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Rencontre avec Frederik Deberdt, de danseur à maître de ballet au Malandain Ballet Biarritz

Danseur emblématique du Malandain Ballet Biarritz pendant 20 ans, Frederik Deberdt a fait ses adieux à la scène en juin dernier. Mais le danseur n’est pas parti bien loin : il est devenu maître de ballet de la compagnie, transmettant le répertoire de Thierry Malandain à une nouvelle génération d’artistes. Comment appréhende-t-il ce nouveau travail, alors que la compagnie va changer de direction d’ici quelques années ? Quels changements aimerait-il mettre en place ? Et quels souvenirs garde-t-il de sa carrière ? Long entretien sur le passé, le présent et le futur de ce danseur, toujours aux côtés de Thierry Malandain.

Frederik Deberdt

Vous avez fait vos adieux à la scène en juin 2022. Qu’est-ce qui vous a décidé à partir ?

J’allais avoir 41 ans et je sentais que cela commençait à être difficile physiquement. Au Malandain Ballet Biarritz, nous avons un rythme très élevé, avec beaucoup de spectacles et de déplacements. Et c’est un style de danse qui demande énormément d’énergie. Je ne voulais pas faire de concession sur ce que je faisais ou ne faisais pas, imposer un choix à Thierry Malandain ou aux maîtres de ballet. Je sentais que je pouvais danser encore un an ou deux, pourquoi pas trois. Mais il y a eu cette proposition de devenir maître de ballet en 2021 et j’ai sauté sur l’occasion. Je suis resté finalement danseur pendant encore un an, pour continuer à danser après la sale saison du Covid.

 

La pandémie et l’arrêt des spectacles ont joué dans votre choix ? Beaucoup de danseurs et danseuses en fin de carrière, dans toutes les compagnies, sont parties à la fin de la pandémie.

Cela nous a laissé le temps de réfléchir, à ce que l’on voulait vraiment et comment terminer notre carrière. Avec notre rythme habituel de travail, l’on n’a pas le temps de se poser. On se projette toujours dans la prochaine tournée, le prochain spectacle.

 

Comment est arrivée cette proposition de devenir maître de ballet ?

Le directeur délégué Yves Kordian et le maître de ballet Richard Coudray, avec l’accord de Thierry Malandain, m’ont fait la proposition. Il y a six ans, j’avais accompagné Françoise Dubuc, ancienne maîtresse de ballet du CCN, pour remonter un ballet de Thierry à Mulhouse. J’étais très content et très heureux que l’on me le propose et c’est comme cela que j’ai goûté ce métier. J’ai eu d’autres expériences de ce genre et je me suis rendu compte, au fur et à mesure, que devenir répétiteur ou maître de ballet pouvait me plaire. Mais je ne l’espérais pas, il y a tellement peu de postes ! Il faut que l’occasion et le timing soient parfaits. Le timing était là, mais c’est un autre travail de partir quelque part sur un projet et être tout le temps avec les mêmes danseurs et danseuses, supporter le quotidien.

 

Dans le quotidien justement, comment vos rapports ont-ils changé avec les danseurs et danseuses ? Vous étiez l’un des leurs, maintenant vous les dirigez.

La saison dernière a été une année de transition, où j’ai commencé à être maître de ballet tout en étant encore danseur. Pour mes collègues comme pour moi, c’était assez difficile de se placer. Désormais je suis en face d’eux, je ne suis pas forcément avec eux. Je dois leur donner des corrections, et eux les accepter. Cette saison est plus simple parce que mon positionnement est désormais plus clair.

Magifique de Thierry Malandain – Frederik Deberdt et le Malandain Ballet Biarritz

Il y a une frustration à faire répéter, et voir en scène, des ballets que vous avez tellement dansés ?

Bizarrement, non. Je le craignais, surtout de suivre les spectacles depuis la salle. Je me demandais ce que j’allais ressentir. J’ai entendu tellement de danseurs qui ont du mal à retourner vers le spectacle, parce qu’ils n’arrivent pas à digérer leur départ ! Mais j’ai tout de suite été dans le métier. C’était sur La Pastorale en septembre, lors d’une tournée à Montréal. J’ai scruté les erreurs, les corrections intégrées, le petit stress du maître de ballet que tout se passe bien. J’ai été tellement fier d’eux, tellement content qu’ils réussissent, qu’ils livrent un beau spectacle, tellement fier du public, que finalement la scène ne me manque pas. En tout cas, aujourd’hui, ça ne me manque pas encore (sourire).

 

Comment vous positionnez-vous par rapport aux danseurs et danseuses que vous avez en face de vous en répétition ?

Je ne sais pas si c’est parce que j’étais danseur il n’y a pas si longtemps, mais en tant que maître de ballet, j’aime être là pour l’interprète. Dans le studio, je veux le mettre aussi à l’aise qu’il puisse l’être. On le ressent vite si un danseur est un peu perdu. C’est en étant à l’écoute pour le danseur et la danseuse que l’on arrive à un bon résultat, pas en y mettant des tensions et de la violence. Dans le studio, j’essaye de faire vite une analyse de qui j’ai en face de moi pour l’aider au mieux. C’est très différent si l’on transmet quelque chose à quelqu’un qui est là depuis un certain temps ou quelqu’un qui arrive. Celui ou celle qui arrive, je vais essayer d’aller assez vite dans la chorégraphie et les pas, et après d’expliquer le style de Thierry Malandain et ses attentes. C’est un chorégraphe très précis dans la technique mais qui laisse une liberté énorme pour l’interprétation. Et cela peut beaucoup déstabiliser un-e artiste. Le plus important reste l’image que Thierry veut donner d’un personnage. Même s’il y a cette liberté de l’interprétation, il ne faut pas dévier de la vision qu’il a du rôle.

 

Qu’est-ce que demande Thierry Malandain à ses maîtres de ballet ?

Il est toujours précis et exigeant sur ses pas, les lignes, les placements et la musicalité. Comme on le connaît et que l’on a assez de connaissances de ses œuvres, on peut devancer ses attentes. On a assez travaillé avec lui pour savoir ce qu’il veut vraiment. Nous faisons notre travail le plus proprement possible, avec le temps qui nous est imparti. Le temps est notre ennemi, l’on n’a pas le temps de faire tout ce que l’on veut faire ! Il y a donc toujours une certaine appréhension. Mais Thierry nous fait confiance, il est content du travail et il compte sur nous.

 

Revenons sur votre carrière de plus de 20 ans au Malandain Ballet Biarritz. Comment êtes-vous arrivé dans cette compagnie en 2001 ?

J’avais découvert Thierry Malandain alors que j’étais élève à l’École royale du ballet d’Anvers, l’on avait dansé sa pièce Danses qu’on croise. L’école a été invitée à se produire sur scène avec la compagnie à Saint-Etienne, alors qu’elle allait déménager à Biarritz. J’avais senti que le style me plaisait, c’était demandant techniquement et artistiquement. Et j’avais adoré cet esprit familial de la compagnie. En sortant de l’école, j’avais 17 ans et Thierry n’engage pas des artistes aussi jeunes. ll fallait que je goûte à d’autres choses. J’ai été engagé au Ballet royal de Flandre et j’y ai dansé pendant deux ans. En 2001, il y a eu un gros changement dans la compagnie, j’ai donc passé une audition chez Thierry Malandain et j’y ai été pris.

Marie-Antoinette de Thierry Malandain – Miyuki Kanei et Frederik Deberdt

Quels souvenirs gardez-vous de ces premières semaines ?

Je venais d’une grosse compagnie, où le studio n’était ouvert à personne de l’extérieur, et j’arrive dans une troupe familiale. J’ai adoré ça, l’on pouvait se sentir comme à la maison. Venant d’une grande ville, déménager à Biarritz est un gros changement, même s’il y a l’océan, les hivers y sont très calmes ! (sourire). C’est difficile de rencontrer du monde et l’on est toujours en déplacement. Mais cette ambiance familiale a été le plus important, il y avait donc beaucoup d’excitation et de joie ! On avait beaucoup de spectacles, déjà entre 80 et 100 par an, et tous les ballets à apprendre. D’autant qu’on était très peu, 14 artistes en tout, donc on dansait beaucoup ! Et l’on sentait que si on travaillait, si Thierry était content et nous faisait confiance, les rôles pouvaient arriver. C’était une motivation dans le travail.

 

Comment avez-vous vu évoluer la compagnie depuis toutes ces années ?

La compagnie n’avait pas forcément le succès qu’elle a aujourd’hui. L’on aime mettre des gens dans des cases mais il est impossible de mettre une étiquette sur la danse de Thierry Malandain. C’est du classique, du néo-classique, du contemporain ? Cela n’aura pas la même définition selon les pays. Je ne peux pas dire qu’aujourd’hui la danse de Thierry peut se définir, mais elle est désormais pleinement acceptée et reconnue, aussi grâce à un gros travail de communication. J’ai ainsi vu le public venir, revenir, revenir avec du monde. C’est très agréable de voir ce style que l’on défend avec passion être apprécié du public, de percevoir sa fidélité, ces salles pleines à Biarritz ou ailleurs.

Et puis il y a eu le changement d’effectif. Nous étions 12, maintenant nous sommes 22. L’augmentation est venue petit à petit, en bataillant sur chaque poste. J’espère cependant que l’on ne deviendra pas une compagnie plus grande. 22, cela suffit pour avoir des pièces bien construites, avec des solistes, un beau corps de ballet malgré les blessé-e-s. Si l’on augmente l’effectif, on multiplie les problèmes, et je ne pense pas que la compagnie puisse fonctionner en se divisant en deux groupes, pas pour l’instant en tout cas.

 

Quels sont les ballets et rôles marquants de votre carrière ?

Casse-Noisette, j’aime tellement la façon dont Thierry a réussi à transformer ce ballet classique pour notre petite compagnie ! J’ai adoré le rôle-titre, j’ai pu le danser au bout de quatre ans dans la compagnie et ça a été un moment important dans ma tête. Puis il y a eu Magifique en 2009, Roméo et Juliette en 2010 où je dansais Frère Laurent, si important dans la relecture de Thierry. C’était une création et j’ai senti pour la première fois une confiance totale de sa part. Cela reste pour moi le plus important et le plus attachant des ballets. Il y a ensuite beaucoup d’autres rôles : Louis XV dans Marie-Antoinette, Caïn dans Noé… Et Silhouette, un solo de 12 minutes créé pour moi en 2012. Je le trouve magnifique, même si au début je le comprenais peut-être moins. L’on peut le voir comme un danseur qui fait ses adieux et qui se souvient de ses rôles… Un chorégraphe qui te donne un solo, c’est un cadeau tombé du ciel.

Silhouette de Thierry Malandain

C’est d’ailleurs sur ce ballet, Silhouette, que vous avez fait vos adieux à la scène…

J’avais espéré partir avec ce ballet mais je n’avais pas osé le demander. Ce devait être finalement sur le programme Stravinsky que je devais partir. Mais le Covid et des blessures ont fait que l‘on n’a pas pu danser L’Oiseau de feu. L’on a donc repris quelques extraits de Mozart à 2 et Silhouette. Cela faisait un an que je ne l’avais pas dansé. Et ça a été un cadeau de partir avec. Puis, dans Mozart à 2, je dansais le dernier duo, celui sur la fin de vie. Je l’avais tellement dansé depuis 15 ans et c’était tellement beau de le refaire une dernière fois à Biarritz, à 40 ans ! C’est un duo que j’ai beaucoup mieux compris avec le temps. Au début, j’étais trop jeune, je n’étais pas assez investi sur la liberté de glisser dans l’interprétation.Avec le temps, l’on comprend plus de choses.

 

Il n’y a pas eu de frustration de ne travailler qu’avec un seul chorégraphe, ou presque ? (ndlr : Martin Harriague a été chorégraphe associé ces quatre dernières années).

Créer un lien avec un chorégraphe, en symbiose totale, cela me plaît ! Thierry Malandain m’a toujours proposé des rôles avec une recherche psychologique, où l’on peut apprendre sur nous-même et sur les autres. Il y a toujours eu des personnages intéressants et attachants qui peuvent nous enrichir. Mais je me suis posé beaucoup de questions vers 30 ans, je ne me sentais pas alors à 100 %. J’avais commencé une saison en voulant peut-être arrêter la danse ou partir dans une autre compagnie. Mais je ne suis pas quelqu’un qui reste longtemps à avoir pitié de lui-même. Si l’on n’a pas d’empathie envers soi, on ne peut en avoir pour les autres. Alors je suis passé à autre chose, parce que j’aime la danse, j’aime énormément ce que fait Thierry. Et le rythme a fait que j’ai vite goûté aux spectacles. J’ai rapidement compris que je ne voulais pas arrêter la danse, surtout que ça allait très bien physiquement à l’époque. Et quelques mois plus tard est arrivé Silhouette. J’ai senti encore une fois la confiance totale de Thierry. C’était le plus grand des cadeaux qu’il pouvait me faire à l’époque.

 

Et est-ce qu’il y a eu des ballets plus difficiles à aborder, de plus mauvais souvenir ?

Lucifer (2011) a été le plus difficile à construire, mais j’ai finalement aimé le danser. C’était une création musicale. Pendant les répétitions, il n’y avait donc que le piano et quand nous avons découvert l’orchestration, c’était tellement différent que l’on avait du mal à le défendre. Cela a pu être incohérent dans notre corps et nos mouvements.

De façon plus générale, la difficulté pouvait venir de la routine. Quand on danse un ballet tous les soirs pendant deux semaines, que l’on a déjà dansé 150 fois, qu’il y a la fatigue, cela peut être difficile de se motiver. On n’y arrive pas toujours à 100 %, mais une fois que l’on est sur scène, quelque part, il faut s’ignorer et rentrer tout de suite dans le rôle. C’est difficile dans le corps de ballet parce que l’on ne part pas dans un personnage, on peut difficilement se laisser emporter. Alors on s’accroche au groupe, à la personne qui n’est pas là depuis très longtemps et qui n’a pas dansé ce ballet autant de fois, ou la personne qui ce soir-là est très motivée. Il faut s’accrocher à celui ou celle qui va nous tirer vers le haut ce soir-là.

 

Quels ont été les grands et grandes partenaires de votre carrière ?

La toute première, c’est Nathalie Verspecht. Elle vient de la même école de danse que moi : quand j’en étais le plus jeune, elle en était la plus âgée, l’Étoile de l’école ! Nous avons fait le même chemin, elle a dansé trois ans au Ballet Royal de Flandre avant de venir au Malandain Ballet Biarritz. Elle était tellement généreuse en scène ! Elle aurait pu danser dans de très grandes compagnies comme le NDT, mais elle a choisi cette ambiance familiale. Elle était débordante de tout, d’un immense sens artistique, très inspirante et dans le partage. Puis il y a eu Magali Praud, devenue professeur au Conservatoire de Biarritz. J’ai adoré danser avec elle, elle débordait aussi d’émotion, ce n’était jamais pareil mais toujours très honnête et crédible, elle n’essayait jamais de copier quelqu’un. Enfin, il y a eu Arnaud Mahouy (ndlr : qui a fait ses adieux à la scène en 2021). Nous avons tellement dansé ensemble qu’il y avait une confiance et une facilité incroyable entre nous. Nous savions exactement ce que pouvait penser l’autre, nous savions jouer sur l’autre en studio. Le Portrait de l’infante (2008) fut notre premier duo, quelque chose de touchant, fort, techniquement difficile. Nous avons réussi à être en complet accord et c’est avec ce ballet que l’on a commencé ce travail sur le long terme ensemble.

Noé de Thierry Malandain – Arnaud Mahouy et Frederik Deberdt

Avec Arnaud Mahouy, qui est en charge du développement artistique du CCN après ses adieux à la scène, vous faites partie d’une génération d’interprètes qui a rejoint la structure de la compagnie. On compte aussi Giuseppe Chiavaro devenu maître de ballet et Ione Miren Aguirre dans l’équipe des relations avec les publics. Dans quel état d’esprit êtes-vous ensemble ? Vous avez envie d’insuffler une nouvelle énergie ?

Nous sommes motivés et sur la même longueur d’onde, mais on sait discuter si ce n’est pas le cas. On se connait très bien, on connait Thierry et on sait ce que c’est de travailler avec lui, on connaît l’esprit de la famille (se reprenant)…  de la compagnie qui est une famille (sourire). Si nous sommes restés, c’est que nous aimons cet état d’esprit. Même si on aimerait y apporter quelques changements.

 

Quels changements aimeriez-vous mettre en place ?

Il y a beaucoup d’écoutes chez nous envers les danseurs et danseuses, mais j’aimerais que cela aille encore plus loin. Le management à l’horizontal me parle. Bien sûr qu’il faut une direction et une hiérarchie, mais je trouve ça beau de parler ensemble et de prendre des décisions ensemble, avec les danseurs et danseuses, encore plus que ce que l’on fait actuellement.

 

Sur quels aspects de votre métier, par exemple ?

L’on pourrait choisir de discuter des tournées et d’en faire moins. Nous sommes à un fonctionnement de 50 % de subvention et 50 % de recettes propres. Autrement dit, on est obligé de donner beaucoup de spectacles, entre 80 et 100 par an, dont seulement une petite douzaine à Biarritz. Une grande partie de l’année, nous sommes donc en déplacement, beaucoup à l’étranger. Cela prend du temps et de l’énergie, c’est épuisant pour le corps et on le paye physiquement. C’est l’une des raisons des départs des artistes du CCN, parce qu’ils veulent construire une famille. Avoir des enfants n’est pas interdit chez nous (ndlr : aucune compagnie n’est en droit d’interdire à des danseuses de tomber en enceinte, ou à n’importe quel de ses employé-e-s de devenir parent. Mais certaines troupes continuent de mettre la pression sur ce point ou discriminer une danseuse revenant de congé maternité). Mais par rapport à notre rythme de travail, devenir parent est utopique. L’on n’arrête pas de partir une semaine, 15 jours, un mois… Et puis aujourd’hui, avec les coûts de l’énergie, avec la réflexion écologique, ce sont des choses à repenser. Nous allons être obligés de faire des choix et de mener des changements. On peut penser à des petits théâtres du Pays basque, même s’ils ont souvent peu de moyens. Pour un danseur-une danseuse, rester à la maison, dormir dans son propre lit, ne pas avoir à faire 5 ou 12 heures de voyage, cela apporte plus de qualité dans son travail et une vie plus équilibrée. Il faut voir évidemment comment s’en sortir financièrement.

Nous ne sommes pas une compagnie syndiquée mais il y aurait des structures à mettre en place. Pour avoir plus d’avance sur les plannings par exemple, pour pouvoir se projeter et construire plus facilement sa saison, sa vie, une formation… La compagnie fait de bonnes choses sur ce plan-là, notamment en organisant des formations au DE (ndlr : Diplôme d’Etat, indispensable pour enseigner la danse en France) sur-mesure avec notre emploi du temps compliqué. Mais l’on peut encore plus développer cet aspect. Et puis il y a aussi les grilles salariales, ce n’est pas acceptable de voir autant de différences entre les salaires des danseurs et danseuses et ceux des musiciens et musiciennes d’orchestre. C’est un combat à mener.

Roméo et Juliette de Thierry Malandain – Frederik Deberdt

L’on parle beaucoup en ce moment de la santé mentale du danseur et de la danseuse. Quel est votre point de vue sur ce problème ?

C’est quelque chose qui n’est pas forcément négligé ou volontairement mis de côté au Malandain Ballet Biarritz, mais plutôt un aspect que l’on ignore parce que l’on ne sait pas qu’un danseur va mal. Un danseur doit toujours être présentable, on est centré sur nous-même pendant le cours parce que l’on se met une énorme pression. Et parce que nous sommes de trop bons acteurs, il est parfois difficile de voir notre mal-être. Le problème vient aussi du fait que l’on n’en parle pas. Par exemple, je ne m’attendais pas à me sentir déprimé une semaine après mon départ de la scène. Je me suis préparé pendant un an, je me disais que le chemin était fait. J’avais l’âge, je ne partais pas sur une blessure ou un coup de colère. Je ne m’attendais donc pas à me sentir mal, c’est pourtant arrivé. Le confinement a fait apparaître beaucoup de questions chez nous, sur la peur face à la durée d’une carrière, les difficultés de notre métier, des choses que l’on ne se demandait pas avant parce que l’on veut toujours aller de l’avant.

 

Thierry Malandain va partir dans quelques années, Yves Kordian (Directeur délégué) aussi. Comment appréhendez-vous les changements de direction à venir à la tête du CCN Malandain Ballet Biarritz ?

C’est très présent dans la tête et dans l’esprit. Je reste très motivé face à la nouveauté, comme face à ce que l’on a fait 200 fois. J’espère que la personne choisie sera dans l’esprit de Thierry, quelqu’un de très humain avec les danseurs et danseuses. Mais je me laisse la chance, si c’est quelqu’un de très différent, de continuer encore un peu, de voir comment cela se passe et d’arriver à avoir une cohésion de travail.

Danserons-nous encore beaucoup de ballets de Thierry Malandain ? Cela dépendra du nouveau ou de la nouvelle chorégraphe, du nouvel-le administrateur ou administratrice, de la programmation, des théâtres, de ce qu’ils et elles voudront. Le nom de Malandain remplit les salles, c’est très demandé. Mais il faudra aussi laisser le temps au public de découvrir ce nouveau ou cette nouvelle chorégraphe. Il faudra trouver un équilibre.

 

À plus court terme, qu’est-ce qui vous attend pour cette suite de saison ?

Nous allons remonter Nocturnes au Ballet du Capitole et Cendrillon au Ballet Nice Méditerranée. Pour le CCN, nous allons reprendre Boléro et Noé. Cela fait longtemps que l’on n’a pas repris Boléro, il va falloir reprendre presque tout depuis le début. Mais je l’ai dansé tellement de fois, peut-être 200 ! Tout est précis et codé, on l’a tellement travaillé que je dois avoir plusieurs corrections sur chaque pas. Noé, c’est autre chose. C’est un ballet que j’ai dansé il n’y a pas si longtemps et il y a des rôles que je ne connais pas forcément. Il y a donc tout un travail à faire en vidéo et auprès des artistes qui l’ont interprété. C’est un travail intense mais très intéressant. Cela me permet de découvrir ce ballet autrement.

 

Comment travaille-t-on avec une compagnie extérieure ? Qu’est-ce que l’on transmet en priorité, sur les quatre à six semaines de répétitions ?

Prenons le Ballet du Capitole par exemple, qui a déjà goûté au style de Thierry Malandain avec la création Daphnis et Chloé, et que l’on va retrouver en février avec Nocturnes. Cette compagnie a une technique classique très forte. Mais avec Thierry, tout est souvent très dessiné sans forcément aller dans la grande technique académique, notamment pour le corps de ballet. Et parfois, pour un danseur classique, cela peut être frustrant, parce qu’il a travaillé pour mettre en pratique cette technique. Il faut alors leur apprendre l’importance d’avoir ce même investissement dans cette façon différente de danser. Parfois, cela prend du temps, c’est un chemin à parcourir. Le plus important reste d’avoir sur scène des gens extrêmement ensemble et en même temps très investis personnellement, d’avoir une cohésion de groupe et des personnalités en scène. Thierry aime voir l’humain dans le danseur ou la danseuse, plus que de jolies lignes ou de la technique.

Boléro de Thierry Malandain – Frederik Deberdt et le Malandain Ballet Biarritz

Comment définir la danse de Thierry Malandain ?

C’est une danse très humaine avec des personnages attachants. Lui-même est très humain dans son approche de la danse, très respectueux de la danse classique. Il va toujours y puiser avec un énorme respect. Personnellement, je trouve aussi que sa danse est profondément contemporaine, dans le sens large du terme : la danse de Thierry Malandain est une danse de notre époque.

 

La Pastorale de Thierry Malandain par le Malansain Ballet Biarritz – Du 8 au 11 décembre à l’Opéra Royal de Versailles.

Le Malandain Ballet Biarritz est en tournée un peu partout en France avec plusieurs programmes.

Nocturnes de Thierry Malandain par le Ballet du Capitole – Du 10 au 12 février 2023 au Théâtre de la Cité de Toulouse.

Cendrillon de Thierry Malandain par le Ballet Nice Méditerranée – Du 22 au 29 avril 2023 à l’Opéra Nice Côté d’Azur.

 



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