The Dante Project de Wayne McGregor – Ballet de l’Opéra de Paris
Printemps chargé pour le Ballet de l’Opéra de Paris. Alors qu’elle reprend Maurice Béjart à l’Opéra Bastille, la compagnie aborde en même une création ambitieuse, signée Wayne McGregor sur une musique originale de Thomas Adès. The Dance Project est inspiré de l’œuvre du poète italien Dante Alighieri La Divine Comédie, construit comme un ballet en trois actes. Sans être explicitement narratif, il emmène dans un voyage onirique de l’Enfer au Paradis, via le Purgatoire. Le chorégraphe britannique conçoit une œuvre complexe, riche dans la grammaire stylistique qui est la sienne et qui va puiser dans le champ esthétique ouvert par William Forsythe. Wayne McGregor renouvelle de fort belle manière la tradition du grand ballet en trois actes, dans une chorégraphie offrant un superbe matériau pour les solistes et le corps de ballet. Qui brillent tout uniment dans cette soirée.
L’épithète « dantesque », dans une de ses acceptions communes, signifie grandiose voire sublime. Mais il est proscrit de l’utiliser pour qualifier la création The Dante Project au Ballet de l’Opéra de Paris ! On lui préfèrera pharaonique ou titanesque, qui semblent parfaitement adaptés. Depuis quand la compagnie parisienne avait-elle présenté une œuvre en trois actes, sur une partition originale commandée à l’un des compositeurs de musique symphonique les plus en vue d’aujourd’hui – le britannique Thomas Adès – et sollicité une star de la chorégraphie – Wayne McGregor ? Il fallut d’ailleurs s’y mettre à plusieurs et The Dante Project est une coproduction entre le Ballet de l’Opéra de Paris et le Royal Ballet, qui en eut la primeur il y a deux ans. Comme beaucoup de créations d’aujourd’hui, The Dante Project n’a pas échappé aux vicissitudes de la pandémie mais le voilà enfin sur la scène du Palais Garnier.
Le sujet a de quoi rebuter. Combien d’entre nous ont lu La Divine Comédie ? J’avoue humblement en être resté à quelques brefs extraits. Il serait dommage pourtant de s’arrêter à ce qui peut ne pas paraître un détail. Le chef-d’œuvre de Dante, premier ouvrage en italien écrit entre 1307 et 1321, précise le programme, est un monument de la littérature et de la philosophie et un poème sur l’amour et la foi. Mais Wayne McGregor ne s’attache pas à construire un ballet narratif. Une telle entreprise serait inévitablement vouée à l’échec. Il lui substitue un voyage de Dante lui-même et du poète latin Virgile depuis le tréfonds de l’Enfer jusqu’aux extases du Paradis, en s’arrêtant par l’étape forcée du Purgatoire. Trois lieux de l’imaginaire chrétien qui deviennent trois actes du ballet. La feuille de salle les indique en italien mais cette langue-là n’est pas bien difficile à comprendre.
Au centre de ce voyage, Dante incarné par Paul Marque en tunique bleue et Virgile dansé par le Premier Danseur Artus Raveau. Durant toute la durée de la représentation, ils sont nos guides, quittant rarement la scène, les acteurs principaux de The Dante Project avec Thomas Adès, qui a composé la musique et dirige l’orchestre de l’Opéra de Paris. Sa partition est un plaisir en soi. Il fait raisonner les cordes de l’orchestre avec bonheur et sait varier les couleurs au gré de la chorégraphie. Un travail perceptible dès le premier acte. Dante et Virgile errent alors dans un enfer figuré par un immense cercle noir, un sol couleur d’ardoise, reflété par un grand miroir circulaire. Dans cette forêt obscure défilent des groupes, des Égoïstes aux Courroucées en passant par les poètes. Thomas Adès compare ce premieracte aux danses de caractère du deuxième acte de Casse-Noisette, concevant une séquence musicale différente pour chaque groupe. Le compositeur reconnaît sa dette envers Franz Liszt et sa Dante Symphonie dont il fait de nombreuses citations dans la partition.
Tacita Dean, qui a réalisé décors et costumes, a imaginé des justaucorps unisexes noirs, marbrés de blanc pour indiquer le péché. C’est un moment de danse intense. Wayne McGregor fait évoluer la troupe à un train d’enfer, pas question de trembler sur les pointes pour des tours à toute allure. Cette succession de tableaux est entrecoupée de courts pas de deux tout aussi explosifs. On retiendra le magnifique duo formé par Bleuenn Battistoni et Guillaume Diop, distribué dans le corps de ballet avant qu’il fût nommé Étoile. Le dernier tableau, intitulé les Voleurs, est exclusivement masculin, dopé d’adrénaline. Ils sont onze à investir la scène sur une musique allegrissimo. Wayne McGregor sait à merveille composer ces ensembles où il semble que la danse ne s’arrête jamais. On sort de ce tourbillon par un ultime pas de deux entre Paul Marque et Roxane Stojanov que le chorégraphe nomme Satan. À chacune et chacun de voir ce qu’il veut y voir mais ce duo est diaboliquement conçu et interprété. Le chorégraphe ne rechigne pas à demander aux danseuses et aux danseurs de se mettre en danger pour des portés extrêmes et acrobatiques.
Chaque acte possède son propre univers scénographique et musical. Aux cercles de l’enfer se substitue un arbre géant dominant un univers urbain et dessiné sur un rideau rigide en diagonale. Le Purgatoire selon Wayne McGregor se définit comme un combat entre la nature et une civilisation prédatrice. Thomas Adès de son côté fait intervenir dans sa partition des enregistrements de chants en hébreu de la synagogue Ades – étrange homonyme – du nom des Juifs syriens exilés à Jérusalem. L’orchestre fait écho sur un registre symphonique à ses chants liturgiques et la danse se fait plus apaisée. Ce purgatoire distille peut-être une certaine morosité mais n’a rien d’insupportable. Cet épisode, le plus bref du ballet, se referme sur un pas de deux qui voit l’entrée en scène de Léonore Baulac. Après la soirée George Balanchine en début d’année, l’Étoile fait son retour de fort belle manière. Il n’y a pas de grandes difficultés techniques dans ce duo et on sait que Léonore Baulac excelle dans ce répertoire néo-classique. On attend avec gourmandise sa Manon aux côtés de Mathias Heymann. Paul Marque quant à lui parvient à nous capter du début à la fin alors qu’il reste durant de longues séquences sans rien à danser. On savait le remarquable danseur qu’il est. On découvre un acteur.
Deuxième entracte avant de rejoindre le Paradis qui nous entraîne dans un foisonnement sur fond d’écran aux couleurs irrésistibles qui déferlent du haut de la scène. La danse est de nouveau percutante, trépidante, déclinée sur des tempos de plus en plus rapide. Wayne McGregor est aujourd’hui l’un des plus fins utilisateurs de la technique de pointe et il n’est jamais meilleur que dans ce registre classique post-moderne. On sent dans ce bouillonnement qui émerge du plateau le plaisir de la compagnie à participer à cette création ambitieuse qui sollicite près de 80 danseuses et danseurs pour assurer deux distributions. Elle peut surprendre par sa construction peu orthodoxe. Elle ne s’épuise pas à la première vision et mérite de s’ancrer dans le répertoire. Le Royal Ballet programme The Dante Project la saison prochaine, trois ans après sa création. On attend que d’autres talents à l’Opéra de Paris s’emparent de l’oeuvre la plus enthousiasmante depuis….très longtemps !
The Dante Project de Wayne McGegor, sur une musique originale de Thomas Adès, par le Ballet de l’Opéra de Paris. Avec Paul Marque (Dante) Artus Raveau (Virgile), Léonore Baulac (Béatrice) et Guillaume Diop, Bleuenn Battistoni, Roxane Stojanov. Lundi 8 mai 2023 (matinée) au Palais Garnuer. À voir jusqu’au 31 mai.
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CM
Merci pour votre article qui m’éclaire. La musique est très intéressante en effet et je n’ai pas ressenti de longueurs alors que le ballet dure 3 heures! J’ai aussi été subjuguée par un jeune danseur dans l’acte 1 (particulièrement) Loup Marcault-Derouard que j’avais déjà également apprécié dans Pit. Sa danse est incroyable. Hâte de le retrouver dans d’autres ballets.
Lili
Pas la même distribution me concernant (Louvet), pas tout à fait le même ressenti…
Bien sûr c’est une oeuvre ambitieuse et réussie, mais pharaonique…
Les décors avec ces effets de lumières assez exceptionnels, la musique magnifique, et des solistes plutôt inspirés.
Par contre, passé le 1er acte vraiment riche, le reste… La vidéo avait un potentiel énorme mais ne sert qu’à projeter un genre de fond d’écran circulaire au 3e acte, le 2e est ennuyeux…
Bref, on a eu un beau concert (Bravo Mr Adès), on a vu l’ONP en belle forme,(malgré un soliste qui danse finalement très peu, marche beaucoup et bien que G. Louvet soit plutôt bon dans le rôle on était loin du magnétisme….) et un chorégraphe qui ne se moque pas de ses danseurs (mais ce n’est pas une surprise), mais l’émotion et l’envie de monter au Paradis avec ce ballet s’est arrêtée au 1er entracte…