Séquence Danse Paris 2023 – Leïla Ka / Nina Traub / Emanuel Gat/Euripides Laskaridis
Avec 14 spectacles, mélangeant habilement nouveautés et reprises, Séquence Danse Paris ouvre la saison des festivals de printemps au 104. Après son triomphe à Suresnes, Leïla Ka, artiste associée du 104, est revenue avec deux pièces courtes Bouffées et C’est toi qu’on adore, confirmant qu’elle est une chorégraphe à suivre. Venue d’Israël, Nina Traub a présenté Faintings, une pièce très visuelle dotée d’une scénographie impressionnante et sophistiquée. Emanuel Gat est venu avec la compagnie israélienne Inbal Dance Theater pour Suzanne sur la musique de Nina Simone dont le génie écrase un peu la danse. Enfin, le grec Euripides Laskaridis, l’un des artistes actuels les plus séduisants de la danse théâtre, nous soumet à son univers burlesque et déjanté dans Elenit. Diversité des styles et creuset international sont les lignes de force d’un festival qui, en une dizaine d’années, s’est imposé dans l’offre chorégraphique parisienne.
Leïla Ka a ouvert Séquence Danse Paris 2023 en suscitant le même enthousiasme public qui accompagne son parcours depuis sa toute première pièce créée en 2018, le solo Podo Ser joué désormais près de 150 fois. La danseuse et chorégraphe venue des danses urbaines, et qui a fait ses classes chez Maguy Marin, s’est imposée tout naturellement avec une écriture puissante où les femmes et leur corps ont une place centrale, source d’un questionnement récurrent. Pour Séquence Danse Paris, elle revient avec deux pièces courtes qui se font écho, mettant en scène cinq femmes. Bouffées vous happe sans même avoir le temps de respirer, porté précisément par le souffle de cinq danseuses en robes à fleurs. Leurs bruyantes expirations donnent la cadence du mouvement, tout en tremblements et saccades. Il y a de la lamentation, de la douleur partagée collectivement, comme un rite funéraire porté par ces femmes.
Et puis il y a la chute, violente, que l’on imagine provoquée par le chagrin. Le geste est sec, précis, ciselé, implacable. Leïla Ka et ses quatre compagnes absorbent tout l’oxygène et nous laissent pétrifiés par la beauté de cette lamentation collective, avec pour seule musique celle de leur souffle intense et percussif. En miroir, C’est toi qu’on adore est une reprise d’un duo élargi pour les cinq mêmes interprètes. Leïla Ka est allée puiser un tube de la bande originale de Barry Lindon avec la Sarabande de Haendel réorchestrée. Cette fois, elles sont en blanc. Foin des lamentations mais une danse plus rugueuse émaillée par des séquences au sol. Plus encore que dans Bouffées, la chute scande le récit, souvent violente pour se relever avec une même énergie. Leïla Ka est une artiste qu’il ne faut pas perdre de vue. Elle présentera à la rentrée au 104 sa prochaine création.
On est d’emblée saisi par l’univers de Nina Traub et son Hazira Theatre. La couleur nous inonde. Vert en l’occurrence. Toute à la fois danseuse, chorégraphe et plasticienne, l’artiste israélienne revendique cette scénographie puissante : « Il y a quelques éléments qui sont constants dans mes oeuvres, explique-t-elle, ce sont les fondements de mon langage créatif. Je me sers de la couleur, la couleur est le fond, cela me permet de créer un lieu concret avec simplicité, d’appréhender la manière d’aborder la recherche physique« . Noyée dans cet océan de vert dominé par un saule pleureur, les trois danseuses et la multi-instrumentiste Zoe Polanski explorent elles aussi la chute, passent d’un mouvement à l’unisson à de longues phrases au sol fondées sur des répétitions du geste. Faintings, c’est l’évanouissement, la perte de connaissance symbolisée par l’immobilité des corps. C’est une pièce exigeante qui peine parfois à nous atteindre.
Emanuel Gat est une des têtes d’affiche de Séquence Danse Paris 2023. Il vient avec la compagnie israélienne Inbal Dance Theater pour laquelle il a imaginé Suzanne. Double référence au centre Suzanne Dellal qui accueille à Tel-Aviv de nombreuses compagnies de danse contemporaine mais aussi au titre de la chanson de Leonard Cohen, Suzanne, reprise par Nina Simone. Le concert au Philharmonic Hall de New York en 1969 de la chanteuse de jazz noir-américaine sert de bande-son. On y entend la voix de Nina Simone parlant du temps dans un monologue avec le public, paroles tout aussi drôles que métaphysiques qui auraient mérité une traduction. Les huit danseuses et danseurs de l’Inbal Dance theater sont épatants. On retrouve le langage d’Emanuel Gat et son talent pour former un groupe et le défaire dans des courses précises. Mais il n’est pas certain que le choix des trois chansons de Nina Simone soit une si bonne idée. La puissance de sa voix, de son timbre, le charisme de sa parole cannibalisent le spectacle. La chorégraphie d’Emanuel Gat est plaisante mais n’atteint pas la force de la chanteuse. On reste distrait à ce qui se passe sur scène, emporté par la voix exceptionnelle de Nina Simone.
On sait la force de la scène grecque contemporaine. Euripides Laskaridis en est un des plus étonnants représentants. Il flirte avec tous les genres dans tous les sens du terme : du théâtre à la danse, du cirque au cabaret. C’est aussi un acteur fabuleux que l’on a pu voir en solo ou en duo mais qui présente cette fois une pièce de groupe, dans un décor qui tient du bric-à-brac grotesque dont l’élément central est une éolienne ! C’est une danse macabre et burlesque à la fois que présente Euripides Laskaridis. Le personnage principal qu’il incarne a les allures d’un transformiste baroque, perruque et robes bouffantes. Elenit, qui désigne un matériau de construction fortement cancérigène, est peuplé d’êtres étranges et monstrueux portant des masques qui reproduisent le visage humain mais en efface les traits. On y croise aussi des créatures animales monstrueuses. Tous parlent un méta-langage fait d’onomatopées bruyantes. Cette esthétique singulière fait fuir une partie du public désarçonnée par un récit fantasque. Il faut accepter de s’immerger dans le monde d’Euripides Laskaridis, laisser à la porte du théâtre ses repères. À ces conditions, Elenit est un voyage fabuleux, grinçant qui nous parle de l’humanité comme les Grecs savent le faire.
Festival Séquence Danse Paris au 104. Bouffées/C’est toi qu’on adore de Leïla Ka avec Leïla Ka, Jane Fournier Dumet, Zoé Lakhnati, Aïda ben Hassine. À voir en tournée en mai et juin. Faintings de Nina Traub avec Nina Traub, Meshi Olinsky, Zoe Polanski et Tamar Kisch ; Suzanne d’Emanuel Gat par l’Inbal Dance Theater avec Shachar Brenner, Noam Deutsch, Or Saadi, Amit Zaretsy, Ziv Besor, Eshed Weissman, Jonathan Shaal et Itay Meir. Lundi 3 avril 2023 au 104.
Elenit d’Euripides Laskaridis en partenariat avec le Théâtre de la Ville, avec Elrini Boudali, Chrysanthi Fytiza, Manos Kotsaris, Euripides Laskaridis, Thanos Lekkas, Dimitris Matsoukas, Efthimios Moschopoulos, Giorgios Poulios, Nikos Dragonas et Fay Xhuma. Samedi 15 avril 2023 au 104.
Le festival Séquence Danse Paris se prolonge jusqu’au 17 mai 2023.