Germaine Acogny : « Je suis parvenue à dompter Stravinsky en écoutant mon corps »
C’est un des événements de la rentrée, retardé à deux reprises par le Covid. Le Sacre du Printemps dans la version mythique de Pina Bausch est interprété pour la première fois par des danseuses danseurs africains. C’est la chorégraphe franco-sénégalaise Germaine Acogny, fondatrice de l’École des Sables, qui est à l’origine de ce projet en co-production avec la Fondation Pina Bausch et le Sadler’s Wells de Londres. Hébergé à la Villette dans le cadre de la saison du Théâtre de la Ville hors-les murs, Le Sacre du Printemps est présenté avec common ground(s), une création de Germaine Acogny et Malou Airaudo, danseuse historique du Tanztheater Wuppertal. DALP avait rencontré Germaine Acogny lors de son passage pour un spectacle en solo à l’Espace Cardin, pendant la saison close 2020-2021. Elle avait à cette occasion expliqué l’origine de ce projet, son désir de danser avec Malou Airaudo et son rapport personnel compliqué au chef-d’oeuvre musical d’Igor Stravinsky qu’elle a dansé dans une chorégraphie d’Olivier Dubois.
Comment est né ce projet un peu fou de monter Le Sacre du Printemps avec l’École des Sables, quand on sait que Pina Bausch donnait ses pièces à d’autres compagnies avec une très grande parcimonie ?
C’est une très belle histoire. L’École des Sables est liée à P.A.R.T.S, l’école d’Anne Teresa de Keersmaeker que j’avais rencontrée chez Maurice Béjart. Son école vient chez nous au Sénégal donner des cours, faire des stages. C’est toujours un extraordinaire échange de cultures. Or, je devais danser L’Élue noire d’Olivier Dubois à Bruxelles. Et je dis à Anne Teresa : « Tu me connais, les gens me connaissent mais toi, tu ne m’as jamais vue danser« . Elle est venue. Anne Teresa de Keersmaeker fait partie de la fondation Pina Bausch, dirigée par son fils Salomon Bausch. Et c’est lui qui avait l’idée de faire danser Le Sacre du Printemps par des danseuses et des danseurs africains. La Fondation, qui donne des bourses, avait fait venir certains membres de l’école à Wuppertal et ils les avaient trouvés extraordinaires. Or Salomon était à Bruxelles le soir où je dansais. Il est venu avec Anne Teresa et il m’a proposé Le Sacre du Printemps. Et honnêtement, j’ai trouvé cette proposition tout à fait légitime.
Comment avez-vous recruté ces artistes qui s’emparent de ce Sacre ?
Une semaine après cette rencontre, ils étaient au Sénégal et on a commencé à faire des auditions dans trois pays : le Burkina-Faso, la Côte d’Ivoire et le Sénégal. Mais les candidats et candidates venaient de toute l’Afrique. On a ainsi constitué un groupe de danseuses et de danseurs et les répétiteurs sont venus de Wuppertal. Ce fut une très belle aventure avec beaucoup de respect mutuel. Ce fut quelque chose d’unique.
Pourquoi avoir voulu compléter cette soirée en créant le duo Common ground(s) avec Malou Airaudo une formidable danseuse de Pina Bausch ?
À l’origine, on avait imaginé ce projet comme un échange : l’École des Sables s’emparait du Sacre du Printemps de Pina et nous transmettions aussi quelque chose à la troupe du Tanztheater Wuppertal. J’ai donné des cours à la compagnie, mais faute de temps, on n’a pas pu aller au-delà. Mais ce partage avec les artistes de Pina, c’était jouissif, une vraie libération des corps. Puis a germé l’idée que je pourrais faire une chorégraphie pour Malou Airaudo que j’avais vue danser sur scène mais que je ne connaissais pas personnellement. On s’est rencontrées toutes les deux à Paris et on a senti que nous pouvions nous entendre. Puis elle est venue chez moi au Sénégal, on a commencé à parler de qui nous sommes : des mères, des grand-mères. On avait beaucoup de choses en commun, de « common grounds » comme on dit en anglais. Et c’est comme ça que la pièce s’est bâtie. On est arrivé au studio et on avait toutes les deux le trac. Je lui ai montré des pas, elle m’a montré ses échauffements et ainsi, petit à petit, l’histoire s’est construite.
Le Sacre du Printemps fait partie de votre vie de danseuse. Il y a évidemment celui de Maurice Béjart mais aussi celui qu’Olivier Dubois a chorégraphié pour vous. Quel est votre lien avec cette oeuvre ?
Quand j’ai vu Le Sacre du Printemps dans la version de Maurice Béjart, j’ai été émerveillée. Et j’ai trouvé que c’était africain. Cela ressemblait par moments à nos danses traditionnelles que Maurice pourtant ne connaissait pas. Il voulait d’ailleurs que l’école MUDRA Afrique que je co-dirigeais danse son Sacre, mais l’école a fermé et il n’a pas eu le temps de réaliser ce projet. Maurice Béjart voulait que je danse l’Élue alors que j’avais 35 ans. Et 35 ans après, pour mes 70 ans, Olivier Dubois m’a proposé son Élue noire ! Ça n’a pas été facile. Pour mon corps tout d’abord et puis pour la musique. Je la trouvais belle et intéressante mais je ne parvenais pas à la capter. J’ai demandé au compositeur Fabrice Bouillon de me décrypter Le Sacre. Il me demandait ce que j’entendais. Je répondais : là des chevaux, là des vagues, là ce sont deux vies qui rigolent. Quand j’ai commencé avec Olivier, c’était la catastrophe ! Moi, je ne sais pas compter. Mais je suis parvenu à dompter Stravinsky en écoutant mon corps. Ça a été très long pour moi. J’ai été agréablement surprise quand j’ai vu que tous ces danseurs et danseuses africaines s’étaient appropriées la musique pour Le Sacre de Pina avec une telle facilité.
Pina Bausch, Germaine Acogny et Malou Airaudo – Le Sacre du Printemps et common ground(s).
À voir du 19 au 30 septembre 2022 à l’espace chapiteaux de la Villette dans le cadre de la saison Hors-les-murs du Théâtre de la Ville.