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Sans public ou sur un plateau de cinéma : les insolites nominations d’Étoile

En étant nommé Danseur Étoile devant une salle vide (mais face à 10.000 personnes devant leur écran), Paul Marque a vécu une nomination pas tout à fait comme les autres. Applaudissements nourris, saluts qui n’en finissent plus devant un public debout… Les nominations d’Étoiles à l’Opéra de Paris ont leurs rituels. Mais certaines, comme celle qu’a vécu le jeune danseur, sortent des normes. En pleine grève, sur un plateau de cinéma ou riche de rebondissements, retour sur les nominations d’Étoiles insolites de l’Opéra de Paris.

 

Dorothée Gilbert – Nommée Danseuse Étoile le 19 novembre 2007 en pleine grève

Automne 2007, Casse-Noisette de Rudolf Noureev doit se tenir à l’Opéra Bastille. Mais l’Opéra de Paris est bloqué par un mouvement de grève autour de la réforme du statut des intermittents du spectacle, et les deux premières représentations de la série sont annulées. La troisième est toutefois maintenue, avec dans les rôles principaux Dorothée Gilbert, alors brillante Première danseuse, et son petit père Manuel Legris. Mais les conditions sont compliquées suite au mouvement de grève : la représentation se fait sans décor, sans costume (sauf pour les deux rôles principaux, le corps de ballet et les Petits rats sont en tenue de répétition), avec effets de scène réduit au minium et devant une salle à moitié vide. Drôle d’ambiance pour la féérie de Casse-Noisette ! Mais à la fin de la représentation, Brigitte Lefèvre et Gérard Mortier montent en scène et nomment Dorothée Gilbert Danseuse Étoile, une nomination attendue tant la danseuse brille déjà. Cette série de Casse-Noisette connaît d’autres annulations par la suite, avant de pouvoir se terminer à peu près normalement.

 

Manuel Legris – Faussement nommé par Maurice Béjart… puis nommé à l’étranger le 11 juillet 1986

Les années 1980 du Ballet de l’Opéra de Paris ont été marquées, entre autres, par son directeur Rudolf Noureev et par le grand chorégraphe Maurice Béjart. Mais si le premier a dansé des pièces du deuxième, il restait entre eux une rivalité d’ego. En mars 1986, Maurice Béjart crée Arepo (dont nous voyons encore aujourd’hui quelques variations aux Concours de promotion), un ballet spécialement monté pour les grandes Étoiles de la génération Noureev et quelques jeunes talents brillants. Enthousiasme à l’issue de la première, Maurice Béjart saute sur scène aux moments des saluts et annonce au public qu’il nomme Danseur Étoile deux des interprètes du soir : Manuel Legris et Éric Vu An, alors Sujets. Mais le chorégraphe n’en a pas vraiment informé le directeur Rudolf Noureev, qui, furieux, se précipite à son tour en scène en criant « Poisson d’avril ! » et annule cette double nomination. Quelques mois plus tard, lors d’une tournée à New York, le directeur russe nomme finalement Manuel Legris Danseur Étoile, le 11 juillet 1986, à l’issue d’une représentation de Raymonda au MET de New York.

À noter – Si Manuel Legris ne vit pas sa carrière souffrir suite à cet événement, devenant l’un des danseurs emblématiques de Rudolf Noureev, Éric Vu An quitta la compagnie quelques mois plus tard. Cet événement marqua aussi un conflit ouvert entre Maurice Béjart et Rudolf Noureev, à coups de déclarations dans la presse. Manuel Legris ne fut également pas la seule Étoile nommée à l’étranger, même si cela reste rare : Benjamin Pech fut nommé Étoile à Shanghai le 22 septembre 2005, alors qu’il dansait Albrecht, tandis que Hugo Marchand fut nommé le 3 mars 2017 à Tokyo après avoir dansé La Sylphide (le rôle de James) de Pierre Lacotte.

 

Ludmila Pagliero – Nommée Danseuse Étoile le 22 mars 2012 en direct au cinéma

Une nomination doit parfois un peu au destin.. Sur cette série de 2012 de La Bayadère, Ludmila Pagliero, alors Première danseuse, n’est pas distribuée. Mais à la veille d’une représentation retransmise en direct au cinéma, Dorothée Gilbert, qui devait assurer le rôle de Gamzatti, se blesse. Elle est remplacée par Mathilde Froustey et Ludmila Pagliero rejoint les distributions pour les prochaines dates, ayant déjà dansé Gamzatti lors d’une précédente série. Mais au matin du 22 mars, Mathilde Froustey se blesse à son tour. Et c’est finalement Ludmila Pagliero qui doit la remplacer au pied levé, avec 24h pour travailler le rôle, lors de cette représentation filmée et retransmise en direct au cinéma. Elle danse aux côtés d’Aurélie Dupont (Nikiya) et Josua Hoffalt (Solor), qui a été nommé Danseur Étoile le 7 mars, sur cette même série de La Bayadère. Et surprise au moment des saluts, Brigitte Lefèvre monte en scène pour nommer Ludmia Pagliero Danseuse Étoile, saluant son talent comme « le courage extraordinaire de remplacer au pied levé la danseuse prévue ce soir« .

À noter – Cette nomination de Ludmila Pagliero créa la polémique à l’époque. Danseuse polyvalente, assurant aussi bien dans les ballets classiques que les pièces contemporaines, elle est très appréciée de la direction, mais pas forcément du public qui la connaît finalement peu, et qui se désespère de voir un jour nommée Myriam Ould-Braham ou Mathilde Froustrey. Mais Ludmila Pagliero gagne petit à petit ses galons d’Étoile, affirmant sa personnalité, et devant aujourd’hui l’une des danseuses de la compagnie les plus appréciées du public.

 

Mathieu Ganio – Nommée Danseur Étoile le 20 mai 2004 encore Sujet

Quadrille, Coryphée, Sujet, Premier danseur/Première danseuse, Étoile. Les échelons du Ballet de l’Opéra de Paris sont immuables et il faut passer par chaque grade pour arriver au titre suprême… Sauf exception. C’est ainsi le cas de Mathieu Ganio. Le 20 mai 2004, il danse pour la troisième fois le rôle de Basilio dans Don Quichotte, quelques mois après être passé Sujet. Rien n’annonçait donc une nomination, d’autant que le danseur, certes déjà très prometteur, n’avait pas vraiment fait ses armes dans des grands rôles. Pourtant, à la fin de la représentation, surprise : Hugues Gall et Brigitte Lefèvre montent en scène, une fois le rideau baissé comme il est de coutume à l’époque, pour nommer Mathieu Ganio, tout juste 20 ans, et finalement peu connu du public à l’époque.

À noter – Même si c’est rare, Mathieu Ganio n’est pas le seul danseur à avoir sauté la case « Premier danseur ». Manuel Legris, évoqué plus haut, a été nommé alors qu’il était encore Sujet. Sylvie Guillem, nommée le 24 décembre 1984, venait de passer Premier danseuse quatre jours plus tôt, mais les nominations n’étant effectives qu’en janvier, elle n’a techniquement pas occupé ce grade. Idem pour Germain Louvet, promu Premier danseur au Concours le 4 novembre 2016, puis Étoile le 28 décembre de cette même année.

 

Élisabeth Maurin : Nommée Danseuse Étoile le 23 décembre 1988 sur un plateau de cinéma

Élisabeth Maurin est une jeune Sujet prometteuse quand Rudolf Noureev prend les rênes du Ballet de l’Opéra de Paris. Il la repère tout de suite, danse Giselle avec elle et la distribue dans son Casse-Noisette en 1985. Trois ans plus tard, Rudolf Noureev réalise un film de ce ballet avec le cinéaste Colin Nears. Il choisit pour les rôles principaux Laurent Hilaire et Élisabeth Maurin, encore Première danseuse. Et c’est en plein tournage, dans les studios de Bry-sur-Marne, que le directeur décide de la nommer Danseuse Étoile. Élisabeth Maurin devra attendre 1993 pour danser à nouveau ce rôle, mais cette fois-ci en scène et devant un public.

 

Françoise Legrée – Nommée Danseuse Étoile le 23 mai 1983 en direct à la télévision

Dans les années 1980, Le Grand Échiquier présenté par Jacques Chancel était la grande émission culturelle, diffusée en direct, alternant interviews et prestations scéniques. Plusieurs numéros de cette émission ont été consacrés au Ballet de l’Opéra de Paris. Ce fut le cas de celle du 23 mai 1983. Sur scène, l’Étoile Élisabeth Platel, la Première danseuse François Legrée et le Premier danseur Bernard Boucher interprètent un extrait de Voluntaries de Glen Tetley. À la fin de la prestation, alors que les artistes rejoignent le présentateur, le plateau se remplit par toute la troupe… Pour l’annonce par Jacques Chancel, suite à la décision de la Directrice de la Danse Rosella Hightower, de nommer Danseuse Étoile François Legrée. Une nomination qui ne s’est donc pas faite sur scène… Mais tout de même entourée de toute la troupe et face à des millions de téléspectateurs et téléspectatrices.

À noter – Paul Marque, devenu Étoile le 13 décembre 2020, connu lui aussi une nomination par écran interposé, lors d’une retransmission de La Bayadère en direct sur internet, le spectacle ne pouvant avoir lieu en public suite à la crise sanitaire de la Covid19.

Wilfried Romoli – Nommé Danseur Étoile le 3 février 2005, trois ans avant sa retraite

Le titre d’Étoile vient en général saluer une carrière prometteuse, un jeune talent brillant en devenir… Bref, une annonce de belles années à venir pour la compagnie. Mais Brigitte Lefèvre a aussi distingué quelques artistes en fin de carrière, pour les récompenser d’un beau parcours artistique. C’est ainsi le cas de Wilfried Romoli, nommé Danseur Étoile le 3 février 2005 après le spectacle Ich Bin… de Suzanne Linke, alors qu’il est à trois ans de la retraite. Le danseur s’est illustré toute sa carrière dans les rôles de caractère et les créations contemporaines, choisi notamment par Pina Bausch. Il fait ses adieux le 6 mai 2008, après avoir dansé Un trait d’union d’Angelin Preljocaj.

À noter – Brigitte Lefèvre nomma plusieurs Étoiles peu de temps avant leurs adieux. Delphine Moussin fut ainsi nommée à 37 ans, après une représentation de Cendrillon, là encore à trois ans de la retraite (40 ans pour les femmes à l’époque). Un spectacle que la danseuse effectua… le bras dans le plâtre, une fracture ne l’ayant pas fait renoncer à la scène. Isabelle Ciaravola fut aussi nommée à 37 ans, après une formidable représentation d’Onéguine. Si elle n’eut le titre que pendant cinq ans, elle n’en fut pas moins l’une des Étoiles les plus brillantes de sa génération, s’illustrant dans les grands rôles dramatiques néo-classiques.

 



Commentaires (1)

  • pirouette24

    Oh oui je me souviens de la polèmique de la nomination de Ludmila Pagliero, qui frôlait le harcèlement tant les commentaires étaient durs, voir purement méchants (attaques sur son physique,etc..). Ca me fait penser un peu au traitement infligé par les réseaux sociaux à Léonore Baulac… et aujourd’hui Ludmila est à mon goût une de nos plus belles étoiles! Quelle force de caractère il faut pour faire ce métier…

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