34e promotion du Centre National des Arts du Cirque – Balestra de Marie Molliens
C’est un rendez-vous immanquable de l’hiver à la Villette. Chaque année, le lieu accueille le spectacle de fin d’études du Centre National des Arts du Cirque (CNAC) de Châlons-en-Champagne, longue étape parisienne d’une tournée dans toute la France. C’est Marie Molliens de la Compagnie Rasposo qui met en scène les 14 étudiants et étudiantes de cette 34e promotion avec Balestra. Elle a conçu et écrit un spectacle sépulcral, inquiétant, qui ne flatte jamais le public mais le prend à rebrousse-poil, comme pour lui faire prendre conscience de l’urgence de l’époque entre crise climatique et conflits récurrents. Souvent brillant et décapant, le récit peine cependant parfois à atteindre son but et laisse comme un goût de trop peu.
On sait depuis l’avènement du cirque contemporain que cet art n’est pas un simple divertissement. Explorant les confins de la danse au théâtre, le cirque est aujourd’hui en prise directe avec le monde tel qu’il est. Marie Molliens en est une des plus remarquables personnalités. Et l’expression « enfant de la balle » lui colle forcément à la peau. Formée à l’Académie Fratellini, elle s’inscrit dans une tradition familiale venue du théâtre de rue dont sont issus ses parents, Fanny et Joseph Molliens, fondateurs de la Compagnie Rasposo qui, au fil des spectacles, interroge nos rêves et nos émotions à travers une poétique qui lorgne vers le théâtre. C’est donc de ce côté-là que Marie Molliens est allée piocher pour concevoir Balestra, créé pour la 34e promotion du CNAC (Centre National des Arts du Cirque). Interrogeant individuellement les 14 étudiants et étudiantes, une ligne de crêtes s’est logiquement dessinée : la peur suscitée par le changement climatique. Comment y échapper ? Au risque que cela devienne une nouvelle tarte à la crème du spectacle vivant d’aujourd’hui.
Balestra évite cet écueil mais propose un récit lacunaire. Les images y sont spectaculaires. Assis sur des bancs, voilà les jeunes artistes grimés en pierrot lunaire, alignés tels des clowns tristes, visages hiératiques et atmosphère sépulcrale. Le ton n’est pas à la galéjade. Le cirque-théâtre de Marie Molliens puise dans les tréfonds métaphysiques de chacun et de ce point de vue, il fait mouche. Chaque séquence de Balestra nous interroge : que nous disent ces collections de Pierrot ? Pourquoi cette roue allemande qui se balance au centre de l’arène est manipulée avec une fausse maladresse ? Après un trop long prélude, le récit débute. Toutes et tous se défont de leurs oripeaux sans pour autant se défaire de cette constante intranquillité. Sursaturé de sons, musique live ou enregistrée, classique, lyrique ou rock, Balestra nous emmène dans un monde dystopique. En hauteur, sur le filet ou au sol autour de seaux remplis d’un liquide improbable, tout nous parle d’un ailleurs.
Dans cette tension permanente émergent des tableaux puissants : une roue qui voltige et s’enflamme, un funambule qui marche sur une corde qui brûle, un trio virtuose et risque-tout à la bascule coréenne, un jongleur qui jongle avec du fromage avant l’arrivée sur scène d’une chèvre annonçant une pastorale dansante, seul moment de répit dans Balestra. Ce beau titre d’ailleurs ! D’où vient-il ? « En escrime, c’est une figure d’attaque qui a pour but de provoquer un changement de rythme chez l’adversaire…pour déstabiliser l’autre », explique Marie Molliens. Balestra se construit sur ces variations perpétuelles de tempo et n’hésite pas à aller trop loin. Comme cette harangue tonitruante et agressive qui suscite le rire du public, qui ne sait pas comment il faut le prendre. Ou une scène d’humiliation du groupe contre l’un de ses membres et forcé de nettoyer la piste après avoir reçu un amas constitué des costumes de ses pairs. Là encore s’installe un malaise. Et pourquoi pas ?
Mais le spectacle se fait trop souvent cannibaliser par ses intentions. Cette lampe géante comme la métaphore d’un soleil devenu fou et destructeur qui capte et sidère le regard des artistes ne dit pas grand-chose des enjeux de l’époque. Les intermèdes interminables cassent le récit et nous égarent. Peut-être est-ce le but de cette plongée dans un monde dont l’avenir serait obscurci. Alors qu’en quittant le chapiteau le froid nous saisit, Balestra et ses 14 circassiens nous habitent. C’est donc imparfait mais réussi.
Balestra de Marie Molliens pour la 34e promotion du CNAC. Avec Noa Aubry, Alice Binando, Tomás Denis, Jef Everaert, Yannis Gilbert, Julien Ladenburger, Marisol Lucht, Elena Mengoni, Carolina Moreira dos Santos, Matiss Nourly, Pauline Olivier de Sardan, Niels Mertens, Thales Peetermans et Tiemen Praats. Mercredi 8 février 2023 à l’Espace Chapiteaux de La Villette. À voir jusqu’au 19 février, puis en tournée : au Cirque-Théâtre d’Elbeuf du 7 au 9 avril 2023, au Manège de Reims du 21 au 23 avril 2023, au Cirk’Eole à Montigny-lès-Metz du 12 au 14 mai 2023, à Lyon au Festival UtoPistes les 10 et 11 juin 2023, à Maroges Compagnie Rasposo du 30 juin au 2 juillet 2023.