Baro d’evel – « Là » et « Mazút »
Le Baro d’evel, troupe de cirque inclassable, est sur les routes avec deux spectacles. Là est le premier volet d’un diptyque créé en 2018. Fidèle à leur credo artistique, Camille Decourtye et Blaï Mateu Trias, le duo créateur des spectacles, emmêlent avec bonheur acrobaties, danse, musique et poésie à la recherche d’un art total qui refuserait le format et les catégories. Mais on y retrouve l’univers familier de la compagnie. Le burlesque en est toujours l’épine dorsale, tout comme le dessin et la sérigraphie qui transforment en permanence le décor, devenant à son tour un élément fondamental du spectacle. Enfin la présence d’un animal qui complète le duo sur scène : un corbeau pie pour Là, un chien pour Mazút, spectacle créé en 2012 qui est transmis pour la première fois à de nouveaux interprètes. Une manière de constituer un répertoire et de faire revivre des pièces qui ont marqué la vie de la compagnie depuis 20 ans.
Baro d’evel : le nom est en soi une promesse de voyage et d’ailleurs, une porte sur l’inconnu que l’on imagine foisonnant. Mais si l’on en demande davantage, on dirait alors que cela signifie en langue manouche « Nom de Dieu ! » et par extension, l’expression désigne tout ce qui nous dépasse et on aurait vite fait d’y ranger le monde entier. C’est ce nom-là que la compagnie, fondée en 2000, a choisi pour emblème. Six circassiens qui veulent montrer le spectacle dans les théâtres mais aussi dans la rue. Camille Decourtye et Blaï Mateu Trias qui en sont les interprètes sont des enfants de la balle. Elle a passé son enfance en roulottes entourée de chevaux, quand ses parents à lui étaient tous les deux clowns de l’autre côté des Pyrénées. C’est à l’Ecole du cirque qu’ils se sont retrouvés avec le désir déjà de dépasser les cadres. C’est ainsi que depuis 20 ans, le Baro d’evel alterne pièces de groupes et duos, spectacles sous chapiteau et sur les scènes des théâtres.
Sept années séparent les créations de Là (2018) et Mazút (2012). Elles sont fort dissemblables dans l’apparence mais se ressemblent dans la mise en scène : un couple homme/femme, un animal, un décor. Ou plutôt – mais c’est la même chose – une absence de décor pour Là, pièce en noir et blanc alors qu’à l’inverse le plateau de Mazút regorge d’objets, de meubles et d’accessoires. Et puis l’animal : « Dans nos espaces de jeu, pensés comme des écrins, les animaux sur scène apportent une certaine fulgurance de l’émotion, le spectateur est traversé par leur présence et une autre perception de la représentation a lieu« , expliquent Camille Decourtye et Blaï Mateu Trias. L’arrivée des animaux sur scène provoque d’emblée le rire comme une forme de surprise. Et on est confondu par leur présence qui ne ressemble nullement à un numéro de cirque. Le chien dans Mazút et le corbeau dans Là apparaissent tels de véritables acteurs de ce qui se joue.
Bien d’autres choses rapprochent ces deux pièces. Qui sont ces deux couples ? Se connaissent-ils ou bien est-ce une rencontre de hasard ? La question reste rhétorique et n’a nul besoin d’être élucidée. Là offre une scénographie en noir et blanc qui débute immaculée mais dont la toile de papier va se noircir et se déchirer. Blaï Mateu Trias, dégingandé, volontairement maladroit, ânonne des bribes de textes qui se perdent en route. Camille Decourtye surgit en traversant la toile qu’elle déchire telle une apparition. Débute un ballet incessant où l’un et l’autre se cherchent, se défient via une palette d’acrobaties, de portés, de chants ou d’admonestations. Ils inventent là un langage scénique surréaliste, drôle et infiniment touchant. Et avec l’air de ne pas y toucher, beaucoup de choses se disent sur le couple et le rapport à l’autre dans cette veine résolument burlesque.
Mazút explore une thématique semblable. Pas de pie corbeau mais un chien, bonne patte, et une scène encombrée jusqu’à l’excès dont l’ordonnancement ne résistera pas aux éléments. Des fuites d’eau incessantes bouleversent la vie de bureau de ce couple plongé dans l’absurde et qui ne maîtrise rien. La danse acrobatique tient lieu de langage quand les mots se dérobent. Marlène Rostaing et Julien Cassier ont repris les rôles de Cécile Decourtye et Blaï Mateu Trias. Pour la première fois, les créateurs du Baro d’evel transmettent ainsi une de leurs pièces qui marqua un tournant dans leur esthétique : la figure du duo, le mélange des genres qui fait affleurer la danse, le cirque, la figure du clown et voit émerger une scénographie qui se défait ou se construit à mesure du spectacle. Et un fond constant d’humour et de mélancolie.
Baro d’evel a inventé un nouveau langage. Ils sont ainsi quelque-uns à avoir fait imploser l’univers du cirque pour en faire une in-discipline nourrie de tous les arts voisins. Là et Mazut sont deux oeuvres fortes qui scandent le parcours de Camille Decourtye et Blaï Mateu Trias. Elles se lisent à plusieurs niveaux et libre à chacune et chacun de choisir le sien. Toutes sortes de public s’y retrouvent, des plus grands aux plus petits ce qui fait de la représentation un moment particulièrement joyeux et juvénile.
Là – de et avec Camille Decourtye et Blaïe Mateu Trias. Dimanche 7 novembre 2021 à la MC93 Bobigny. À voir au Théâtre des Bouffes du Nord à Paris jusqu’au 5 mars 2022, puis en tournée.
Mazút de Camille Decourtye et Blaïe Mateu Trias avec Marlène Rostaing et Julien Cassier. Samedi 20 novembre 2021 à la MC93 Bobigny. À voir en tournée en Belgique et en France.