Biennale de la Danse du Val-de-Marne : « Il faut trouver tous les interstices pour garder le contact avec le public »
La Biennale de la Danse du Val-de-Marne, qui devait proposer de nombreux spectacles entre le 3 mars et le 4 avril, a dû comme tant d’autres festivals s’adapter. Cette 21e édition se fait donc en ligne, avec des spectacles, documentaires mais aussi des ateliers proposés en vidéo chaque semaine. Une façon de maintenir ce lien si précieux avec le public, comme de continuer une activité pour les équipes artistiques mises à mal depuis maintenant un an. Sandra Neuveut, la directrice de la Briqueterie qui organise la Biennale de la Danse du Val-de-Marne, nous parle de cette programmation numérique et de l’importance de maintenir ce festival, même de manière différente, pour les artistes, les équipes et le public.
Le monde du spectacle vivant est à l’arrêt depuis un an. Quand et comment avez-vous décidé d’annuler la Biennale de la Danse du Val-de-Marne, quand vous ne disposez d’aucune date pour une réouverture des salles ?
D’abord, je me suis refusée à la décision d’annulation. On ne l’annonce pas comme ça d’ailleurs : cette Biennale n’est pas annulée, elle est réaménagée. Annuler, c’est très violent pour les équipes artistiques comme celle de la Briqueterie qui ont travaillé pendant un an et demi pour la constitution de cette Biennale. J’ai pris mes fonctions le 4 janvier à la direction de la Briqueterie, et j’avais déjà en tête à ce moment-là que la Biennale de la Danse du Val-de-Marne ne pourrait se tenir telle qu’elle avait été imaginée. J’ai fait les choses de manière échelonnée. Compte tenu des informations que l’on avait sur la circulation ou non des artistes en Europe et hors-Europe, j’ai commencé à annuler les spectacles internationaux. Puis sont tombées les questions de septaine. On avait une grosse création de Christos Papadopoulos en ouverture. Mais quand on met dans la balance cette semaine de quarantaine, les coûts de montage, la résidence de création pour finaliser la pièce, le tout pour éventuellement ne la jouer que devant une vingtaine de professionnel.le.s, tout cela devient absurde.
Comme beaucoup de festivals, la Biennale de la Danse du Val-de-Marne maintient quelques représentations pour les professionnel.le.s. Mais vous proposez aussi une édition numérique, pour le public. Pourquoi ce choix ?
Le lien au public est une dimension nécessaire et essentielle. Sans spectacle, l’idée de partage de l’œuvre ne peut pas se faire. On ne peut pas avoir de choc esthétique et émotionnel face à une vidéo, ce n’est pas du spectacle vivant. Mais on peut offrir une autre fenêtre d’accès aux œuvres. Cette programmation vidéo est là pour privilégier le lien avec le public, mais ça ne peut pas remplacer l’œuvre. Durant toute cette Biennale, nous proposons ainsi cinq soirées en vidéo, chaque mercredi, avec des spectacles ou des documentaires. Le rendez-vous est à 20h30, comme un spectacle à la maison : il n’y a pas de replay ni de retour en arrière possible.
Dans cette programmation numérique, vous proposez deux documentaires autour de Christos Papadopoulos (31 mars) et Silvia Gribaudi (10 mars). Pouvez-vous nous en parler ?
Silvia Gribaudi devait présenter sa pièce Graces à la Biennale. Elle nous a proposé pour la programmation numérique un documentaire très bien fait sur cette œuvre, qu’elle avait envie de le partager. Le documentaire autour de Christos Papadopoulos est une commande que nous lui avons passée. C’est une belle frustration de l’avoir en résidence ici et de ne pas pouvoir montrer son œuvre, cela fait deux ans que nos équipes travaillent avec lui ! Il a été tout au long de son parcours repéré et soutenu par la Briqueterie. On a donc eu envie de faire son portrait, qui permette au public de rentrer par différentes portes dans son œuvre, son parcours artistique, de mieux le connaître à travers ses pièces. Et la création qu’il devait montrer à la Biennale sera présentée le 28 septembre au Théâtre Jean Vilar de Vitry-sur-Seine.
Qu’est-ce que la soirée « Vidéos-Danse » programmée pour le 17 mars ?
Les vidéos-danse diffusées sont signées de Zoë Schreckenberg, Chang Ching-Ju & Wu Jia-Jing et Elisa Turco Liveri & Salvatore Insana. Nous voulons avec cette programmation mettre en lumière l’une de nos activités qui est de promouvoir et soutenir les créations en vidéo-danse. Ces vidéos sont portées par la recherche à la fois cinématographique et chorégraphique, ce sont vraiment des objets artistiques créés pour l’écran, des œuvres en elles-mêmes. Ce projet a été lancé en 2019 et nous diffusons les trois premières vidéos-danse montées avec ce projet. La création en vidéo-danse existe depuis longtemps, dans de petites niches, et elle revient sur le devant de la scène avec la crise. Les questions de la danse et du numérique sont prégnantes aujourd’hui avec cette pandémie, c’est un peu la seule fenêtre qui nous reste de création et de communication au grand public, le seul médium pour pouvoir montrer des œuvres.
Deux captations de spectacles sont aussi proposées lors de cette programmation numérique : Gran Bolero de Jesús Rubio Gamo (diffusé le 3 mars) et Kotéba de Seydou Boro (le 24 mars). Est-ce difficile de convaincre les artistes de montrer leur travail en vidéo ?
Les artistes ont été plus difficiles à convaincre de diffuser leur spectacle, pour diverses raisons. Parce que les captations ne sont pas forcément à la hauteur du rendu vidéo de leurs œuvres, ce que l’on peut comprendre. Ou si la pièce n’a pas encore été très vue, la pertinence de la montrer avant tout sur scène se pose. Tout dépend où se situe l’artiste dans son travail et dans son désir de partager, ou non, son travail à ce moment-là. Kotéba de Seydou Boro, à voir le 24 mars, est un solo, une œuvre intériorisée qui nous emmène ailleurs. Seydou Boro a une physicalité incroyable, il est dans une danse qui absorbe de manière remarquable les questions du rite ou de violence humaine.
Vous proposez aussi des ateliers de danse en vidéo, chaque jeudi jusqu’au 1er avril à 19h. Un temps précieux alors que tous les cours de danse en amateur sont aujourd’hui interdits. Comment sont organisés ces ateliers ?
Il s’agit ici d’explorer le médium de la transmission, même si là encore ça ne remplacera jamais la vraie rencontre et le.la professeur.e. Mais il y a aussi des choses à creuser. Ces ateliers de 1h30, par Zoom, s’adressent à tous et toutes, même à ceux et celles qui n’ont jamais dansé, autour de la démarche de création de cinq chorégraphes : Christos Papadopoulos et Georgios Kotsifakis, David Drouard et Mika Florestan, Christian Ubl, Meytal Blanaru et Jesús Rubio Gamo. Chaque atelier démarrera par un temps d’échange avec le chorégraphe. C’est pourquoi nous voulons limiter ces ateliers à 30-40 personnes, pour préserver la possibilité de cet échange (ndlr : atelier gratuit, inscription obligatoire pour avoir le lien Zoom reservation@alabriqueterie.com).
La Biennale de la Danse du Val-de-Marne maintient aussi quelques représentations pour les professionnel.le.s. Le public s’interroge parfois sur ces spectacles réservés à un public très restreint. Pouvez-vous rappeler leur importance ?
À partir du moment où une équipe artistique a planifié son travail et s’est lancée dans un processus de création, il est de notre responsabilité, nous structure culturelle, d’accompagner jusqu’au bout ce processus de création. Si on le coupe, autant tout recommencer à zéro s’il doit être repris six mois plus tard. C’est donc important d’aller au bout et de donner la première, même s’il y a toujours un sentiment d’inachèvement tant que la pièce n’a pas vraiment rencontré son public. Dans une logique de vie des œuvres, c’est aussi important de pouvoir continuer à montrer ses pièces devant les professionnel.le.s de la diffusion et de la programmation. Même si, avec tous les reports de date qu’il y a eu depuis un an, il y a aujourd’hui une surproduction et avec assez peu de perspectives de diffusion sur la saison prochaine, voire celle d’après, pour les nouvelles pièces.
Ce qui nous réunit aujourd’hui, c’est de continuer à faire, de continuer à être en lien avec le public, de trouver tous les interstices possibles pour rester en contact avec lui,
Quel est l’état d’esprit des équipes de la Biennale et de la Briqueterie, qui vivent dans un monde du spectacle vivant à l’arrêt ?
Ce qui nous réunit aujourd’hui, c’est de continuer à faire, de continuer à être en lien avec le public, de trouver tous les interstices possibles pour rester en contact avec lui, notamment avec les scolaires. L’équipe jongle avec des contraintes en permanence, qui changent d’une semaine à l’autre. Nous avons aussi trois équipes en création chaque semaine, nous sommes dans cette continuité d’activité sans relâche. Pour l’organisation, je me dis que, tant que nous sommes en situation de crise, il faut continuer à essayer de penser tout le temps un peu différemment. Si on imagine un événement pour cet été ou pour septembre, il faut le concevoir avec différentes hypothèses et intégrer de la souplesse. Cette crise vient bouleverser nos méthodes et nos savoir-faire, elle les remet en question. Là où l’on met d’habitude de la prévision et de la planification, il faut tout à coup soit en redoubler, soit prendre le parti de peu planifier et de faire les choses au dernier moment. Tant que nous ne sommes pas sortis de cette crise, il faut se tenir prêt à imaginer d’autres modalités d’intervention et se mettre dans une logique d’adaptation permanente.
La Biennale de la Danse du Val-de-Marne du 3 mars au 1er avril en numérique. Un spectacle, documentaire ou soirée Vidéos-danse chaque mercredi à 20h30 – Un atelier mené par un chorégraphe chaque jeudi à 19h.