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[Retransmission] Gala de Noël 2020 – Het Nationale Ballet

Que faire lorsque le coronavirus empêche une grande compagnie de danser devant une salle comble en cette période de Noël ? Faire appel à la technologie numérique dernier cri… Résultat ? Tous les membres du Het Nationale Ballet d’Amsterdam ont mis les petits plats dans les grands pour montrer – grâce à une diffusion par Internet – le meilleur d’eux-mêmes lors d’un Gala de Noël diffusé uniquement en ligne. À revoir le 27 décembre à midi, pendant 24 heures.

Casse-Noisette et le roi des souris de Wayne Eagling et Toer van Schayk – Het Nationale Ballet

Quel programme impressionnant que ce Gala de Noël 2020 du Het Nationale Ballet ! Dans un patchwork bien conçu, tout y est, entre grands pas de deux du répertoire et George Balanchine, sans oublier deux premières mondiales (Echoes of tomorrow et Metamamorphosis I), le final de Classical Symphony de Ted Brandsen, deux extraits de pièces de Hans van Manen (5 Tango’s et Solo), maître incontestable et incontesté du néoclassique, tant aux Pays-Bas et qu’ailleurs dans le monde, et bien sûr l’indispensable Casse-Noisette. Un condensé de ce que le Het Nationale Ballet peut apporter au monde de la danse.

Judicieusement entrecoupées par de courts moments d’interview façon talk-show de Ted Brandsen (le directeur artistique de la troupe) et plusieurs Principals ou solistes, enregistrés dans le foyer du Muziektheater devant de grands sapins tout en ornements, avec vue sur Amsterdam by night, par la bien connue (localement) Milouska Meulens, les chorégraphies s’enchaînent à toute vitesse. Au point que l’on a parfois un peu de mal à reprendre son souffle, tout comme certainement les danseurs et danseuses. Un moyen numérique pour créer une communication directe entre les deux ? Mais l’on ne peut que saluer la performance du Het Nationale Ballet, troupe qui fêtera ses 60 ans d’existence en 2021, en grande forme d’un bout à l’autre de ce Gala de Noël 2020. Le tout malgré les contraintes du moment, entre (faux) espoirs de pouvoir danser à nouveau devant public en cette période si importante pour le monde du spectacle et autres vicissitudes liées au coronavirus.

Who cares de George Balanchine – Het Nationale Ballet

Place en ouverture de bal à plusieurs extraits (sept au total) du pétillant Who cares de George Balanchine, dans un décor évoquant le New York des années 1930, tenue de charleston pour les danseuses et cheveux gominés pour leurs partenaires. Ce ballet, qui fait partie de la série « Americana » créée par le grand maître pour rendre hommage à son pays d’adoption, s’inspire des comédies musicales légendaires de l’époque, sur les musiques inoubliables de George Gershwin. Si tous les extraits sont dansés avec technicité et fougue, on remarque particulièrement le célèbre The Man I love interprété avec sensibilité par Jessica Xuan et Martin ten Kortenaar.

Changement total d’ambiance et de style avec, ensuite, la première mondiale du pas de deux néoclassique Echoes of tomorrow, créé pour l’occasion par la jeune chorégraphe néerlandaise Wubkje Kuindersma. Sur une très belle musique de l’Ukrainien Valentin Silvestrov pour piano et violon créée pour rendre hommage à Tchaïkovski, et devant un fond jaune clair projeté devenant de plus en plus soutenu avant de virer à l’orange, ce duo s’inspire d’une idée philosophique exprimée dans le titre. Le futur (“Tomorrow”), laisse dès à présent ses échos en chacun de nous. Exécutés de façon très fluide, les pas tout en finesse évoquent un souvenir que les deux protagonistes ont partagé dans d’autres temps.

Echoes of tomorrow de Wubkje Kuindersma

Mais passons à un moment plus qu’attendu par les balletomanes : le Grand Pas classique de Victor Gsovsky. Un pas de deux interprété par les Principals Jessica Xuan et Jakob Feyferlik. Ce dernier est passé en 2016, chose assez rare, directement du corps de ballet au grade de Soliste au Ballet national de Vienne, alors dirigé par Manuel Legris. Âgé de seulement 23 ans, ce Principal vient de rejoindre la compagnie néerlandaise en septembre – en pleine période de coronavirus -, après avoir fait connaissance avec la scène du Muziektheater et le Het Nationale Ballet e à plusieurs reprises l’année dernière en tant que principal invité. Que dire de ce mythique morceau de bravoure créé en 1949 pour la regrettée étoile Yvette Chauviré et son partenaire russe Wladimir Skouratoff  ? Hommage avant tout aux différents interprètes inoubliables qui ont fait vivre ce pur bijou sur les scènes françaises et ailleurs, à l’instar des Étoiles Élisabeth Platel et Sylvie Guillem, Nicolas Le Riche et Manuel Legris, pour ne citer qu’elles.

Connu pour son niveau technique élevé, ce pas de deux permet aux interprètes de briller sur scène. Et ce fut le cas pour ce Gala de Noël ! Jakob Feyferlik, bien placé, bien en dehors, beau ballon, a montré une variation très propre où l’on pouvait reconnaître la patte de son ancien directeur artistique Manuel Legris. Jessica Xuan, pour sa part, maîtrisait bien les difficultés techniques de sa variation tout en montrant une approche musicale de la pièce.

Grand Pas classique de Victor Gsovsky – Jakob Feyferlik et Jessica Xuan

Autre pas de deux ambitieux, mais dans un registre totalement différent, Chroma du chorégraphe contemporain Wayne McGregor, créé en 2005-2006 au Royal Ballet et devenu depuis un classique des galas. La pièce met en scène les Principals Maia Makhateli et Vito Mazzeo, tous deux impressionnants d’énergie et de virtuosité. Ce duo, centralisé sur le corps humain et ses drames, est chargé d’émotion. Il utilise un langage parfois saccadé permettant de découvrir d’autres facettes, moins connues mais non moins intéressantes, du talent de ces deux interprètes émérites. La musique, signée Joby Talbot et Jack White, est proche du courant américain minimal music (musique minimaliste) et rappelle par moments le son si reconnaissable du gamelan javanais.

Et pas de gala classique digne de ce nom sans le pas de deux dit « du balcon » de Roméo et Juliette, ici interprété par les Principals Qian Liu et Semyon Velichko, dans la version de Rudy van Dantzig, ancien directeur artistique de la troupe. Il signait avec cette chorégraphie le premier ballet complet du Het Nationale Ballet, un passage clé pour l’histoire cette célèbre scène. La chorégraphie, aérée, fluide, laisse de la place pour incarner les sentiments naissants des jeunes Roméo et Juliette menant à un amour interdit et, plus tard, à l’issue tragique que l’on connaît. Les interprètes arrivent bien à faire passer l’émotion et l’arabesque de Qian Liu mérite le détour. Quant au décor, signé Toer van Schayk, il est comme un clin d’œil à Amsterdam, résidence de la compagnie : au lieu d’un balcon traditionnel de style italien, Juliette descend ici du perron de l’une de ces imposantes maisons caractéristiques du XVIIe siècle situées au bord des canaux de la ville. Last but not least enfin, juste avant le final, le pas de deux dit « de la lettre » d’Onéguine de John Cranko, par les Principals Anna Ol et Jozef Varga, qui n’hésitent pas à montrer leur sensibilité dans ce moment tragique de l’intrigue, entre amours perdues et moments de remords.

Roméo et Juliette de Rudy van Dantzig – Semyon Velichko et Qian Liu

Le bouquet final consiste en des extraits de Casse-Noisette, dans la version de Wayne Eagling et Toer van Schayk, ballet au répertoire de la compagnie en décembre depuis de longues années, toujours devant des salles combles. Cette version, intitulée Casse-Noisette et le roi des souris, a une spécificité car, tradition locale oblige : elle se déroule en période de Saint-Nicolas au lieu de Noël. Dans le très féerique prologue, les chorégraphes mettent en scène quelques instants de patinage en famille sur les canaux devant la maison lorsque Clara et sa famille accueillent les invité(e)s de la soirée. « Sinterklaas » (Saint-Nicolas !) en personne y fait même une courte apparition. Autre moment magique du premier acte, la valse des flocons de neige, bien rendue par le corps de ballet, flocons légers virevoltant à souhait sur la scène. Mention spéciale pour les deux grands Sujets interprétant les solos, Jingjing Mao et Maria Chugai, qui se font remarquer par de belles lignes dans des mouvements parfaitement coordonnés. Le chœur d’enfants (sans paroles) qui accompagne ce moment de féerie est interprété par le Nieuw Amsterdams Kinderkoor.

Après l’enchaînement de trois des danses traditionnelles du deuxième acte (danses chinoise, grecque et russe), on arrive à l’apothéose de la soirée, le grand pas de deux, qui met en scène un binôme star de la compagnie : Maia Makhateli et le virtuose et aérien Young Gyu Choi. Comme toujours, c’est un vrai plaisir de les voir évoluer ensemble : une parfaite note de fin pour la soirée ! 

Casse-Noisette et le roi des souris de Wayne Eagling et Toer van Schayk – Maia Makhateli et Young Gyu Cho

Un spectacle sans applaudissements : que faire ?

Cette diffusion sur Internet du Het Nationale Ballet s’est déroulée une petite semaine après celle de La Bayadère du Ballet de l’Opéra de Paris. Et ce dernier ferait-il désormais office de norme dans ce monde nouveau du spectacle garanti « corona compatible » ? Le temps le dira, mais force est de constater que si, lors de la diffusion précédente du HNB Back to ballet-classicen novembre, on pouvait encore percevoir quelques (timides) applaudissements lors des saluts et s’y associer avec enthousiasme derrière son écran, cette fois-ci, un silence assourdissant régnait lors des saluts, tout comme c’était le cas sur la scène de l’Opéra Bastille vide de public le 13 décembre.

Une situation qui, pour les interprètes, doit être assez spéciale car ces moments privilégiés de communion avec leur public sont primordiaux, sans parler des éventuels souvenirs mitigés de concours et autres examens de passage que cela pourrait évoquer pour certain.e.s artistes. Un peu frustrant aussi pour nous derrière notre écran, il faut l’avouer, notamment à l’occasion des variations lors des pas de deux où les applaudissements fusent généralement lors les manèges des Étoiles masculines ou autres séries de doubles (voire triples) fouettés des Principals féminines. Au-delà de la tradition, cela fait réellement partie du plaisir partagé. Ce serait peut-être intéressant, d’ailleurs, de réfléchir à une solution intermédiaire, moyennant quelques applaudissements enregistrés au bon moment et bien dosés, en évitant toutefois que cela soit trop présent, comme c’est le cas des rires en fond sonore de certains sitcoms anglo-saxons…

Onéguine de John Cranko – Anna Ol et Jozef Varga

Heureusement, en compensation, la caméra de ce Gala de Noël pouvait montrer en gros plan la fosse d’orchestre du Muziektheater lors des saluts, où des musicien.ne.s avaient tenus à mimer, par solidarité, les applaudissements manquants à l’aide de l’arche de leur instrument. Et il faut admettre que cela faisait du bien. Car, si de chaleur humaine et de moments de communion, tout le monde en a besoin en temps normal, c’est évidemment encore plus le cas en cette période de crise sanitaire.

 

Gala de Noël du Het Nationale Ballet diffusé sur internet le 19 décembre 2020. 

À revoir le dimanche 27 décembre à 12h, puis en ligne pendant 24h

 




 

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