Bartabas et le Théâtre équestre Zingaro – Irish Travellers
Le nouvel opus de Bartabas, Irish Travellers créé à l’automne 2022, joue les prolongations en 2023. Le Théâtre équestre Zingaro au Fort d’Aubervilliers fait carton plein pour ce deuxième volet du Cabaret de l’Exil. Après s’être plongé dans l’univers yiddish, le metteur en scène poursuit ce voyage dans le temps en explorant ces cultures nomades. Un cabaret poétique et mélancolique porté par la musique jouée par un quatuor de musiciens irlandais, emmené par le chanteur Thomas McCarthy. Irish Travellers est un magnifique hommage à une communauté voyageuse méconnue, sublimée par une série de tableaux dont les chevaux et leurs écuyers et écuyères virtuoses sont les points cardinaux. L’un des plus beaux spectacles à l’affiche cette saison.
C’est un coin improbable de la toute proche banlieue, coincé entre Aubervilliers et Pantin qui peine à sortir de la grisaille. Planté à une encablure du métro, le Théâtre Zingaro surgit sans crier gare, superbe chapiteau en bois entouré de maisons grises. Ceux qui le connaissent y reviennent fidèlement. Le bouche-à-oreille et le succès critique ininterrompu ont fait le succès d’une aventure artistique unique au monde. Il y a en premier lieu l’excellence du travail de Bartabas qui depuis presque 40 ans ne se dément pas. Mais à l’instar du Théâtre du Soleil d’Ariane Mnouchkine, on vient au Théâtre Zingaro pour une expérience qui dépasse le simple temps de la représentation. Le premier chapiteau est un vaste espace chaudement éclairé où l’on peut se restaurer à prix doux, partager ce moment d’avant-spectacle avec bonheur, en se sentant accueilli. Puis vient ce moment traditionnel où perché au balcon, le héraut nous admoneste ! Gare aux téléphones portables dont les lumières intempestives pourraient effrayer les chevaux. Le public, divisé entre cour et jardin, est conduit vers l’autre chapiteau par petits groupes. Lumières tamisées, bougies et déjà un parfum d’Irlande avec une bouteille de vin chaud au whisky sur chaque table.
Bartabas a écrit plus d’une vingtaine de spectacles, parcouru le monde avec ses chevaux et sa compagnie, repoussant à chaque étape les limites du possible dans l’art équestre. Il aurait pu s’assécher, être en panne d’inspiration, se répéter. À l’inverse, il ne cesse de se renouveler en perpétuelle recherche, inaugurant une nouvelle série baptisée Cabaret de l’exil. Il revient ainsi à une forme plus épurée de son art, celle qui l’avait fait connaitre dans les années 1080. Quatre épisodes sont annoncés : après le voyage en terre yiddish, Bartabas nous ouvre un monde nomade oublié, les Irish Travellers qui depuis des siècles parcourent leur île d’Irlande de part en part, à cheval et en roulottes, travaillant l’étain pour survivre mais produisant aussi des équipements pour les chevaux. C’est aussi un peuple musicien dont le chanteur et conteur Thomas McCarthy sur scène est un descendant. Sa belle voix rugueuse accompagne ce voyage.
On y croise un troupeau d’oies, des moutons mais ne jamais s’y tromper ! Les chevaux sont les vraies stars de Zingaro. De toutes tailles, râblés ou plus fins, de toutes couleurs, ils scandent le spectacle, éblouissants de noblesse. On ne saurait parler ici de dressage. Ce que Bartabas a su insuffler, c’est la sublimation du plus parfait des animaux. Ils nous épatent lorsqu’ils franchissent sans difficulté les tables d’un banquet au milieu de la piste ou capables de faire corps avec leurs écuyers et écuyères, acrobates accomplis qui peuvent aussi bien chevaucher leurs montures debout, sauter de part et d’autre du cheval dans un ballet à deux ou à trois. Ou bien seul comme venu de nulle part, un cheval blanc émergeant et se lovant dans une intense fumée blanche produisant l’une des plus belles images du spectacle, comme une idée de jardin d’Eden.
On guette parmi les cavaliers qui se succèdent sur la piste Bartabas lui-même. Mais il se fait rare désormais dans les spectacles qu’il conçoit. Ceux qui connaissent son art inégalé de diriger un cheval auront reconnu sa stature, même cachée sous un immense masque jouxté de deux cornes interminables. Sur son cheval Tsar, Bartabas offre une séquence sublime. Sans esbroufe, il semble à peine le chevaucher, plutôt faire corps avec son cheval noir : c’est une danse à deux où le mouvement ne s’interrompt jamais.
Bartabas voulait convaincre Pina Bausch, dont il était proche, de venir créer un spectacle au Théâtre Zingaro. Mais la dame de Wuppertal gardait jalousement son génie pour sa compagnie. Il a pensé à d’autres chorégraphes et rien ne dit qu’un jour, il ne proposera pas une forme nouvelle et d’autres collaborations. En attendant, ce qu’il nous offre est un torrent de sensations, de beauté où la poésie, la musique, les animaux et les hommes font corps. Chaque rendez-vous est une redécouverte dont on sort ébloui. Est-il un autre artiste qui sait ainsi faire danser les chevaux ?
Irish Travellers, Cabaret de l’exil de Bartabas par le Théâtre équestre Zingaro. Chant : Thomas McCarthy. Dimanche 22 janvier 2023 au Théâtre Zingaro, Fort d’Aubervilliers. À voir jusqu’au 2 avril 2023.