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[Festival de Marseille 2023] Benjamin Kahn et Aina Alegre

Comme à son habitude, le Festival de Marseille a débuté par une belle immersion au cœur de la Citadelle de Marseille, l’un des lieux patrimoniaux de la cité phocéenne. Parades & désobéissances, la pièce de la chorégraphe Aina Alegre, a rassemblé une centaine de Marseillais et Marseillaises de tous âges pour un grand moment de liesse collective. Juste avant, à La Criée, la danseuse Cherish Menzo avait ouvert le ban avec Sorry, But I Feel Slightly Disidentified, le premier solo d’une trilogie du chorégraphe Benjamin Kahn initiée en 2019. Les deux autres pièces, Bless the sound that saved a witch like me dansée par Sati Veyrunes et The blue hour par Théo Aucremanne, créée à cette occasion, suivront durant cette 28e édition.

Parades & Désobéissances de Aina Alegre

Le Festival de Marseille a démarré le 17 juin, pour trois semaines de performances et spectacles éclectiques. Pour le premier jour, direction le Théâtre de La Criée. Dans le hall, sa silhouette fait baisser le ton des spectateurs et spectatrices intriguées par sa présence. La personne – impossible à ce moment-là de percevoir s’il s’agit d’un homme ou d’une femme – bouge imperceptiblement comme ces statues vivantes que l’on croise parfois dans les rues. Le visage dissimulé sous une cagoule noire opaque, gants blancs qui tranchent avec une explosion de couleurs, elle est revêtue d’une superposition de vêtements disparates, du tissu en wax au voile berbère. Elle commence à bouger tout doucement et se débarrasse progressivement de toutes les couches qui la recouvrent. Cette silhouette semblant étouffer sous le poids du folklore fournit d’emblée matière à réflexion.

Mais alors que nos pensées vagabondent, la silhouette quitte le hall, se délestant au fur et à mesure d’une pièce de tissu. Nous la suivons à la trace et la retrouvons dans la salle modulable, en scénographie tri-frontale, pour assister à une sorte de défilé revendicatif. Conçu par Benjamin Kahn pour et avec l’interprète et chorégraphe néerlandaise d’origine surinamaise Cherish Menzo, Sorry, But I Feel Slightly Disidentified est un portrait dansé qui interroge les préjugés sur les races, les sexes, le statut social, les cultures. Elle y déploie les facettes différentes d’une femme qui évolue sous le regard d’individus qui, inconsciemment ou pas, projettent des images auxquelles elle tente d’échapper. Elle brouille les pistes, essaye de s’affranchir de ces clichés qui l’enferment.

Ce solo est le premier d’une trilogie imaginée par Benjamin Khan en collaboration avec ses interprètes. Fort, perturbant, puissamment incarné, il se situe en prise directe avec des questionnements très actuels qui traversent la société et la danse contemporaine. Femme puissante qui se libère – et libère par la même occasion – les femmes de tous types de domination, Cherish Menzo ne s’excuse pas d’être là comme ironiquement le « Sorry » du titre le laisse présupposer. Elle avance, trace sa route, s’époumone contre les stéréotypes de genre ou de race. Tout son corps qui se contorsionne et résiste crie « non », avec une saisissante intensité.

Sorry, But I Feel Slightly Disidentified de Benjamin Kahn – Cherish Menzo

La Citadelle de Marseille n’est qu’à quelques centaines de mètres de la Criée. Il suffit de quelques minutes de marche pour rejoindre l’ancien édifice militaire classé monument historique, puis s’attaquer à l’ascension des marches avant d’être accueilli.e.s au son cristallin de clochettes par quelques-un.e.s des participant.e.s de Parades & Désobéissances. La chorégraphe Aina Alegre a eu l’opportunité de pouvoir créer cette pièce participative dans ce cadre longtemps fermé et qui rouvre progressivement au au public. Une centaine d’amateurs et d’amatrices a pris part à ce projet qui puise son inspiration dans les manifestations populaires dansées telles que les fêtes de village. Trait d’union entre eux : la couleur bleue qui  se décline en un t-shirt, un short, une jupette, quelques traits de maquillage…

Investissant ce lieu magique entre ciel et mer, chacun.e réinvente une façon d’être ensemble, de s’écouter, de s’ouvrir au rythme de l’autre. L’énergie qui émane d’eux est communicative et ressourçante. On saisit au passage un sourire radieux, un regard déterminé, un main qui se tend vers l’autre, un souffle qui s’accélère, un battement de cœur… Le plaisir de cette communauté dansante est beau à voir. Disséminés dans tout le bâtiment, ces danseuses et danseurs amateurs revivifient ce lieu en sommeil par leurs courses et leurs rondes. On a envie de les suivre, d’embarquer avec le groupe. Créé dans la continuité du Jour de la bête, une pièce d’Aina Alegre de 2017,  qui s’appuyait sur les rituels de célébration collective dans nos sociétés, Parades & Désobéissances célèbre la joie d’être ensemble dans une société qui s’individualise. Dans une ville comme Marseille, qui bouillonne de tant d’énergies plurielles, cette pièce a toute sa place.

Parades & Désobéissances de Aina Alegre

 

Parades & Désobéissances de Aina Alegre à la Citadelle de Marseille (Fort d’Entrecasteaux). Samedi 17 juin 2023.

Sorry, But I Feel Slightly Disidentified de Benjamin Kahn. Avec Cherish Menzo.  La Criée, Théâtre national de Marseille. Samedi 17 juin 2023.

Le Festival de Marseille se poursuit jusqu’au 9 juillet.

 



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