Finale du Troisième Concours des Jeunes Chorégraphes de Ballet
La finale de la troisième édition du Concours des Jeunes Chorégraphes de Ballets a eu lieu dimanche 17 juillet sur la scène de la Gare du Midi à Biarritz. Organisée par la Ballet de l’Opéra de Bordeaux et le CCN-Malandain Ballet Biarritz, soutenue par le ministère de la Culture et la Caisse des Dépôts et Consignations, cette édition a vu concourir six chorégraphes venus de différents horizons géographiques et stylistiques. L’américain Houston Thomas, 26 ans et benjamin de l’épreuve, aujourd’hui basé à Dresde en Allemagne, a enthousiasmé le jury et le public. Il sera dès la saison prochaine sur la scène du Grand-Théâtre de Bordeaux avec la compagnie pour la soirée Quatre Tendances. Le brésilien Lucas Valente travaillera pour sa part avec le Ballet du Rhin lors de la saison 2023-2024. Le Bulgare Kaloyan Boyadjiev, maître de ballet au Ballet de Norvège, a remporté le Prix de Biarritz, doté de 15.000€. Enfin la française Sophie Laplane, lauréate du Prix du Public et du Prix des Professionnels, en résidence au Scottish Ballet, bénéficiera d’une dotation de 6.000€. L’épreuve a montré la vitalité de la création chorégraphique dans les nouvelles générations et leur attrait pour chorégraphier avec de grands ensembles.
Ce n’est que la troisième édition et déjà ce concours de jeunes chorégraphes de ballet suscite l’enthousiasme. 66 dossiers constitués d’une vidéo et d’une lettre d’intention ont été adressés au jury, composé de Xenia Wiest, lauréate du Concours de jeunes chorégraphes de Ballet en 2016 et aujourd’hui directrice du Ballett X-Schwerin (Allemagne), Ingrid Lorentzen, directrice du Norwegian National Ballet, Éric Quilleré, directeur du Ballet de l’Opéra National de Bordeaux, Bruno Bouché, directeur du CCN-Ballet de l’Opéra national du Rhin et Thierry Malandain, directeur du CCN-Malandain Ballet Biarritz. Comment résister à l’attrait de pouvoir créer une pièce pour une grande compagnie et de larges effectifs ? Les jeunes chorégraphes ont souvent bien du mal à rassembler deux ou trois danseurs. Mais à la clef de ce Concours des Jeunes Chorégraphes de Ballet : la mise à disposition d’une troupe pour créer une pièce.
Houston Thomas a semblé très au-dessus du lot. À seulement 26 ans, ce danseur américain, second soliste au Dresden Semperoper Ballett, a proposé avecFollow the Rabbit l’une des pièces les plus courtes mais la plus aboutie du concours. Onze minutes pour développer son récit, né de la pandémie et de la prise de conscience qu’elle a provoquée quant à notre dépendance envers les outils numériques. Sur un choix de musiques électroniques, deux couples de danseurs et danseuses s’interpellent dans une gestuelle mécanique, rythmée par les sons percussifs. Houston Thomas vient de la danse académique et a été formé au Joffrey Ballet de Chicago par où passa William Forsythe. On repère son influence dansFollow the With Rabbit : les hyper-extensions, les déséquilibres, les positions des bras poignets cassés. Mais sur cette grammaire, le chorégraphe américain impose son propre style, sublimé par quatre interprètes exceptionnels. Houston William sera entouré la saison prochaine de Sól Leon/Paul Lightfoot et Marco Goecke lors de la soirée 4 Tendances au Ballet de l’Opéra de Bordeaux.
Il est réjouissant de voir de jeunes chorégraphes attachés à la technique des pointes. Tout comme Houston Thomas, le brésilien Lucas Valente, danseur du Ballet de Zurich, nous parle de l’atomisation de nos vies dans sa pièce Umbra. Les pointes ici ne sont pas un simple élément anecdotique. Il construit un travail élaboré, novateur, qui montre l’émergence d’un style qui a encore besoin de se peaufiner. Bruno Bouché, le directeur du Ballet du Rhin, lui ouvrira ses portes lors de la saison 2023-2024. Entouré de ses conseils, Lucas Valente devrait être en mesure de confirmer son talent.
Sophie Laplane a affronté quelques déconvenues. La française, artiste en résidence au Scottish Ballet, a dû retravailler sa pièce en toute dernière minute avec trois danseuses et trois danseurs de chez Thierry Malandain. Entre Covid et grève, elle a transmis en quelques jours sa proposition Oh! Les Mains, sur des musiques de Mozart. Mission accomplie ! Son propos sur la relation entre le créateur et son oeuvre est fort bien racontée par les six artistes de compagnie de Biarritz. C’est du bel ouvrage, fort bien façonné avec une pointe de fantaisie.
Il y manque peut-être un peu d’originalité et c’est la même remarque que l’on pourrait adresser au travail de Kaloyan Boyadjiev. Sa pièce, Sororibus, bâtie pour trois couples, s’inspire du chef-d’oeuvre de Tchekhov Les Trois Soeurs. Elle démarre et se termine sur un solo fort bien écrit et décrivant la solitude des protagonistes. Entre les deux, le chorégraphe bulgare montre un savoir-faire efficace pour construire des pas de deux. Mais il y manque une étincelle pour réellement émouvoir. La musique d’Arvo Pärt n’aide en rien à soutenir le propos. Le génial compositeur estonien a été utilisé et usé jusqu’à la corde par de trop nombreux chorégraphes qui se reposent sur l’atmosphère si particulière de sa musique, oubliant de trouver leur propre musicalité. Kaloyan Boyadjiev parvient malgré tout à nous séduire par moments. Sa pièce n’est pas tout à fait réussie mais il y a une écriture qui dénote un vrai chorégraphe. On n’a hélas rien vu de tel dans Of Silence d’Andrew McNicol dont le langage est trop générique pour séduire, ni dans Distorted Seasons de Jorge Garcia Pérez, danseur au Ballet de Bâle qui a eu la mauvaise idée de retenir les Quatre Saisons réarrangées par Max Richter. Sa chorégraphie loupe ses intentions de montrer la distorsion du temps et des saisons.
Retardée et compliquée par la pandémie, cette troisième édition fut une fête, celle des retrouvailles quand on a craint que jamais ce concours ne puisse se tenir. C’eût été dommage tant il permet de voir qu’il existe en Europe un formidable vivier de chorégraphes qui ont l’appétit chevillé au corps et qui ont le talent pour imaginer des pièces pour de grands ensembles et ne pas se contenter de versions chambristes. C’est aussi l’intérêt et la raison d’être de cette compétition : montrer que le ballet est une forme vivante qui attire créateurs et public. Il faut donc absolument le préserver tel un trésor.