Malandain Ballet Biarritz – Programme Stravinski
Les artistes du Malandain Ballet Biarritz ont à leur tour retrouvé la scène avec un programme autour de Stravinski. Le spectacle réunit deux chefs-d’oeuvre du compositeur russe : L’Oiseau de Feu, chorégraphié par Thierry Malandain, et Le Sacre du Printemps, monument musical iconique et révolutionnaire auquel s’est attaqué Martin Harriague. Un spectacle ambitieux, qui réinvente une fois de plus ces Ballets Russes créés par Diaghilev et auxquels est attaché le nom de Nijinski, qui mit sur scène la première version du Sacre du Printemps. Fidèle à son credo artistique, Thierry Malandain en a imaginé une pièce résolument classique, teintée de Balanchine dans des géométries implacables, quand Martin Harriague construit un récit décalé pour son Sacre du Printemps. Le Malandain Ballet Biarritz brille dans ses deux pièces déclinées sur un splendide langage néo-classique.
Voilà des partitions que les mélomanes et les balletomanes connaissent par cœur, pour les avoir entendues tant et tant de fois, et avoir vu différentes versions de cette quintessence du Ballet Russe. Le Sacre du Printemps, aujourd’hui, évoque instantanément Maurice Béjart et peut-être plus encore Pina Bausch. Si Vaslav Nijinski fut le créateur originel du Sacre du Printemps, sa version – qui sera redonnée début décembre par le Ballet de l’Opéra de Paris – est davantage une curiosité historique passionnante. Et c’est encore Maurice Béjart qui affleure avec L’Oiseau de Feu, créé pour l’Opéra de Paris avec Michaël Denard et repris par Jorge Donn pour les Ballets du XXe siècle. Tout le monde n’a pas vu évidemment ces versions. Les nouvelles générations découvrent ces pièces avec un oeil neuf mais cet héritage fait intimement partie de ces oeuvres. Vaslav Nijinski, George Balanchine, Maurice Béjart et Pina Bausch constituent une constellation qui nimbe ces ballets.
Thierry Malandain, qui n’ignore rien de l’histoire de la danse, assume parfaitement non pas un héritage mais un itinéraire qui a engendré des sédimentations au fil des années. Il n’y a pourtant aucune citation visible dans son propos qui s’ouvre sur un superbe alignement de la compagnie en robes noires comme des corbeaux, ou une antithèse de ce que sera l’oiseau lumière. Les pas sont implacables, d’une précision d’horloger qui confère au groupe une force démoniaque. Survient alors l’oiseau solaire aux pouvoirs magiques et aux ailes convoitées. Qui d’autre qu’Hugo Layer pouvait incarner ce rôle ? Sa danse est spectaculaire : des lignes académiques idéales, une technique infaillible et un fabuleux talent d’interprète. De cet oiseau merveilleux, il donne toutes les nuances. Ses bras se meuvent tel un cygne tout droit sorti du Lac de Marius Petipa.
Il mène aussi le pas de trois imaginé par Thierry Malandain avec François d’Assise, cet amoureux fou des oiseaux que le chorégraphe introduit dans son récit au côté de sa disciple Sainte Claire d’Assise. Le chorégraphe voit dans ce conte national russe un récit spirituel et invoque la résurrection chrétienne et l’immortalité, dont l’oiseau qui relie le ciel et la terre est un symbole. Au-delà de cette interprétation, ce pas de trois est fulgurant de beauté. Mickaël Conte, Claire Lonchampt et Hugo Layer délivrent un moment de grâce absolue et Thierry Malandain démontre là encore qu’il est un chorégraphe infiniment musical, capable de nous faire entendre la musique avec sa danse. Une réussite sans ombre.
N’écoutant que son courage et son désir, Martin Harriague s’est lancé dans Le Sacre du Printemps, entreprise colossale quand planent les fantômes des grandes et grands aînés. Il faut s’en détacher, ce que parvient à faire le chorégraphe en proposant une mise en abyme distrayante et réussie. Le prologue met en scène le compositeur, jouant le début de sa partition sur un piano droit, avant que ne surgissent de l’instrument des personnages qui se transforment en danseurs et danseuses. Collés au sol, ils finissent par s’élancer dans ce moment infernal du Sacre du Printemps, ces percussions proches de la transe. L’effet de groupe est saisissant. Martin Harriague nous perd un peu en introduisant dans son récit un couple de vieillards qui mène les festivités démoniaques, dont on perçoit mal la fonction. Mais il reste fidèle à l’histoire de ce sacrifice païen au printemps, ce rite de purification qui nécessite la mort d’une jeune fille. C’est le moment le plus poignant de la chorégraphie annoncé par des rubans rouges sang accrochés aux tuniques. Patricia Velasquez habite ce rôle si lourd de l’Élue, entourée par la compagnie qui forme une ronde, comme une prison dont on ne peut sortir. Morte, maculée de sang, elle finit par s’envoler vers le ciel comme une promesse de résurrection.
Programme Stravinski par le Malandain Ballet Biarritz au Théâtre de Chaillot. L’Oiseau de feu de Thierry Malandain, avec Hugo Layer (l’Oiseau), Mickaël Conte (François d’Assise) et Claire Lonchampt (Sainte Claire d’Assise) ; Le Sacre du Printemps de Martin Harriague avec Patricia Velázquez (l’Élue), Frederik Deberdt (Le Vieillard), Claire Lonchampt (La Vieillarde). Jeudi 4 novembre 2021.
À voir les 22,23, 25 et 26 décembre à la Gare du Biarritz et en tournée un peu partout en France cette saison dès le 16 novembre.