Paroles de danseuses confinées – Marie-Claude Pietragalla et Mélissa Sicre
Danseurs, danseuses, chorégraphes… Les artistes de la danse sont comme tout le monde confinés chez eux, depuis maintenant plus d’un mois. Comment vivent-ils cet éloignement des théâtres et ces spectacles annulés ? Quelles routines ont-ils mis en place dans leur entraînement quotidien ? Comment gèrent-ils les questions matérielles ? Comment voient-ils l’après confinement ? Chaque semaine, DALP laisse la parole à quelques danseurs et danseuses d’horizons différents sur leur confinement.
Cette semaine, place à Marie-Claude Pietragalla (danseuse, chorégraphe, directrice du Théâtre du Corps Pietragalla – Derouault et son école de danse) et Mélissa Sicre (danseuse au Lido de Paris).
Marie-Claude Pietragalla – danseuse, chorégraphe, directrice du Théâtre du Corps Pietragalla – Derouault et son école de danse
Propos recueillis par Amélie Bertrand
Le confinement
Je suis chez moi, avec mon compagnon Julien Derouault, notre fille Lola et mes chiens. Nous essayons de le vivre le mieux possible. C’est inédit, incroyable, presque surréaliste ce qui nous arrive. Lorsque l’annonce du confinement est tombée, nous étions en pleine création du spectacle Dans la Solitude des Champs de Coton que nous devions donner à Avignon, tout en jouant sur scène La femme qui danse et Lorenzaccio. Ça été brutal.
Nous restons tous actifs, nous travaillons physiquement, nous sommes dans un processus de création. Nous essayons de garder notre énergie et notre enthousiasme. Mais nous sommes un peu comme un hamster qui pédale dans sa roue ! Les jours se succèdent et rien ne change vraiment. C’est un peu comme un seul jour qui n’en finirait pas. En même temps, je trouve que le temps passe excessivement vite. Ce temps entre parenthèses, qui est commun à tout le monde, est très perturbant. Je suis privilégiée, je vis dans une maison avec un jardin. Malgré tout, nous sommes confrontés à un monde très restreint. En deux mois, il y a eu aussi une prise de conscience. On ne sait pas quand cela va se terminer, c’est cela qui est très déroutant. Les théâtres ne vont pas rouvrir le 11 mai. Je trouve ce manque de projection très difficile à vivre. Même pour ceux et celles qui vont reprendre le travail, il y aura une crise économique, sociale, politique… Tout ça n’est pas réjouissant et il va falloir survivre là-dedans.
La danse et les gestes barrières
Cela va être très difficile de danser si on doit respecter les gestes barrières. Être à 1 mètre de la personne avec qui on danse, cela semble complètement fou ! Tout comme mettre des masques pour répéter, d’autant plus avec nos spectacles où nous travaillons la voix et le texte. C’est difficile d’imaginer une danse seule même quand on est en groupe. De ne plus avoir de contact, de ne plus pouvoir se toucher… Dans nos métiers, c’est difficilement envisageable. Même dans la vie, ma mère est très âgée, je ne la voie que par téléphone et c’est terrible.
Mais d’un autre côté, rien n’est fou dans l’imagination. Si le public réinvestit les théâtres, avec peut-être une personne tous les deux sièges, pourquoi ne pas imaginer une pièce où l’on danse à 1 mètre l’un de l’autre ? Ce qui est important c’est que l’on soit sur scène, en contact avec le public, que l’on fasse des créations. Il va sûrement y avoir beaucoup de création sur l’isolement, le confinement… Cela donnera peut-être des choses très intéressantes. C’est dans la contrainte que l’on sort parfois des choses extraordinaires. Dans nos métiers, le corps est omniprésent, le contact avec l’autre est là en permanence. C’est grâce à l’autre que l’on peut trouver un équilibre, un déséquilibre… Ces thèmes vont tourner en boucle dans la tête des créateurs/créatrices : je ne pourrais pas communiquer physiquement avec l’autre alors comment je fais comment pour me faire comprendre ? Cela peut être une source d’inspiration, mais j’ose espérer que cela ne dure qu’un temps.
Le futur du Théâtre du Corps Pietragalla – Derouault
Nous sommes inquiets pour notre compagnie et notre école de danse. Nous avons des aides comme toutes les PME. Nous avons des partenaires, la région, la ville d’Alfortville, l’État. Mais on ne vit pas que de subventions, au contraire, nous devons avoir des spectacles pour payer les frais fixes de la compagnie. Il va falloir faire des efforts, ne pas avoir de rétributions pendant plusieurs mois pour rééquilibrer mais ce n’est pas un avenir. Je pense aussi à mes interprètes, je connais le problème de l’intermittence. Et on ne sait pas quand nous pourrons reprendre les spectacles. Pour nous, le confinement ne s’arrête pas le 11 mai : nous aurons le droit de sortir mais pas le droit de travailler, de danser, de donner des cours de danse.
Artistiquement, nous sommes inquiets de ne pas pouvoir remonter sur scène, un danseur/une danseuse est faite pour ça. Je pense aussi à mes danseurs et comédiens, aux enfants qui viennent prendre des cours à l’école. Cela manque cruellement.
Dans nos métiers, le corps est omniprésent, le contact avec l’autre est là en permanence.
L’entraînement
Nous nous imposons un cadre la plupart du temps, même s’il y a forcément des jours où on se sent plus motivé que d’autres, surtout au bout de huit semaines. Je travaille pour la compagnie, l’école et la saison prochaine le matin. L’après-midi, on se partage l’espace et le temps entre moi, Julien et ma fille qui pratique le kung-fu. Je fais tout ce que l’on n’a pas forcément le temps de faire en temps normal : un travail de profondeur de barre au sol et de pilates avec une machine, j’ai la chance d’en avoir une à la maison. Je fais toujours évidemment une barre, c’est mon hygiène de vie. J’essaye aussi de travailler sur l’imaginaire, la création, l’improvisation, trouver des gestuelles différentes… On ne va pas sortir indemne de ce confinement, cela va modifier aussi notre façon de danser, influencer un état d’être et un état d’âme. On ne va pas faire comme si rien ne s’était passé. Le corps va réagir différemment, certainement que des choses vont surgir malgré nous.
Les improvisations
Nous postons régulièrement avec Julien Derouault des temps d’improvisation sur nos réseaux sociaux. Ces improvisations sont comme la vision que l’on a de l’intérieur sur l’extérieur. Avec le confinement, tout est modifié : les perceptions, la relation avec l’autre, le confinement avec les autres aussi qui n’est pas si simple que ça. Cet isolement particulier, qui ne nous permet pas de sortir quand on veut alors qu’il s’agit d’une liberté que l’on avait sans y penser, contraint l’esprit et le corps. Toutes ces improvisations sont comme un regard vers un monde extérieur, l’envie d’une échappatoire alors que l’on est entre quatre murs. Ce sont des thèmes que j’ai beaucoup aimé aborder plus jeune. Comment traduire ça dans le corps ? Comment évoquer le temps qui s’égrène ? L’environnement géographique qui ne bouge pas ? Si le corps est contraint, l’esprit l’est aussi.
Je sens qu’il y a des choses que l’on a envie de creuser, de se poser des questions différentes. Et à partir du moment où notre pensée est différente, cela se ressent dans notre corps et notre gestuelle. C’est ça qui est très intéressant. J’ai hâte de retourner dans les studios et de travailler de nouveau avec mes danseurs et danseuses. Chacun va apporter quelque chose de nourri de cette expérience forcée. Il faut essayer malgré tout de trouver quelque chose de positif à tout ça.
On a besoin du dehors, des autres, d’échanger, de se voir, de se toucher, de vivre ensemble.
Et après ?
Il faut se projeter avec les directions de théâtre dès septembre, mais tout est en point d’interrogation. Normalement, je suis au Théâtre de la Madeleine pour La Femme qui danse du 12 novembre au 31 décembre 2020. On croise les doigts… J’ai aussi fait un planning pour les cours de septembre de notre école de danse, même si nous sommes dans l’hypothèse, mais nous sommes obligés de le faire. Je souhaite qu’en septembre nous puissions voir le bout et reprendre notre activité professionnelle.
Tout me manque : le studio, le rapport à la scène et au public, le travail avec les interprètes, ce dépassement de soi, mon travail avec mon équipe administrative aussi. Et puis le fait de pouvoir sortir, se nourrir en allant voir des spectacles, des expositions… Je parle beaucoup de cet esprit contraint et enfermé. Au-delà de regarder à travers la fenêtre, il n’y a pas grand-chose à voir. Heureusement que les artistes sont là pour nous évader à travers la lecture, le cinéma, les spectacles ou la danse sur internet. Il y a beaucoup de choses à portée de main pendant le confinement. Mais on a besoin du dehors, des autres, d’échanger, de se voir, de se toucher, de vivre ensemble.
Mélissa Sicre – Danseuse au Lido de Paris
Propos recueillis par Claudine Colozzi
Le confinement
Dès que j’ai appris que le Lido fermait ses portes comme toutes les salles de spectacles, j’ai vite compris que cela risquait de durer. J’ai choisi de quitter Paris pour me confiner en Provence dans la maison familiale. C’est un environnement privilégié à la campagne. J’en profite pour passer du temps avec mes parents. Ce confinement est comme une sorte de retour aux sources. Une pause dans le rythme de vie effréné que je mène depuis que je suis rentrée au Lido en 2016.
Son état d’esprit
J’ai vite pris conscience des conséquences que cet « arrêt » pouvait avoir professionnellement et personnellement, pour le corps et le mental. Comment compenser le fait de ne plus monter sur scène tous les jours ? De ne plus ressentir cette adrénaline qui nous traverse chaque soir quand nous revêtons plumes, strass et paillettes ? Au Lido, nous dansons six jours sur sept, deux fois par soir. C’est une cadence assez grisante. Depuis quatre ans, je n’ai pas vu le temps passer ! La crainte peut être aussi de se blesser quand tout redémarrera. D’où l’importance de conserver un corps au top.
Sa routine, son quotidien
Au Lido, l’autodiscipline est essentielle. Nous avons des répétitions ponctuelles en fonction de l’organisation de certains événements, mais les entraînements sont libres. Chaque danseuse et danseur (car il y a aussi les Lido Boys) choisit ses cours. Dans la revue, nous enchaînons des styles très variés. Nous avons même un passage sur pointes ! Forcément je suis très orientée vers la danse classique car j’ai une formation classique (une année à l’École de Danse de l’Opéra de Paris, le CNSMD de Paris). Le placement, la technique sont très importants pour moi. En temps normal, je prends des cours à la Cité Véron et au Studio Harmonic.
Aussi, dès le premier jour de confinement, j’ai imaginé ce que serait ma routine physique. Je me lève tôt et j’enchaîne par deux heures d’entraînement : barre au sol, barre classique, pilates, renforcement musculaire, cardio… Je m’inspire de différents exercices pour varier. Je suis les barres d’Andrey Klemm ou du ballet de Norvège. Comme beaucoup de danseurs et danseuses, le seul souci est le sol sur lequel je m’exerce qui limite les sauts et le travail au milieu. Le point positif de ce confinement, c’est la puissance de motivation que procurent Instagram et les réseaux sociaux. On trouve des sources d’inspiration incroyables. J’ai découvert les cours de pilates de Nickpilates par hasard sur internet et je les suis régulièrement.
Le reste du temps, je cuisine en famille car la diététique est un aspect très important de la discipline d’une danseuse. Je me suis aussi plongée dans des petits travaux de jardinage. Bref, des plaisirs simples qui apportent détente et sérénité. Je vis un peu au jour le jour, en essayant de ne pas trop penser aux mois qui viennent.
Sa présence sur les réseaux sociaux
Le Lido m’a proposé d’animer une vidéo IGTV sur son compte Instagram le 2 mai. L’idée est de partager l’entraînement d’une Bluebell girl. Cela permet de garder la motivation, de donner accès au grand public à la routine d’une danseuse de revue. Au Lido, les rôles sont clairement définis : les Bluebell girls, les Belles qui dansent topless et les Sublimes qui sont les solistes. Je suis Belle, remplaçante Sublime.
Le point positif de ce confinement, c’est la puissance de motivation que procurent Instagram et les réseaux sociaux. On trouve des sources d’inspiration incroyables.
Et après le confinement ?
J’ai tellement hâte de retrouver toute l’équipe et la revue Paris merveilles. Nous restons en contact, mais nous n’avons qu’une envie : remonter sur scène. Le plaisir sera fortement décuplé quand nous poserons de nouveau un pied sur le plateau. Je suis impatiente aussi de reprendre le fil des projets que je mène dans le monde de la mode en parallèle de ma vie de danseuse. Je devais notamment participer à un défilé de haute de couture de Franck Sorbier. J’ai aussi été choisie comme égérie d’une marque de maroquinerie.
Quand on a la passion de danser qui brûle en soi, cet arrêt, même indispensable en cette période, est difficile à vivre. Heureusement, toutes les initiatives d’artistes qui voient le jour depuis le début du confinement rappellent chaque jour combien l’art est indispensable à nos vies.