Festival Flamenco de Nîmes – Mellizo Doble d’Israel Galván et Niño de Elche
Israel Galván était de retour au Festival Flamenco de Nîmes avec le chanteur Niño de Elche pour Mellizo Doble. Pour, une fois de plus, s’affranchir de toutes les limites et conférer au flamenco une radicalité de génie. Dans une scénographie dépouillée, les deux stars dialoguent pendant plus d’une heure non-stop, scandée par le chant rugueux et ininterrompu de Niño de Elche. Dans cette conversation osmotique, Israel Galván éclate son cadre esthétique pour incarner dans sa danse le chant de l’enfant de Elche. Un spectacle déroutant où les deux artistes déconstruisent ensemble les codes du flamenco pour mieux le magnifier. Exceptionnel.
Ces deux là se connaissent bien et depuis longtemps. Tout les appelait à créer ensemble. Israel Galván comme Niño de Elche sont des enfants prodiges qui ont débuté tôt dans leur art respectif. C’est dire qu’il y a longtemps qu’ils en maîtrisent les règles et le vocabulaire. De quoi projeter ces deux artistes vers des formes nouvelles. Israel Galván a conduit la danse flamenca vers des rives inconnues. Il y aborde des thématiques qui dépassent la tradition et croise son savoir-faire et sa vision avec des artistes venant d’autres planètes esthétiques. Niño de Elche a certes débuté très jeune comme chanteur de flamenco, mais lui aussi s’est tourné vers d’autres genres, mêlant rap, jazz ou sons électroniques. Cette curiosité commune pour l’altérité des univers ne pouvait que les rassembler.
Mellizo Doble (Jumeau double) est leur troisième collaboration. De manière improbable, c’est à Tokyo qu’est né ce spectacle à l’automne 2019. Il fut mis en sommeil en raison de la pandémie mais il a depuis repris sa route. Rien de ce qu’a produit Israel Galván, jusqu’à présent, n’a laissé indifférent. Mais ce Mellizo Doble va encore plus loin que tout ce que l’on peut imaginer. Encouragé par le chant déclamatoire et poignant de Niño de Elche, le danseur chorégraphe s’affranchit de toute limite. Vêtu de noir et d’un tablier en cuir orange, il déferle sur la scène comme pour en prendre possession dans une course à toute allure, scandant les déclamations a capella de Niño de Elche, de son zapateado d’une infernale intensité. Il ne nous laisse pas respirer mais nous emmène dans cette tornade avec son complice.
C’est de Séville dont Niño de Elche nous parle, les taureaux, la corrida et de la mort qui l’accompagne pour s’y opposer. Le duo se déploie dans une parfaite synchronie. On imaginerait presque qu’Israel Galván anticipe les improvisations de Niño de Elche tant sa danse est toujours en phase avec le chant. Comme toujours, il pose et se moque de lui dans un même mouvement. À deux, ils se lancent dans une danse percussive avec les dents qu’ils tapent sur un support en bois. C’est là le cœur du travail d’Israel Galván : trouver d’autres surfaces pour produire d’autres sons. Il s’en régale dans Mellizo Doble. Pieds nus sur un carré qui produit une frappe sonorisée. Sur des cylindres en bois de 30 centimètres de diamètre sur lesquels il semble tout aussi à l’aise.
Survient alors une seconde partie qui déstabilise l’auditoire. Après avoir laissé les lumières allumées dans la salle au début du spectacle, c’est le noir total qui s’installe et avec lui un certain malaise parcourt le public. Israel Galván semble tester sa résistance. Le chant de Niño de Elche s’élève, souligné par un grésillement très sonore. Il ne faudrait pas en dire trop mais on devine qu’Israel Galván frotte, gratte, secoue. Une partie du public déserte lors de cette séquence qui dure, décontenancé par la radicalité du spectacle. Peut-on imaginer plus déconcertant que le noir sur la scène quand il s’étire sur de longues minutes ? Il faut alors se laisser aller dans ces ténèbres dont on présume que l’on sortira en beauté.
C’est le cas évidemment ! Le noir s’estompe et laisse deviner Ie corps du danseur. Mellizo Doble se dirige alors vers un final éblouissant : assis sur une chaise, à terre, Israel Galván ose tout, dépasse ses propres limites et creuse sans cesse son sillon pour inventer un flamenco absolument moderne qui en fait l’un des plus grands danseurs d’aujourd’hui.
Mellizo Doble et et par Israel Galván et Niño de Elche. Vendredi 13 janvier 2022 à la Salle Bernadette Lafont du Théâtre de Nîmes. À voir à l’Espace Pierre Cardin du 1er au 9 février.
Le Festival Flamenco de Nîmes continue jusqu’au 23 janvier.