[Montpellier Danse 2022] Pontus Lidberg – Les Sept Péchés capitaux et Roaring Twenties
Montpellier Danse a ouvert sa 42e édition avec un habitué (Philippe Decouflé) et un nouveau venu : Pontus Lidberg, avec le Danish Dance Theatre de Copenhague qu’il dirige depuis 2018. Le chorégraphe suédois et sa compagnie ont proposé une curieuse soirée en deux temps, forte de tensions en scène, d’énergies et de surprises, à défaut d’un geste chorégraphique puissant. Le « ballet chanté » Les Sept péchés capitaux de Kurt Weill et Bertolt Brecht laisse ainsi plus la place à une mise en scène hypnotique qu’à un véritable travail de danse. Puis Roaring Twenties, une création pour Montpellier Danse, évoque la jeunesse des années 2020 entre désenchantement et profond optimisme sans touche chorégraphique personnelle évidente mais qui emporte par la grâce des dix interprètes du Danish Dance Theatre.
Chorégraphe depuis une dizaine d’années après avoir dansé au Ballet Royal de Suède ou Ballet national de Norvège, Pontus Lidberg commence à se faire une place dans la catégorie des « chorégraphes incontournables ». Pour ma part, j’ai croisé son travail trois fois, au Ballet du Grand Théâtre de Genève, à l’Opéra de Paris et en vidéo. Mes impressions étaient sensiblement les mêmes : si je n’arrive pas à déceler vraiment sa patte chorégraphique, son talent pour créer des univers particuliers et nous emmener en voyage avec lui est évident. Et au terme de « chorégraphe », je lui aurais plutôt assigné le métier de « vidéaste » ou « metteur en scène », s’il faut absolument mettre des gens dans des cases.
Le programme que lui a consacré Montpellier Danse n’a fait que renforcer cette impression. Entre l’opérette Les Sept Péchés capitaux et sa création Roaring Twenties, Pontus Lidberg a déployé deux univers très différents, totalement à l’opposé – un décor scénique puissant pour le premier, une simplicité totale pour le deuxième. Avec à chaque fois un véritable talent pour planter des personnages, les faire vivre et nous toucher, sans toutefois que l’on distingue véritablement dans sa danse une façon à lui de mettre en marche le mouvement. Le premier point étant finalement le plus important, cette soirée en deux temps fut au final plus riche que frustrante.
Pièce étonnante créée en 1933, Les Sept péchés capitaux de Kurt Weill et Bertolt Brecht se place entre l’opéra et le théâtre chanté, annonçant les grandes comédies musicales des années 1950. Deux sœurs – ou plutôt Anna et son double – sont poussées sur les routes américaines pour gagner de l’argent et permettre à leur famille, personnalisée par un quatuor de chanteurs, de s’acheter une maison en Louisiane. Anna traverse sept villes, représentant les sept péchés capitaux, passant de danseuse à prostituée au fil de son périple sans jamais voir la couleur de l’argent qu’elle gagne, piétinant le mythe du rêve américain.
Avec le metteur en scène Patrick Kinmonth, Pontus Lidberg a voulu revenir à l’origine des Sept péchés capitaux, décrit comme un « ballet chanté ». Le pari ici est raté : la danse est en soi quasiment absente et les formidables artistes du Danish Dance Theatre sont sous-exploités en ce qui concerne le geste. Mais est-ce que finalement l’appellation compte ? Car le spectacle, au final, fonctionne. Pontus Lidberg a imaginé un drôle de monde, mêlant quelques références de l’époque (tenue cabaret et chaises noires de rigueur pour Anna, nous ramenant dans les cabarets allemands de l’avant-Guerre) à un univers déglingué, grinçant et étrange. De drôles de personnages habitent les différentes villes, les artistes du Danish Dance Theatre, à défaut de danser, y montrent une forte expressivité. Anna est interprétée par la chanteuse pop Oh Land, tirant ainsi plus la pièce vers la comédie musicale que vers l’opéra, ce qui lui va très bien. Son double est un danseur, plus androgyne qu’homme travesti, formant un duo intrigant mais plutôt bien assorti. Le travail sur la danse y est absent ? Soit. Mais au final, le spectacle est réussi, nous transportant dans un parcours absurde et cruel, mettant magnifiquement en valeur la musique de Kurt Weill. Et d’imaginer les merveilles que pourrait faire Pontus Lidberg à la direction artistique d’une comédie musicale.
Roaring Twenties, création menée pour Montpellier Danse, est tout autre chose. Cette fois-ci, les dix interprètes du Danish Dance Theatre y sont pleinement en valeur, dans une pièce ode à la jeunesse. « Roaring Twenties » peut se traduire par « Les Années Folles », la décennie d’insouciance ou presque 1920. La pièce démarre ainsi par quelques références visuelles de l’époque, avant de partir définitivement sur d’autres « Roaring Twenties » : les années 2020. Et les dix artistes en scène de représenter la jeunesse d’aujourd’hui, à l’aube d’un monde en feu. Le début est ainsi dans le désenchantement, entre séance de clubbing sans y trouver de sens et courses un peu hagardes. Mais une sorte de grâce prend le dessus, avec un magnifique pas de deux bientôt entamé en chœur par tous les interprètes.
Tout est ici dans le lâcher-prise et la confiance envers son ou sa partenaire, faisant naître un profond sentiment de cohésion, et même disons-le, d’espoir. Si l’on a là encore du mal à voir la recherche personnelle de Pontus Lidberg dans la danse même, il sait toutefois mettre en mouvement ses danseurs et danseuses avec beaucoup de délicatesse, leur permettant de laisser percer leur personnalité. Le chorégraphe a aussi le souci de casser les habitudes du duo. Et le travail de lâcher-prise – comme celui de se laisser tomber pour se faire rattraper par son/sa partenaire – se fait aussi bien chez les danseuses que les danseurs. Les couples aussi sont indifféremment composés d’hommes ou de femmes. On n’y parle pas spécialement d’amour mais de cohésion, d’un groupe qui fonctionne ensemble, et c’est d’autant mieux. Ce travail n’est pas encore tout à fait abouti – les hommes semblent avoir encore un peu de mal dans le travail du relâché – mais ce qu’il laisse entrevoir est intéressant et ouvert à de nombreuses pistes. Et c’est finalement cette grâce des interprètes qui l’emporte, ce courant finalement d’optimisme d’une jeunesse qui surfe encore sur ses espoirs et va de l’avant, se serrant les coudes. Quand ce spectacle est donné en pleine canicule d’enfer annonciateur d’un futur difficile, il y a de quoi repartir du théâtre le cœur un peu plus léger.
Soirée Pontus Lidberg par le Danish Dance Theatre dans le cadre de Montpellier Danse.
Les Sept Péchés capitaux de Bertolt Brecht (texte) et Kurt Weill (musique), mise en scène et chorégraphie de Pontus Lidberg, mise en scène de Patrick Kinmonth. Avec Oh Land (Anna 1), Lukas Hartvig-Møller (Anna 2), les chanteurs du Royal Danish Opera Fredrik Bjellsäter, Kyungil Ko, Michael Kristensen et Joakim Larsson, les danseurs et danseuses du Danish Dance Theatre Kristin Bjerkestrand, Joe George, Julien Guillemard, Jessica Lyall, Lúa Mayenco Cardenal, Edward Pearce, Lucas Threefoot, Arina Trostyanetskaya et Bradley Waller. Orchestre national Montpellier Occitani, direction musicale par Robert Houssart.
Roaring Twenties de Pontus Lidberg, avec Kristin Bjerkestrand, Joe George, Julien Guillemard, Lukas Hartvig-Møller, Jessica Lyall, Lúa Mayenco Cardenal, Edward Pearce, Lucas Threefoot, Arina Trostyanetskaya et Bradley Waller.
Dimanche 19 juin 2022 au Corum de Montpellier.
Montpellier Danse continue jusqu’au 3 juillet.