa danse quelque chose d’incroyablement poétique et en même temps léger. Cela donne quelque chose de très beau et le public a tout de suite vu l’excellence de la proposition. Je l’attends avec impatience Monsieur Mickaël Le Mer avec ses papillons !
Le dernier week-end sera comme la première, une soirée double avec Nawal Lagraa Aït Benalla et Abou Lagraa baptisée Premier(s) Pas. Pouvez-vous nous expliquer ce titre qu’ils ont choisi ?
La Fondation Edmond de Rothschild a financé une partie de cette production pour faire en sorte que des danseuses et danseurs professionnels, qui avaient déjà une carrière très bien lancée mais qui ont eu un accident de parcours, personnel ou de santé, puissent après cette étape douloureuse revivre comme troupe sur des musiques formidables : Bach, Barber…Ce seront dix garçons et filles qui vont accomplir cette renaissance. Ce sont en quelque sorte de nouveaux premiers pas.
C’est la 28ème édition de Suresnes Cités Danse qui s’est imposé comme un rendez-vous majeur. Comment expliquez-vous son succès ?
Quand nous avons commencé, cela n’existait pas. Aucun théâtre ne consacrait quatre semaines d’affilée à présenter ce que je considérais à l’époque comme étant le meilleur de la danse de cités. Cela n’existait pas en France mais aux États-Unis. Je suis allé cherché des danseurs dans le Bronx à New York qui ont fait un véritable carton, cela a contribué au démarrage de la popularité des danses urbaines. Mais il s’agissait aussi de faire vivre d’autres formes de danses avec ces artistes, de mélanger les styles et les techniques avec le meilleur du hip-hop. C’était aussi donner droit de cité à d’autres formes de danse. C’était cela notre slogan de départ.
Je n’ai jamais abandonné cet objectif-là. Tout d’abord en provoquant des rencontres entre des chorégraphes contemporains et des danseurs et danseuses de hip-hop. Cela a élargi considérablement l’espace du hip hop, cela lui a donné ses lettres de noblesse, d’une certaine manière, à cette danse d’aujourd’hui en faisant en sorte que ces performers deviennent aussi des interprètes. Et progressivement, toute une génération de chorégraphes s’est développée : Kader Attou, Mourad Merzouki, Farid Berki qui étaient danseurs il y a 30 ans à Suresnes et qui sont devenus chorégraphes, directeurs de compagnies, directeur de Centre Chorégraphique National. On a aussi toujours essayé d’anticiper, d’être autant que possible inventif et audacieux, quitte à se casser la figure de temps en temps.
Beaucoup des artistes présents cette année n’étaient même pas nés lors de la première édition. Comment analyseriez-vous l’évolution des danses urbaines depuis 30 ans et leur impact sur la danse en général ?
Un public s’est formé et la danse dite contemporaine a été en partie éclipsée par l’évolution du cirque contemporain et de la danse hip-hop. Progressivement, le public s’est tourné vers ces formes acrobatiques, virtuoses, généreuses, engagées et divertissantes, et qui donnent envie de vie, tellement l’énergie est présente sur le plateau. On venait prendre là son shoot d’énergie. Et puis ce sont des courageux : au départ, ils dansaient sur le macadam, aux Halles. Ils n’avaient pas l’habitude des planches, des lumières et ils dansaient tout seuls, chacun son tour. Cela existe toujours mais l’évolution est considérable. Ils dansent ensemble et les filles sont entrées dans le mouvement.
L’an prochain, le festival réintègrera Suresnes. La réouverture officielle aura lieu le 3 février, juste après le festival. Qu’est ce qui va changer dans ce théâtre rénové ?
Le théâtre a été construit en 1938. Il avait 14 mètres 50 de mur à mur et c’est là que les premières représentations du Théâtre National Populaire dirigé par Jean Vilar ont eu lieu, avant le Théâtre de Chaillot. S’il y a un théâtre qui doit s’appeler Jean Vilar, c’est bien celui de Suresnes. En 1990, on a a réduit la capacité de la salle et créée une arène avec une pente forte. On n’avait pas élargi la scène et il y a très peu de coulisses, pour la danse, c’est problématique. J’ai convaincu la Mairie de Suresnes et on a percé les murs porteurs sans toucher au bâtiment, on a gagné 4 mètres de chaque côté et on est passé à 22 mètres de mur à mur. Cela change tout et nous allons pouvoir accueillir des spectacles beaucoup plus exigeants techniquement et quelquefois artistiquement, notamment le Ballet de l’Opéra de Lyon avec une vingtaine de danseurs et danseuses. Le rapport entre la scène et la salle sera complètement différent, il y aura une osmose.