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L.A. Dance Project – Roméo et Juliette Suite de Benjamin Millepied

Plusieurs fois retardé par la pandémie, Roméo et Juliette Suite de Benjamin Millepied pour son L.A. Dance Project, a enfin trouvé son public. Et après une première aux Nuits de Fourvière à l’été 2022, est parti ce printemps en tournée en France. Le chorégraphe aborde ce chef-d’oeuvre du répertoire classique en proposant moins une relecture qu’une vision contemporaine. S’affranchissant du livret initial tout en en respectant l’esprit, il imagine plusieurs versions du couple de Vérone telles une parabole sur les amours contrariées et impossibles entre un homme et une femme, ou deux hommes, ou deux femmes. Contractant la partition pour rendre le récit plus nerveux, il introduit avec talent la vidéo et l’usage de la caméra qui filme les danseuses et les danseurs au plus près, élargissant le champ de la scène. S’appuyant sur le vocabulaire de la danse académique mâtiné d’un geste plus contemporain, Benjamin Millepied offre une version plus que séduisante de Roméo et Juliette.

Roméo et Juliette de Benjamin Millepied – L.A. Dance Project

Il y avait comme une évidence à accueillir Roméo et Juliette de Benjamin Millepied par le L.A. Dance Project pour conclure le Festival Vagamondes de La Filature de Mulhouse. Son directeur Benoît André, qui sait faire preuve de témérité en douceur, avait choisi comme thème la question du genre pour cette édition 2023. « Sans agressivité mais comme une invitation à découvrir« , explique-t-il. La proposition de Benjamin Millepied s’ancre dans cette problématique. Les amours interdites pour des raisons sociales sont le thème central de Roméo et Juliette. La violente rivalité entre les Capulet et les Montaigu empêche toute idée de sentiment entre Roméo et Juliette. Si le chef-d’oeuvre de Shakespeare et le ballet de Sergueï Prokofiev ont toujours le même écho aujourd’hui, c’est parce que ce paradigme est encore vivace. Leonard Bernstein et Jerome Robbins l’avaient en leur temps décliné dans un contexte new-yorkais des années 1950 avec West Side Story. Benjamin Millepied à son tour se confronte à Roméo et Juliette pour se demander ce que serait aujourd’hui le drame des amants de Vérone. « Ce qui se passe sur scène doit dépeindre la réalité des gens qui sont dans la salle. Ne pas le faire serait terriblement conservateur », écrit le chorégraphe dans sa note d’intention.

Voilà pourquoi il a imaginé trois schémas possibles :  un homme et une femme, deux femmes, deux hommes. Chaque représentation propose une distribution différente dans les rôles titres impliquant évidemment des modifications dans la chorégraphie. On pourrait redouter la déclinaison d’un cliché superficiel sur l’homosexualité. Benjamin Millepied évite cet écueil avec une pièce foisonnante, nerveuse et d’une suprême élégance. De la même manière, l’inclusion de la vidéo peut faire peur – tant de spectacles l’utilisent comme un alibi de modernité. Mais sa mise en scène développe une virtuosité exceptionnelle. La scénographie est dominée par un écran géant où se déroule l’action tout autant que sur le plateau, qui ne contient au lever de rideau qu’un canapé. Comme une invitation à habituer son regard à regarder simultanément les images et la scène.

Et ça va à toute allure. Une caméra descendue des cintres donne une vision qui surplombe la scène et élargit la dimension. Tandis que l’ancien Principal du New York City Ballet Sébastien Marcovici, maître de Ballet du L.A. Danse Project, suit caméra à l’épaule les danseuses et les danseurs au plus près, non seulement en coulisses mais aussi dans tout le théâtre. Le cadrage est optimal, conférant une intimité rarement ressentie entre le public et les artistes. L’incontournable pas de deux de la scène du balcon est ainsi dansé sur la superbe mezzanine de la Filature, avec les lumières de Mulhouse en arrière-plan. Ce soir-là, ce sont David Adrian Freeland Jr. et Mario Gonzalez qui endossent les rôles titres. Rien de forcé dans ce duo homo-érotique d’une grande sensualité. 

Roméo et Juliette de Benjamin Millepied – L.A. Dance Project

Benjamin Millepied a écrit un récit précis, limpide de Roméo et Juliette, en concevant un montage habile de la partition dans l’une des plus belles versions, celle du London Symphony Orchestra dirigé par Valery Gergiev. Il n’y a nul besoin de souligner la narration qui est archi-connue. Cela lui permet de livrer un moment de danse intense. Il ne choisit pas un vocabulaire, il les intègre tous. Même si le geste classique est l’axe privilégié : sauts, arabesques, attitudes. Même s’il se refuse aux pointes, Benjamin Millepied sait qu’il vient de cet univers de la danse académique et c’est un langage qu’il maîtrise parfaitement. Il ne se refuse aucun clin d’oeil : l’on repère de belles citations des versions de Kenneth McMillan, et même un extrait du célèbre et poignant pas de deux du Parc d’Angelin Preljocaj que Benjamin Millepied avait interprété pour un clip publicitaire  d’une compagnie aérienne française.

Les 16 danseuses et danseurs de L.A.Project, troupe fondée par Benjamin Millepied il y a douze ans, sont sollicités non-stop durant les 95 minutes de ce Roméo et Juliette Suite. Sans compter que le casting change tous les soirs. Pour bien faire, il aurait fallu voir les trois versions, forcément différentes : on n’écrit pas le même duo pour deux hommes, deux femmes ou un homme et une femme. Il est au final réjouissant de voir un chorégraphe trouver une voie originale et inventive. Benjamin Millepied ne m’a pas toujours convaincu. Mais ses dernières créations montrent une maturité qui s’impose. Ce Roméo et Juliette mérite de continuer sa route. 

Roméo et Juliette de Benjamin Millepied – L.A. Dance Project

Roméo et Juliette Suite de Benjamin Millepied par le L.A. Dance Project, avec Lorrin Brubacker, Jeremy Coachman, Courtney Conovan, Daphne Fernberger, David Adrian Freeland, Jr, Eva Galmel, Mario Gonzalez, Oliver Grenne-Cramer, Daisy Kate Jacobson, Shu Kinouchi, Peter Mazurowki, Vinicius Silva, Hope Spears et Nayomi Van Brunt. Jeudi 30 mars 2023 à La Filature de Mulhouse dans le cadre de la saison du Théâtre National de la Danse-Chaillot hors les murs. 

 



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