Itmahrag d’Olivier Dubois – Festival Vagamondes à la Filature de Mulhouse
Oliver Dubois a présenté lors un soirée unique sa nouvelle création Itmahrag, chorégraphiée pour sept musiciens et performeurs égyptiens. Sans public, mais diffusée par la Scène Nationale de Mulhouse en clôture de son Festival Vagamondes, dans une version inédite et exclusivement numérique, seule alternative dans le contexte de la pandémie. Benoit André, le tout nouveau directeur de La Filature, a pris cette décision afin de ne pas pénaliser les artistes invités dans ce rendez-vous festif de l’hiver alsacien qui en est à sa neuvième édition. Mais aussi en pensant au public, qui a pu ainsi durant les deux dernières semaines de janvier assister depuis chez soi à plusieurs représentations, notamment un superbe Impulso de Rocío Molina. Dans cette ville de Mulhouse particulièrement endeuillée par la Covid19 lors du printemps dernier, ce festival numérique marquait une continuité artistique et une fidélité à un événement majeur de la vie culturelle de la région.
C’est le paradoxe de cette drôle d’époque : les théâtres sont fermés sans perspective de réouverture prochaine mais les artistes répètent, créent, dansent, chorégraphient, mettent en scène, jouent la comédie dans l’espoir de retrouver le public le plus vite possible. Pourtant, l’avenir est incertain pour de nombreux spectacles. Les créations s’accumulent, les reports se multiplient avec le risque d’embouteillage au moment béni où les rideaux pourront de nouveau se lever. Cette situation inédite et profondément anxiogène fait rivaliser d’imagination. Certains ont investi le champ scolaire pour amener la culture vers les plus jeunes. D’autres ont opté pour la captation ou la retransmission numérique. C’est le meilleur moyen de faire vivre un spectacle pour le plus grand nombre et de lui donner sa chance.
C’est la voie choisie par Benoit André qui aurait dû vivre sa première saison pleine comme directeur de la Filature. L’ancien bras droit de Didier Deschamps au Théâtre de Chaillot s’est retrouvé confronté dés son arrivée à Mulhouse à la violence de l’épidémie dans un ville où les habitant.e.s ont encore dans les oreilles le bruit fracassant des hélicoptères évacuant les malades vers d’autres régions. « Je suis resté en retrait du mouvement pour la réouverture des salles de spectacles« , explique-t-il. « À Mulhouse, on a une toute autre approche de l’épidémie. Je l’ai encore constaté dans la brève période où on a pu entrouvrir les salles avec des jauges réduites. Le public nous interrogeait sur les protocoles sanitaires que l’on avait mis en place« . Des protocoles qui ont prouvé leur efficacité puisque personne à La Filature n’a contracté la maladie. On sent à se promener dans ce magnifique théâtre un souci de tous les instants de se protéger et de protéger les autres, comme une anticipation de ce que sera notre monde de demain : vivre avec la virus sans le laisser nous contaminer.
Mais en novembre, il y avait encore l’espoir de voir les théâtres autorisés à recevoir du public. La date du 15 décembre avait été officiellement annoncée, à condition de voir l’épidémie contenue. Puis cette date a été repoussée au 7 janvier. Benoit André a alors décidé, presque à la dernière minute, de monter un festival numérique entièrement gratuit. « Je ne pense pas que ce soit l’avenir du spectacle vivant et j’ai espéré au delà du raisonnable que nous pourrions jouer. Quand j’ai compris que ce serait impossible, on s’est mis en marche pour monter un autre festival« . Tout cela demande de l’énergie mais aussi de l’argent : faire entrer des caméras, des équipes de cadreur.se.s et de réalisateur.rice.s, tout cela a un coût. D’autant qu’il faut faire une croix sur les recettes de billetterie. Mais c’est aussi un moyen de toucher de nouveaux publics.
Olivier Dubois a donné son accord pour que soit diffusée sa nouvelle création Itmahrag, qui doit s’élancer pour une longue tournée internationale dont les dates précises sont évidemment hypothétiques. Mais le chorégraphe français travaille sur ce projet un peu à part dans son répertoire depuis plusieurs mois et il a muri en lui de longues années. C’est un défi qu’il s’est lancé en réunissant sept jeunes hommes amateurs, qui ont en commun de vibrer pour la musique Mahraganat qui signifie festival en arabe. Ce mouvement musical trouve son origine dans l’Égypte post-Moubarak, exprimant une modernité nouvelle qui parle d’aujourd’hui et résonne pour la jeunesse de ce pays. L’Égypte est la seconde patrie d’Olivier Dubois. Il est tombé amoureux très jeune de ce pays lors d’un voyage avec ses parents au point d’y retourner régulièrement et d’y vivre désormais une partie de l’année. Il a pu ainsi observer la naissance du Mahraganat, musique festive et urbaine que l’on joue dans les mariages ou les fêtes branchées et qui s’accompagne d’une danse échevelée qui dit l’émancipation et l’espoir.
C’est un peu tout cela qu’Oliver Dubois a voulu exprimer dans ce spectacle, en organisant ce désordre joyeux et lui permettre d’exprimer ce qu’est la jeunesse égyptienne d’aujourd’hui, à qui la révolution a été volée. Il a ainsi auditionné au Caire mais aussi à Alexandrie pour finalement retenir sept artistes amateurs, mais dont le talent était évident pour mener cette aventure au long cours. Oliver Dubois est obsessionnel dans la construction de ses spectacles. Tout y est minutieusement écrit comme une partition. Il a donc fallu dompter une forme d’indiscipline pour construire Itmahrag. Par chance, ou pour avoir anticipé cette étape, l’alchimie entre les jeunes gens s’est créée instantanément. Les trois musiciens et les quatre danseurs se sont prêtés au jeu parfois monotone des répétitions pour concevoir le spectacle, avec la perspective pour chacun d’aller le présenter au monde qu’il ne connaisse pas. La plupart d’entre eux n’avait jamais quitté l’Égypte.
Cette représentation unique était moins un première qu’un filage, mais tout est là. Et tout d’abord l’énergie survoltée de ces performeurs qui en mettent plein les oreilles et se livrent métaphoriquement un combat gavé de testostérone et de décibels. Ils donnent à voir leur masculinité de manière superlative pour mieux s’en amuser. Ils se racontent au début du spectacle : leur nom, leur âge, d’où ils sont dans un anglais approximatif. Au centre, un immense cercle mouvant comme un totem de lumière. Ça va souvent à tout berzingue, nous laissant chaos dans nos sièges tant ils dévorent la scène qu’ils n’ont jamais connue. Olivier Dubois a su dompter cette énergie et la rendre souvent poétique, parfois attendrissante. Et comme souvent, il nous emmène à la frontière des genres entre concert, performance et théâtre. Il faut encore resserrer les coutures entre les séquences et résoudre la question de la langue. L’arabe ou le mauvais anglais nuisent parfois au récit, le rendant moins fluide. C’est presque le bon côté des choses : cette mise en suspens en attendant un nouveau printemps de la culture donne le temps de peaufiner un spectacle réjouissant et qui mérite de prendre son envol.
Itmahrag d’Oliver Dubois présenté à la Filature de Mulhouse dans le cadre du Festival Les Vagamondes. Avec Ali elCaptin, Ibrahim X, Shobra Elgenral (musiciens) et Ali Abdelfattah, Mohand Qader, Moustafa Jimmy, Mohamed Toto (danseurs). Vendredi 29 janvier 2021. À voir en tournée, notamment pour l’ouverture du festival Séquence Danse 2021 au 104 le 2 mars (uniquement pour les professionnel.le.s) ou à la Biennale de la Danse de Lyon du 1er au 3 juin.