Messa da Requiem de Christian Spuck – Staatsballett de Berlin
Le Staatsballett de Berlin a terminé sa saison avec deux entrées prestigieuses au répertoire : l’iconique Sacre du Printemps de Pina Bausch et Messa da Requiem de Christian Spuck, le tout nouveau directeur de la compagnie. Venu de Zurich, il prend les rênes d’une troupe qu’il va profondément renouveler avec un répertoire plus contemporain. Et le chorégraphe allemand a fait une entrée fracassante avec ce Requiem de Verdi qui allie avec bonheur chant et danse pour cette messe des morts, sombre par essence mais d’une beauté saisissante. Christian Spuck signe un ballet puissant qui échappe à toute catégorisation mais avec l’ambition réussie de faire œuvre totale.
Christian Spuck est peu connu en France. Formé à Stuttgart, à l’école de John Cranko, il a fait ses classes dans l’apprentissage de la technique classique. C’est de là qu’il vient mais son parcours a aussi croisé Jan Lauwers ou Anne Teresa de Keersmaeker. Il a produit de nombreuses créations pour le Ballet de Stuttgart, le Ballet National de Norvège ou le Stanislavski de Moscou. Il s’est aussi aventuré du côté de l’opéra mais l’essentiel de son activité depuis dix ans était en Suisse, où il a dirigé le Ballet de l’Opéra de Zurich depuis 2012. Son mandat a été scandé par quelques succès publics et critiques, notamment la reconstruction du Lac des Cygnes par Alexeï Ratmansky. C’est pour cette compagnie qu’il avait créé Messa da Requiem il y a deux ans avec un grand succès critique et public. Il était donc tout naturel que ce soit sa première pièce pour le Staatsballett de Berlin, dont il prendra officiellement la direction en septembre.
Le Requiem de Verdi tient une part tout à fait spécifique dans le répertoire. C’est plus un oratorio et une réflexion métaphysique sur la mort. Christian Spuck, à l’instar de Giuseppe Verdi, est davantage intéressé par cet aspect que par la référence à une messe des morts. Même si l’on n’échappe pas dès l’ouverture du rideau à une vision crépusculaire. Immergé dans une scénographie saisissante, avec un plateau qui semble recouvert de pierre ou de sable et un écrin qui évoquerait davantage un sépulcre géant, on distingue deux groupes vêtus de noir alors que raisonne l’introït, l’ouverture du Requiem. Sur le mur du fond se débat une femme, image unique de la vie avant cette longue plongée dans la mort. La beauté des images sidère tout comme cette osmose réussie entre les solistes chanteurs, le chœur et les danseurs et danseuses. On discerne mal tout d’abord qui est qui, ce qui alimente la curiosité et l’attention du public, invité à voyager avec ces promeneurs inquiétants qui se mettent à bouger.
Car tout le monde danse dans ce Requiem. Chanteurs et choristes se mêlent aux artistes du Ballet avant que ces derniers prennent possession de la scène. Entre chaque solo chanté, Christian Spuck imagine des ensembles résolument expressionnistes, sollicitant les bras dans toutes les positions possibles comme le point d’équilibre des corps. Son vocabulaire ne surprend pas : Christian Spuck n’invente pas un geste nouveau. En revanche, il sait construire son ballet en utilisant toute la palette stylistique à sa disposition. La danse se fait contemporaine lors de longs passages au sol et puis revient subrepticement à un phrasé classique dans des pas de deux sur pointes. La plus grande réussite de ce Requiem reste cependant la fluidité idéale du récit. Christian Spuck utilise le chœur comme un corps de ballet quand il se met à bouger en vagues géantes. Les chanteuses et chanteurs solistes sont tout autant actrices et acteurs et se mélangent aux danseuses et aux danseurs, quand on aurait pu redouter que tout cela soit artificiel. Le travail collectif du Chœur de la Radio de Berlin, des quatre solistes et de la compagnie est splendide. C’est la clef de la réussite de ce Requiem qui est déjà entré au répertoire de plusieurs compagnies et qui sera repris la saison prochaine à Berlin.
Messa da Requiem marque la signature de Christian Spuck pour son arrivée dans la capitale allemande. Le Ballet de Berlin n’a pas été épargné en secousses diverses ces dernières saisons. Les directions successives depuis le départ de Vladimir Malakhov en 2014 n’ont jamais réussi à développer un projet artistique cohérent à long terme. Cela n’a nullement empêché la compagnie de briller, avec ses stars internationales – Polina Semionova ou Iana Salenko – et quelques productions mémorables : La Bayadère d’Alexeï Ratmansky, la Belle au Bois Dormant de Marcia Haydée, Casse-Noisette de Yuri Burlaka et Vasily Medvedev. La troupe a ainsi maintenu très haut les standards de la danse classique appuyée par des solistes exceptionnels. Le répertoire s’est aussi enrichi de chorégraphes contemporains importants tels que Sharon Eyal et Mats Ek.
La question est de savoir quel sera désormais le cap de la troupe berlinoise. Ce Requiem est de bon augure quant à la qualité du travail du nouveau directeur. Mais la saison prochaine fait déjà moins de place aux ballets classiques. Plus d’une vingtaine de danseuses et de danseurs quittent la compagnie, dont la star Daniil Simkin ou des piliers comme Marian Walter et Dinu Tamazlacaru. Le bilan de cette saison est remarquable, avec un remplissage de 93% et des soirées sold-out, notamment Le Sacre du Printemps de Pina Bausch et Le Lac des Cygnes de Patrice Bart. La saison à venir sera décisive pour l’avenir de la compagnie et nous en dira davantage sur les intentions de Christian Spuck pour l’une des plus importantes troupes classiques allemandes.
Messa da Requiem de Christian Spuck, sur le Requiem de Verdi. Avec le Chœur de la Radio de Berlin et le Staatsballett de Berlin. Mardi 19 juin 2023 à la Salle du Deutsche Oper de Berlin. À voir du 9 juin au 9 juillet 2024.