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2020, bilan d’une année danse

Après le Top 5 de la rédaction, place à un bilan plus détaillé de l’année Danse 2020. Une année si particulière, que nous n’aurions jamais pu imaginer. Une année de fermeture. Mais aussi une année de réflexions, de nouvelles Étoiles (parce qu’il y a des choses qui ne changeront jamais), de départs et nouveaux départs, de disparitions et d’anniversaires. Malgré l’absence de spectacle la majeure partie de l’année, oui, il s’est est passé des choses sur la planète Danse en 2020. Rétrospective toute subjective.

Tamara Rojo pendant son cours de danse en direct

La danse… Sans danse

Qui aurait pu imaginer cette vertigineuse année il y a douze mois. À la mi-mars, plus tôt pour quelques pays asiatiques, le monde de la danse s’est mis en pause. Crise de la Covid-19 oblige, la moitié de la planète s’est confinée et les théâtres ont fermé leurs portes. Les danseurs et danseuses du monde entier ont dû quitter les studios de danse pour s’enfermer chez eux… Et s’installer sur les réseaux sociaux. Au-delà de l’indispensable travail quotidien dont ces artistes ont besoin, la créativité et le rapport au public ont continué à exister, malgré tout. Et même si rien, mais vraiment rien, ne peut remplacer le spectacle vivant, la danse et ses artistes nous ont tellement aidés pendant ces mois compliqués. Citons ainsi les formidables saisons en ligne du New York City Ballet, les barres à la maison des Étoiles de l’Opéra de Paris, les créations inventives de l’English National Ballet, les cours de danse du Het Nationale Ballet, et toutes ces multitudes créations et cours en ligne, mis en place parfois en quelques jours et avec des bouts de ficelle, qui ont fait vivre le monde de la danse ces derniers mois.

Des spectacles, il y en a eu cependant. Repensons ainsi au superbe Marco Masciari qui a gagné le Prix de Lausanne en février, à la Trisha Brown Dance Company, au Béjart Ballet Lausanne et son Boléro. Et puis cette parenthèse de l’automne : le Temps d’aimer à Biarritz où se mêlait la joie de se retrouver et la peur des lendemains incertains, Montpellier Danse qui a continué envers et contre tous, la si attendue revisite du Lac des cygnes d’Angelin Preljocaj.

Mozart à 2 de Thierry Malandain – Malandain Ballet Biarritz

2021 s’annonce toutefois comme une année dangereuse, avec le contrecoup économique qui pourrait être violent, à l’heure où la reprise est encore incertaine. Le monde de la culture est soutenu en France, mais la vigilance s’impose. Derrière les 80 euros millions d’aide à l’Opéra de Paris, combien ont touché les maisons d’opéra de province, et avec eux les ballets dont le plus gros de leurs effectifs est en CDD ? Qu’en sera-t-il des structures, comme le Malandain Ballet Biarritz ou la Maison de la Danse, tous deux très actifs dans le paysage de la danse française, qui ont besoin d’ouvrir et de donner des spectacles pour être financièrement en ordre de fonctionnement ? L’année blanche des intermittents du spectacle, qui dure jusqu’en août 2021, ce qui ne suffira pas, sera-t-elle étendue ? Et qu’en est-il des écoles de danse qui sont restées fermées la moitié de l’année, des centres de danse toujours portes closes ? En 2020, seule la fermeture d’Éléphant Paname a été à déplorer parmi les grosses structures, il faut espérer que 2021 ne fasse pas trop de dégâts. Et pensons aussi aux artistes de pays soutenant moins la culture : aux États-Unis, la très majeure partie des danseurs et danseuses, et des artistes du spectacle en général, ne sont plus payés depuis juin. Et ne reprendront une activité normale qu’en septembre 2021, si tout va bien.

 

La place des artistes noirs dans le ballet

La réflexion sur la place des danseurs et danseuses noires dans le monde du ballet, ou plutôt leur grande absence et pourquoi, n’est pas nouvelle. Sans remonter à l’immense danseur afro-américain Arthur Mitchell dans les années 1950, les artistes de la danse d’aujourd’hui, qu’ils et elles soient noires ou blanches, évoquent de plus en plus le problème. Mais le phénomène a pris de l’ampleur en 2020 avec les manifestations Black Lives Matter, qui ont amené un peu partout dans le monde les compagnies de ballet à s’interroger un peu plus.

En France, le débat était jusque-là inexistant, sous-entendu qu’il n’y avait pas de problème. Pourtant, même s’il y a des exemples d’artistes noirs dans les ballets français depuis 40 ans, ils représentent une très grande minorité. Sans compter les stéréotypes sur les actes blancs qui ne peuvent convenir aux danseuses noires, un mode de pensée plus forcément majoritaire, mais qui peut persister. En septembre, un manifeste mené par Binkady-Emmanuel Hié travaillant à l’AROP suivi par des danseurs et danseuses noires, et intitulé « De la question raciale à l’Opéra national de Paris« , est envoyé à tous les salariés de l’Opéra de Paris. Avec des termes justes, il proteste contre ces petits actes au quotidien, qui n’ont l’air de rien mais restent profondément discriminatoires et ne sont plus admissibles aujourd’hui : l’absence de produit de maquillage pour couleur de peau noire, des chaussons et collants uniquement clairs, des réflexions comme « Ne te tiens pas comme une négresse« , le blackface ou yellowface qui peut persister dans certaines productions.

Isaac Lopes Gomes, Awa Joannais, Guillaume Diop, Letizia Galloni et Jack Gasztowtt, danseurs et danseuses du Ballet de l’Opéra de Paris

Un manifeste dont s’est emparé Le Monde dans un article qui a créé la polémique en cette toute fin d’année. Si tout démarre en évoquant ces discriminations au quotidien, le reportage part ensuite dans une autre réflexion autour du répertoire, qui serait intrinsèquement raciste ou non, en mélangeant pas mal de choses historiques. Et en rendant compte d’une parole assez maladroite du nouveau directeur de l’Opéra de Paris Alexander Neef, « Certaines œuvres vont sans doute disparaître du répertoire« , aussitôt reprise par une presse extrême, clamant sa crainte de ne plus voir Le Lac des cygnes (mais les a-t-on déjà vus à l’Opéra ?). S’en est suivi un rectificatif tout aussi maladroit sur les réseaux sociaux, et des explications plus précises dans Le Figaro : « On ne va certainement pas déprogrammer les ballets de Noureev, qui a été un directeur de la danse si important« .

Dommage cependant que, pour éteindre une polémique vaine, le vrai sujet ait été presque oublié : les discriminations réelles, grandes ou petites, dont peuvent être victimes les danseurs et danseuses noires dans les Ballets en France. Ne pas avoir de collant ou de chaussons à la couleur de sa peau en fait partie et n’est pas anodin. Tout comme les actes blancs où il peut être difficile – ou a pu être difficile il n’y a pas si longtemps – aux danseuses noires de s’y faire une place. Dommage aussi que les réflexions sur les ballets de Noureev ne passent que par cet angle, alors que certaines de ses productions, toutes considérations racistes ou sexistes de côté, ont déjà montré un grand vieillissement. Mais il faudrait pour cela que le Ballet de l’Opéra de Paris se penche franchement sur la notion de son répertoire.

 

Les nominations d’Étoiles

Il y a eu aussi des moments de normalité en 2020. Notamment les nominations d’Étoiles, un moment toujours particulier, quelle que soit la compagnie. Celle de Paul Marque, en direct sur internet à défaut d’être en public, a illuminé la fin de l’année. Voilà un danseur en pleine progression, défendant le classique et la liberté d’interprétation que cette technique peut donner (un discours presque rebelle aujourd’hui à l’Opéra de Paris), que l’on a hâte de retrouver en scène. Aucune autre nouvelle Étoile n’est à signaler cette année en France, mais saluons tout de même la promotion express de Premier danseur, entre deux confinements, de Riku Ota au Ballet de l’Opéra de Bordeaux. Un merveilleux danseur là encore, que nous avons tout aussi hâte de voir évoluer.

À l’étranger, bravo à tous les nouveaux et nouvelles Principals, nommées malgré des saisons parfois entièrement annulées. En Europe, saluons ainsi les nominations du danseur de caractère Denis Savin au Ballet du Bolchoï, de Francesco Gabriele Frola à l’English National Ballet, ou de Jessica Xuan et Semyon Velichko au Het Nationale Ballet, promus « en vrai » à la fin d’une représentation de Giselle fin février. Aux États-Unis, félicitations aux nouveaux Principals du Pacific Northwest Ballet Angelica Generosa, Kyle Davis et Dylan Wald, à Joo Won Ahn, Aran Bell, Skylar Brandt, Thomas Forster, Calvin Royal III et Cassandra Trenary à l’American Ballet Theatre, à Wona Park et Max Cauthorn au San Francisco Ballet ou à Tigran Mkrtchyan au Boston Ballet.

Paul Marque nommé Danseur Étoile

Les adieux à la scène… sans scène

Avec les nominations d’Étoile viennent les adieux à la scène. Bonne route ainsi à la belle Étoile du Ballet de l’Opéra de Bordeaux Oksana Kucheruk, et à sa collègue soliste Laure Lavisse. Cette dernière n’a pu avoir de dernier spectacle, comme la plupart des artistes partis cette année. Idem pour les deux Sujets de l’Opéra de Paris Simon Valastro et Sabrina Mallem, cette dernière a par la suite été nommée répétitrice du Ballet. Quant à l’Étoile Eleonora Abbagnato, si elle a quitté officiellement la compagnie, elle ne désespère pas de pouvoir organiser une soirée d’adieux, déjà repoussée trois fois, pour dire au revoir au public parisien. À l’École de Danse, Bertrand Barena, professeur de la 6e division et des stagiaires 6 mois garçons depuis de nombreuses années, ainsi le pianiste-accompagnateur Richard Davis, ont fait leurs adieux à Nanterre début juillet.

À l’étranger, Thiago Soares a fait ses adieux à la scène du Royal Ballet dans Onéguine de John Cranko, après 18 ans de carrière dans la compagnie londonienne, le 29 février. Quelques jours plus tard, le 7 mars, Greta Hodgkinson, Principal phare du Ballet National du Canada, a fait ses adieux à la scène dans Marguerite et Armand de Frederick Ashton, après 30 ans de carrière. Les rideaux ont ensuite été baissés et ces autres artistes sont partis sans bruit : Alina Cojocaru de l’English National Ballet après sept années magnifiques, Ivy Amista, Principal au Ballet de Bavière, partie après 19 ans de carrière et qui devient maîtresse de ballet dans la compagnie, la Principal de l’ABT Stella Abrera, la Principal d’Alvin Ailey Hope Boykin, le Principal du Pacific Northwest Ballet Benjamin Griffiths ou le français François Rousseau au Ballet de Norvège.

Oksana Kucheruk – Coppélia de Charles Jude

Les disparitions

La danseuse et meneuse de revue Zizi Jeanmaire est décédée à l’âge de 96 ans le 17 juillet. Mais sa Carmen, son regard, sa gouaille ou son Truc en plume resteront éternels. Avec elle s’en va l’une des grandes figures de la danse du XXe siècle. Et c’est de son nom qu’a choisi de s’appeler la première division 2020-2021 de l’École de Danse de l’Opéra de Paris. L’un des grands pianistes de cette institution, Michel Mytrowytch, est décédé le 31 décembre. Il jouait encore pour les quatrièmes divisions garçons lors des Démonstrations de 2016.

Autre choc en fin d’année : la disparition brutale du danseur hip hop et chorégraphe Ousmane Sy le 27 décembre, à l’âge de 42 ans. Sa dernière création One shot fera bien l’ouverture de Suresnes cités Danse 2021, en diffusion sur le web à défaut de scène. Le danseur britannique David Toole, amputé des deux jambes mais danseur tout de même, est décédé le 16 octobre dernier à l’âge de 56 ans. Le décès suite à la Covid19 de l’allemand Willy Burmann a créé une grande émotion dans le monde de la danse. Grand pédagogue, formant de nombreuses Étoiles et figure du centre Steps on Broadway, il est parti à 80 ans le 31 mars. Marlis Alt, grande danseuse de Pina Bausch qui avait notamment créé le rôle de l’Élue du Sacre du Printemps, est partie le 18 juin. Adolfo Andrade est décédé le 4 avril à Paris, des suites de la Covid-19. Il était danseur notamment pour Janine Charrat ou Maurice Béjart, chorégraphe et professeur. Nicolas Joel, qui a entre autres dirigé l’Opéra de Paris de 2009 à 2014, est décédé le 19 juin, à l’âge de 67 ans. La danseuse austro-argentine Irina Borowska-Musil, dernière survivante des Ballets Russes, est décédée le 25 février à l’âge de 90 ans.

 Zizi Jeanmaire

Ailleurs dans le monde, Jean Erdman, grande danseuse et créatrice américaine, pionnière de la danse moderne, est décédée le 4 mai à 104 ans. Sara Leland, danseuse emblématique du NYCB de 1960 à 1983, devenue depuis une importante maîtresse de ballet du répertoire de George Balanchine et Jerome Robbins, est partie le 28 novembre. Ann Reinking, danseuse incontournable de Broadway et figure notamment de Chicago, est décédée le 12 décembre. Gennadi Selioutski, grand maître de ballet au Mariinsky, est décédé le 29 octobre, à l’âge de 82 ans.

En dehors de la scène, Sally Banes, historienne de la danse, critique et écrivaine, est décédée le 14 juin à l’âge de 69 ans. La critique Danse Tobi Tobias est décédée à l’âge de 81 ans. Le photographe de danse Anthony Crickmay, qui a beaucoup travaillé en Angleterre, est décédé au début de l’année 2020, à l’âge de 83 ans.

 

Les nouvelles directions…

Julie Guibert a été nommée directrice du Ballet de l’Opéra de Lyon en début d’année, prenant la suite de Yorgos Loukos qui a dirigé la compagnie pendant de nombreuses années. Mais cela ne s’est pas fait sans drame. À quelques mois de la retraite, Yorgos Loukos a en effet été licencié par le Conseil d’administration de l’Opéra, suite à un jugement en appel confirmant les actes de discrimination qu’il a eu envers une danseuse, qu’il n’a pas renouvelé suite à sa grossesse. Une décision logique, et qui s’est trop fait attendre. Mais la seule réaction du monde de la danse française fut une honteuse pétition menée par Maguy Marin, réécrivant le procès et accusant la danseuse de mensonge, menaçant même par un sursaut d’ego de retirer leurs oeuvres du Ballet de l’Opéra de Lyon si le Conseil d’administration ne revenait pas sur sa décision. Suite à la parution de ce texte, plusieurs grands noms ont souhaité se retirer de cette pétition, assurant qu’ils n’étaient pas au courant de tous les détails du texte, notamment le retrait de leurs œuvres. Les effets « Me Too » sont encore très rares dans le monde de la danse en France. Pour une fois, une danseuse a osé porter plainte face à une discrimination sexiste et la procédure judiciaire est allée au bout. Quel dommage que la seule réaction du monde de la danse soit de soutenir le jugé par deux fois coupable, ce n’est pas cela qui va aider à libérer la parole encore trop muselée. À peine un mois après cette crise, Julie Guibert a dû gérer le confinement. Difficile ainsi de se faire une idée de sa direction, mais son programme composé de solos, présenté en septembre, était stimulant.

De façon plus sereine, Manuel Legris a quitté le Ballet de l’Opéra de Vienne après dix magnifiques saisons, pour prendre la tête du chanceux Ballet de la Scala de Milan. Toujours en Italie, Clotilde Vayer quitte le Ballet de l’Opéra de Paris (où elle était numéro deux) pour suivre Stéphane Lissner à Naples et devenir dès avril 2021 la directrice du Ballet du Théâtre San Carlo. Toujours en Europe, Johannes Öhman et Sasha Waltz quittent la direction du Staatsballett Berlin au bout de deux ans seulement. Le duo, qui n’avait pas créé l’enthousiasme à sa nomination, n’a finalement pas tenu. David Hallberg quitte la scène et devient le directeur artistique de l’Australian Ballet (depuis le 1er janvier 2021). Ethan Stiefel a été nommé directeur artistique de l’American Repertory Ballet. Susan Jaffe, ancienne Principal à l’ABT, a été nommée directrice artistique du Pittsburgh Ballet Theatre. Le français Medhi Walerski est le nouveau directeur artistique du Ballet BC de Vancouver.

Gala Noureev 2020 – Ballet de l’Opéra de Vienne

… Et un peu de mercato

Malgré les compagnies à l’arrêt, quelques déménagements notables sont à noter. Le départ de Manuel Legris de Vienne a poussé les talents qu’il avait fait éclore à aller voir ailleurs. Natascha Mair, brillant jeune talent, rejoint ainsi l’English National Ballet en tant que Principal. Idem pour Jakob Feyferlik qui devient Principal au Het Nationale Ballet ou Nikisha Fogo qui passe Principal au San Francisco Ballet. La compagnie américaine a aussi recruté au même grade Julian MacKay, auparavant soliste au Théâtre Mikhailovsky. De belles recrues sont aussi venues au Semperoper Ballett de Dresde : Marcelo Gomes en tant que Principal, Sofiane Sylve et Carlo Di Lanno, jusque-là Principals au San Francisco Ballet, en tant que Principal et maîtres de ballet, tout comme

 

Année noire…

Quelques tristes nouvelles dont on se serait passé en 2020 (en plus du reste !). Le mythique Doris Duke Theater, le théâtre du festival Jacob’s Pillow, a été détruit dans un incendie. L’édition 2020 du Prix de Varna a été annulée pour des raisons financières. BallRoom, magazine papier sur la danse en français et créé en 2014, a cessé de paraître.

 

… Et Belle année

Mais malgré les difficultés, quelques bonnes nouvelles et notamment des bougies sont à souffler. L’Opéra Royal de Versailles a ainsi fêté le 16 mai ses 250 ans. Le Birmingham Royal Ballet a fêté ses 30 ans le 30 octobre dernier, tandis que l’English National Ballet a marqué ses 70 ans avec un magnifique gala. Et bravo à Carolyn Carlson, élue au fauteuil IV de la section de chorégraphie de l’Académie des beaux-arts, où elle rejoint Blanca Li, Thierry Malandain et Angelin Preljocaj.

 




 

Commentaires (1)

  • Léa

    Riku Ota, un danseur que j’ai eu le temps d’apercevoir rapidement dans une Cendrillon de grève l’an dernier…. Quel saisissement !! Ce danseur a soudainement surclassé la distribution masculine de l’ONB, pourtant très honorable. Très heureuse de cette nomination qui donne éclat et renouveau à cette belle compagnie.

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