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Soirée George Balanchine par le Ballet de l’Opéra de Paris – Ballet Impérial et Who Cares?

Le Ballet de l’Opéra de Paris présente un luxueux programme George Balanchine cet hiver. Avec deux pièces : Ballet Impérial sur le Concerto n°2 pour piano de Tchaïkovski(1941) et Who Cares? (1970) sur la musique de George Gershwin, couvrant ainsi deux périodes du chorégraphe russo-américain. Ces entrées au répertoire voulues par l’ancienne Directrice de la Danse Aurélie Dupont offrent un matériau extraordinaire pour le  corps de Ballet et les solistes féminines. Malgré des imprécisions et les difficultés à maîtriser le style balanchinien, le Ballet de l’Opéra de Paris offre un engagement sans failles et déploie sur scène des solistes féminines impressionnantes emportées par l’excellence d’Hannah O’Neill dans Ballet Impérial et de Dorothée Gilbert dans Who Cares?

Who Cares? de George Balanchine – Ballet de l’Opéra de Paris

George Balanchine est un peu chez lui à l’Opéra de Paris. Il y passa de longs mois après la Seconde Guerre mondiale, y chorégraphia de nombreux ballets pour la compagnie, dont Le Palais de Cristal qui est un précis de son langage chorégraphique. Le Ballet de l’Opéra de Paris compte à son répertoire de quoi faire plusieurs « best of » de George Balanchine. On oublie trop souvent qu’il s’inscrit dans la tradition de la compagnie au même titre que Serge Lifar, bien avant Rudolf Noureev. Mais il n’est pas dans l’ADN de la troupe. Chaque soirée Balanchine est ainsi un recommencement pour s’approprier un langage et une technique sous la supervision du Balanchine Trust qui veille scrupuleusement au respect de la technique et du style de Mister B.

Mais comment le définir ? Il y faudrait un livre et plusieurs lui ont été consacrés. Mais s’il faut en quelques mots rappeler ce qui distingue George Balanchine, c’est le minutieux travail de pointe. Le chorégraphe russo-américain a considérablement amélioré l’usage de la pointe omniprésente dans tous ses ballets. L’art de la géométrie est un autre marqueur décisif. George Balanchine construit des ensembles complexes, les fait se mouvoir, s’agrandir, se rétrécir ou augmenter avec une précision horlogère. C’est d’ailleurs en surplomb, aux balcons, que l’on goûte le mieux ses chorégraphies. Il offre aussi un format qui varie rarement : une trentaine de minutes, pas ou peu de décors. Enfin et surtout, la musique est le centre de gravité absolu du chorégraphe. Il est rappelé fort à propos dans le programme du spectacle l’appréciation de George Balanchine sur les ballets de Marius Petipa qu’il chérissait et dont il dansa les œuvres au Théâtre Mariinski de Saint-Pétersbourg. Selon lui, si la plupart des ballets de Marius Petipa ont disparu du répertoire c’est parce que les partitions en étaient indigentes. N’ont survécu que ceux écrits sur les musiques de Tchaïkovski ou de Glazounov.       

Ballet Impérial de George Balanchine – Ballet de l’Opéra de Paris (ici avec Ludmila Pagliero en soliste).

L’argument a marqué George Balanchine qui a toujours privilégié la musique. Il est l’auteur d’une révolution en la matière, utilisant des partitions consacrées pour ses chorégraphies. Ce sera le fil rouge de toute sa carrière. Stravinsky et Tchaïkovski furent ses compositeurs favoris mais il alla puiser dans tout le répertoire classique. Ce credo allait évidemment  influer sur son écriture chorégraphique. La musicalité est la qualité première et essentielle de tout interprète de George Balanchine.

Ballet Impérial qui ouvre la soirée au Ballet de l’Opéra de Paris définit son projet dans son titre. C’est un hommage aux grands ballets académiques, tels qu’il furent créés dans la Russie tsariste du XIXe siècle. À l’instar de Thèmes et Variations, George Balanchine conçoit un ballet sans narration où la danse pure est l’histoire de la pièce : montrer des ensembles grandioses, des pas de deux, des variations brillantes qui mettent en valeur les solistes. Le corps de ballet est toujours chez le chorégraphe comme un écrin. Et puis Ballet Impérial est aussi un plaisir malin de balletomane, George Balanchine y ayant inséré de courtes citations : Giselle quand le corps de ballet féminin se croise brièvement ou encore Le Lac des Cygnes quand le danseur cherche la danseuse de jardin à cour. Cela se déguste avec gourmandise.

Ballet Impérial de George Balanchine – Ballet de l’Opéra de Paris (ici avec Ludmila Pagliero en soliste).

Et dès la lever de rideau, une double diagonale mettant face à face danseurs et danseuses donne le la de Ballet Impérial, en référence aux bals de cour. Moins virtuose que Thème et Variations ou Le Palais de Cristal, Ballet Impérial recèle de nombreuses difficultés. À l’image du Concerto de Tchaïkovski, il change de tempo à chaque mouvement. Et le corps de ballet peine parfois à s’ajuster, ce qui ne pardonne pas dans le mouvement allegro. L’apparition de la Première Danseuse Hannah O’Neill sublime instantanément la scène. Ses pointes et la délicatesse de ses pas subjuguent, les sauts sont  maîtrisés et les réceptions impeccables, ses bras sont amples et libres montrant une coordination exceptionnelle. Rien ne transparaît des difficultés techniques. Elle papillonne sur la partition de piano interprétée par Emmanuel Strosser dont elle semble jouer chaque note sur scène. Héloïse Bourdon, l’autre soliste féminine, est irréprochable. Après une entrée hésitante, elle investit la scène avec le charisme qu’on lui connaît et une danse tout en nuances. Elles portent à elles deux tout le ballet et suffisent au bonheur du public. Leur partenaire masculin Audric Bezard semble davantage préoccupé par les difficultés techniques, ce qui l’empêche trop souvent de danser  librement.

Un entracte n’est pas de trop pour passer du romantisme de Piotr Ilitch Tchaïkovski au thèmes jazzy de George Gershwin dans Who Cares?. 30 ans séparent ces deux ballets. En 1970, le chorégraphe est plus américain que russe. Il choisit pour cette pièce 17 chansons dans leurs transcriptions pour orchestre, dont Who Cares? qui donne le titre à la pièce. Si Ballet Impérial célèbre l’art académique de Marius Petipa, Who Cares? rend hommage à la seconde patrie de George Balanchine, la comédie musicale sur Broadway et les lumières de New York. Le décor de Paul Gallis emprunté par l’Opéra de Paris au Het Nationale Ballet restitue la skyline de Manhattan mais la fait intelligemment bouger. C’est une pièce créée pour le New York City Ballet en 1970, comédie sans intrigue où un homme se partage entre trois femmes. Pur divertissement, Who Cares? se consomme sans modération. On aurait pourtant aimé voir davantage de plaisir à danser ce ballet dans les jambes de la compagnie. Les deux premiers tableaux qui mettent sur scène le corps de Ballet sont ainsi empruntés, empesés, presque caricaturaux quand les danseuses et les danseurs semblent davantage imiter ce qu’elles et ils imaginent être le style jazzy du ballet. Il faudrait aussi plus de swing dans la fosse trop scolaire.

Who Cares? de George Balanchine – Dorothée Gilbert et Lérémy-Loup Quer

Et puis paraît Dorothée Gilbert et là tout change. Danse maîtrisée de bout en bout, déhanchés moelleux et coquins, jeux d’épaules et de jambes grande classe, placement des mains, musicalité parfaite : c’est un volcan sur scène doublé d’une sensualité exquise. On savait depuis son interprétation magistrale de Rubis que Dorothée Gilbert est parfaitement à l’aise dans ce style balanchinien tardif et américain. Elle est irrésistible dans son solo sur Fascinatin’Rhythm, faisant exploser l’applaudimètre de la soirée ! Et tout se passe comme si l’Étoile avait entraîné la troupe avec elle. Tout semble se mettre en place. Bianca Scudamore qui lui succède se glisse avec onctuosité dans son rôle, cheveux défaits et sexy en diable. Roxane Stojanov irradie sur le standard My One and Only, complétant ce trio féminin qui embrase la scène. Jérémy-Loup Quer a fort à faire pour exister entre ces trois irrésistibles prétendantes mais il y parvient et impose une belle danse que l’on aimerait parfois un soupçon plus débridée.

Voilà ainsi un programme qui montre la compagnie dans une configuration inédite cette saison : ce sont plus d’une vingtaine de solistes et autant de prises de rôles qui se succèdent durant la série. George Balanchine – peut-être le plus grand chorégraphe de tous les temps – est toujours infiniment séduisant. Son amour de la danse pure, du mouvement pour ce qu’il est, laissant au public le loisir d’imaginer ce qu’il dit, contamine aussi bien les novices que les balletomanes avertis.

Who Cares? de George Balanchine – Roxane Stojanov et Jérémy-Loup Quer

 

Soirée George Balanchine par le Ballet de l’Opéra de Paris, avec l’Orchestre de l’Opéra de Paris dirigé par Mikhaïl Agrest. Ballet Impérial de George Balanchine, avec Héloïse Bourdon, Audric Bezard, Hannah O’Neill, Antonio Conforti, Florent Melac, Caroline Robert et Bianca Scudamore, et avec Emmanuel Strosser (piano) ; Who Cares? de George Balanchine avec Dorothée Gilbert, Bianca Scudamore, Roxane Stojanov, Jérémy-Loup Quer, Marine Ganio, Antoine Kirscher, Silvia Saint-Martin, Francesco Mura, Célia Drouy, Antonio Conforti, Charline Giezendanner, Gregory Dominiak, Seohoo Yun et Thomas Docquir. Jeudi 9 février 2023 au Palais Garnier. À voir jusqu’au 10 mars

 



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