Biennale Internationale des Arts du Cirque – Brame par Libertivore/I love you 2 par Circus I love you
Les plages du Prado de Marseille accueillent la 5e Biennale internationale des Arts du Cirque. C’est là que chapiteaux et roulottes se sont posés pour un mois. Soit 70 spectacles qui se déploient au-delà de la cité phocéenne et investissent près d’une cinquantaine de lieux. En dix ans, les fondateurs de la compagnie Archaos, devenue Pôle national Cirque, ont créé un évènement incontournable et essentiel pour le cirque contemporain. Raquel Rache de Andrade, Guy Carrara et Simon Carrara sont parvenus en quelques années à susciter un enthousiasme du public qui se confirme et s’amplifie à chaque édition. Cette édition 2023 met à l’honneur Fanny Soriano dont la compagnie Libertivore présente une rétrospective de ses spectacles, avec en point d’orgue la création de Brame, promenade nocturne et sylvestre sur le thème de l’amour et de la séduction. La compagnie Circus I love You venue de Suède explorait aussi ce thème pour son dernier spectacle I love you 2 qui mélange avec adresse et bonheur musique et acrobatie. Retour sur une journée dans la vie intense de la BIAC.
Artiste à l’honneur ! C’est la belle formule soigneusement choisie pour Fanny Soriano, artiste phare de la 5e Biennale des Arts du Cirque (BIAC) de Marseille. Acrobate et danseuse, elle a déjà signé cinq spectacles que l’on peut voir tout au long du festival. Dont la création Brame à La Scène Nationale le ZEF de Marseille. S’il est encore vert, le spectacle est déjà bien ancré dans ses lignes de force : une scénographie qui emmène le public dans une forêt où cohabitent arbres, animaux et humains. Les huit interprètes de la compagnie Libertivore sont acrobates, mais aussi, mais surtout dirait-on, danseurs et danseuses. Brame est chorégraphié de bout en bout sur une bande-son éclectique et enthousiasmante, où l’on croise aussi bien Kae Tempest que Erik Satie et sa troisième Gnossienne recomposée au piano et dans un format rock. Cet éclectisme musical imprime des couleurs différentes aux séquences de Brame.
L’ouverture est somptueuse, entre une acrobatie pour ver de terre et une rotation au sol d’une grappe humaine qui roule comme un corps unique. Fanny Soriano nous fait la promesse d’offrir un parcours du sentiment amoureux, des rituels de l’amour, des stratégies de séduction. On s’immerge avec délectation dans ce dédale des corps qui se plient. De l’homme élastique qui jamais ne parvient à s’ériger debout comme privé de toute ossature, délicieux moment comique initial mais nimbé d’une ineffable solitude, au trio entre un homme et deux femmes qui se fait pas de trois intensément virtuose. On se perd parfois dans la forêt de Fanny Soriano. Mais c’est pour mieux se retrouver dans l’élan amoureux de la passion, du désir et de la jalousie. Dans cet univers pluriel du cirque contemporain, Fanny Soriano réussit cette fusion osmotique entre acrobatie et danse.
Ce sont sur ces mêmes terres de l’amour que va chasser la compagnie suédoise Circus I Love You qui n’a pas choisi pour rien ce nom prédestiné. Julien Augier et Sade Kampala ont fondé leur compagnie en 2017, fédérant autour d’eux une équipe internationale qui partage leur vision et leurs idéaux, unissant musique et acrobatie dans un projet communautaire où chacune et chacun participe à la totalité du projet. Toutes et tous excellent, aussi bien dans l’une ou l’autre de ces disciplines. I Love you 2 démarre en musique avec un remarquable quatuor de cuivres entouré par la basse et l’accordéon. Perchés sur leur plateforme, les musiciens descendent sur la piste pour se faire acrobate. Trapèze, jonglage, roue Cyr, funambule, les trois duos se succèdent avec brio aux agrès et s’achèvent sur une étreinte, figure absolue de l’amour. Il pourrait y avoir quelque chose de factice dans cette déclaration d’intention mais le cirque, l’acrobatie ne se fonde-t-elle pas sur la confiance absolue dans l’autre et sur une connaissance intime de son corps et de ses réactions ? I Love You 2 est un spectacle tendre, attachant, joyeux. Il s’achève sur un bouquet final à la bascule qui enthousiasme et fait hurler le public composé essentiellement d’enfants et d’adolescents.
Cela fait partie intégrante de la politique de la BIAC : traquer des publics qui n’ont pas naturellement accès au spectacle, du travail en amont avec des acteurs du champ social à une politique tarifaire qui réserve des places à 3€. Dans la multitude de propositions de la BIAC 2023, on retrouve beaucoup de spectacles empêchés ou retardés par la pandémie. Mais cette page sombre du spectacle vivant semble aujourd’hui totalement oubliée à Marseille. Le public est là en nombre, de nombreuses représentations affichent complet, signe que le cirque contemporain est aujourd’hui un art populaire. La diversité des styles et l’arrivée de nouvelles compagnies attestent de sa vivacité.
Si les pouvoirs publics en ont pris conscience, ils peinent cependant encore à considérer le cirque contemporain comme un art du spectacle vivant tout aussi important que le théâtre ou la danse. C’est sans doute en raison de la jeunesse du cirque contemporain que l’on appelait à tort nouveau cirque. Le photographe Philippe Cibille nous immerge dans cette brève histoire en puisant dans son incomparable collection de clichés qu’il a pris depuis la fin des années 1990. L’exposition 30 ans de cirque contemporain à la Galerie de la Manufacture des Allumettes d’Aix-en-Provence est un parcours tendre et nostalgique où transparaît la complicité et la bienveillance du photographe envers ces artistes de l’extrême. On déroule cette histoire depuis le choc fondateur de la compagnie Archaos qui ouvrit la voie en explosant le cadre entraînant derrière elle les nouvelles générations circassiennes.
Biennale Internationale des Arts du Cirque 2023.
Brame de Fanny Soriano par la compagnie Libertivore à la Scène Nationale du ZEF. Jeudi 26 février 2023. À voir en tournée jusqu’en juin 2023.
I Love you 2 par Circus I Love You, à Espace Chapiteaux sur les Plages du Prado. Jeudi 26 février 2023. À voir en tournée.
Exposition 30 ans de cirque contemporain par Philippe Cibille à Galerie de la Manufacture, Aix-en-Provence. À voir jusqu’au 11 mars 2023.
La BIAC se poursuit jusqu’au 12 février.