4e Biennale d’Art Flamenco – Cuentos de Azúcar de Eva Yerbabuena
La quatrième édition de la Biennale d’art flamenco au Théâtre de Chaillot s’est achevée le 13 février. Avec huit spectacles programmés et dix-huit représentations, cette manifestation a été fréquentée durant quinze jours par 11.000 personnes. Parmi les moments forts, la première mondiale de !Fandango!, première création de l’interprète sévillan David Coria et du musicien David Lagos en ouverture. Autre temps fort, les trois heures de performance de la volcanique Rocío Molina, artiste associée accompagnée d’une dizaine d’invités dont Rosalba Torres, François Chaignaud et la musicienne Maria Mazzota. Enfin, la rencontre entre la Danseuse Étoile Marie-Agnès Gillot et le danseur et chorégraphe Andrés Marín pour leur duo MAGMA créé par Christian Rizzo. Côté flamenco plus traditionnel, on a pu (re)découvrir le travail des chorégraphes espagnoles Ana Morales, Olga Pericet et Eva Yerbabuena. Dans Cuentos de Azúcar, la bailaora, médaille d’or des Beaux-arts d’Espagne 2019, choisit de confronter son art à une autre culture en osant la rencontre avec la chanteuse japonaise Ana Sato. Une confrontation prometteuse tant les deux femmes viennent d’horizons tellement différents. Mais le voyage, pour autant qu’il véhicule de très belles images, se révèle moins enthousiasmant que prévu.
« Un jour, Anna m’a offert un disque. Tombant amoureuse de sa voix, j’ai voulu créer quelque chose avec elle, deux personnes différentes qui, venant de lieux différents, avec des langues, traditions et styles différents. Les instruments et les harmonies de la musique traditionnelle des îles Amami évoquent des textures sonores lointaines à celles du flamenco. » Ainsi, Eva Yerbabuena évoque-t-elle le point de départ de cette pièce intitulée mystérieusement Cuentos de Azúcar (contes de sucre), sans doute en référence à la canne à sucre qui pousse sur ces îles japonaises. L’envie de faire dialoguer deux cultures et d’en faire émerger ce que l’on qualifie souvent de langage universel que seules musique et danse savent exprimer. « La distance, dans le temps et dans l’espace, n’a peut-être jamais existé et s’unir dans des visions différentes nous rapproche de l’essence de la vie. Il existe de nombreuses formes d’expression, mais seulement un battement de cœur universel.«
Dans des lumières bleutées, se succèdent deux femmes qui semblent se chercher. L’une en long kimono traditionnel comme en lévitation, se déplaçant avec une infinie lenteur ou s’asseyant avec la grâce à la japonaise. L’autre plus ancrée dans le sol, revêtue de magnifique robes à volants, comme des secondes peaux, qui accompagnent chaque mouvement ample. L’une est dans la retenue, l’autre dans l’emphase. Sur la scène, un cercle délimité par des sortes de ressorts métalliques auquel répond un deuxième cercle projeté sur le décor du fond symbolisant un astre, tour à tour couchant et levant. Les musiciens en fond de scène apparaissent et disparaissent au fur et à mesure que se déroulent les différents chapitres de ce long poème.
Aux mélopées de la chanteuse accompagnée d’un joueur de taiko (tambour japonais), se juxtapose l’incantation flamenca des cantaores. Un peu désarçonnante au départ, la rencontre ne manque pas de charme et de surprise. Mais elle doit aussi servir le mouvement qui, hélas, semble souvent faire cavalier seul. Non que la danseuse, l’une des meilleures de sa génération, ne fasse pas la démonstration d’une technique sans faille et d’une expressivité magnétique, mais elle semble incapable de vraiment créer un dialogue avec la chanteuse. Les entrées et sorties se succèdent, entrecoupées d’interventions du danseur Fernando Jiménez, dont on se demande qu’elle est vraiment leur place dans ce projet.
Finalement c’est la musique qui parvient à jeter des passerelles entre les deux femmes, à rapprocher ces deux belles âmes. Dans le cercle, telle une arena sacrée où elles pénètrent chacune à tour de rôle, se déroule le flot des histoires. Et puis, cet espace bien délimité vole en éclats accueillant danseurs, chanteuse et chanteurs et musiciens. Les voix se mêlent, s’accordent… La danseuse modère sa puissance, tombe les atours de la grande prêtresse pour une danse moins démonstrative et plus intériorisée. On touche enfin à quelques moments de grâce où la singularité de la démarche prend alors, enfin, toute sa dimension.
Cuentos de Azúcar de Eva Yerbabuena au Théâtre de Chaillot dans le cadre de la Quatrième Biennale d’art flamenco. Avec Eva Yerbabuena, Fernando Jiménez (danse), Miguel Ortega, Alfredo Tejada (chant flamenco), Ana Sato (chanteuse), Paco Jarana (direction musicale et guitare), Antonio Coronel (batterie), Kaoru Watanabe (taiko), Rafael Heredia (percussions et conga). Mardi 4 février 2020.