[Festival d’Alba-la-Romaine 2023] Cirque exalté, Duo Bonito, Compagnie Majordome…
Il y a des étapes que l’on ne manquerait pas dans l’agenda estival. Le Festival du cirque d’Alba-la-Romaine, emmené par le Pôle National du Cirque La Cascade, en fait partie. La programmation y est toujours populaire sans oublier l’exigence, les troupes installées côtoient de jeunes talents que l’on se plaît à découvrir. Et puis c’est une ambiance : un village qui bat au cœur du cirque le temps d’une semaine, un état d’esprit rassembleur et fédérateur symbolisé par le Carbunica, bar/lieu de vie/salle de spectacles/espace de rencontres. Pour ce cru 2023, le Cirque Exaltée a proposé un grand moment d’énergie salvatrice avec Foutoir céleste, le Duo Bonito a séduit par son spectacle music-hall teinté d’humour et de poésie, les femmes de Das Arnak ont été percutantes sous la chaleur écrasante tandis que la compagnie Majordome étonnait avec un solo absurde et drôlement poétique. 24 heures réjouissantes.
C’est un petit pont en contrebas du village d’Alba-la-Romaine, en Ardèche. Le parapet recouvert de cordes rouges, surmonté de rubans de toutes les couleurs, est comme un passage nous amenant dans un lieu un peu particulier. En l’occurrence le Carbunica – nom d’une vigne cultivée sur place sous l’Antiquité – vaste de lieu de rassemblement monté de toutes pièces chaque année pour le Festival du cirque d’Alba-la-Romaine. On y trouve un chapiteau, des petites scènes, un praticable pour s’initier au trapèze volant ou de multiples tables installées sous les arbres, pour mêler publics et artistes après les spectacles. D’autres lieux de représentations sont disséminés à quelques minutes de marche : le Théâtre antique bien sûr, aussi le Théâtre de la Roche également en plein air, la Place du Château au coeur du village ou la cour de l’école. Tous indiqués par cette même cordelette rouge, fil d’ariane guidant spectateurs et spectatrices à travers la campagne ou le long des maisons en pierres.
Mené par La Cascade, le Pôle National du Cirque Ardèche-Auvergne-Rhône-Alpes, le Festival du Cirque d’Alba-la-Romaine a ainsi autant à coeur d’être un lieu de rassemblement et de partage que de proposer une programmation de qualité, à la fois exigeante et vraiment populaire. Son directeur Alain Reynaud veille à la belle représentation de spectacles accueillis en résidence et/ou co-produit par La Cascade. C’est ainsi le cas du spectacle Foutoir céleste du Cirque exalté. Plus exactement, je m’étais dirigée vers le Théâtre Antique pour le Collectif TBTF et son Brèves Tempêtes, mais l’orage s’est déversé une fois tout le monde assis, juste avant le début du spectacle. Parapluie, course pour se mettre à l’abri et spectacle annulé, les aléas des festivals en plein air. Mais j’ai pu trouver refuge au chapiteau du Cirque exalté, pour son spectacle Foutoir céleste qui tourne depuis 2022.
Il y a d’emblée une simplicité qui se dégage des sept artistes en scène. Une scène brute, pas de décors, des costumes simples. Si ce n’est la cape de coyote du cycliste fonçant à toute allure derrière le public. Nous sommes ici à une rencontre, un rite, une transe presque. « Une célébration de l’incertitude et du risque, pour se rappeler de ne jamais, ô grand jamais, tout céder à la sécurité« . Pas de témérité crâneuse en scène, mais sept artistes – acrobate, trapéziste, danseuse – qui veulent se dépasser, chercher le moment d’apesanteur, cet envol un peu plus fort et grisant. Qui ne se fait qu’avec les autres, avec leur appui, leur regard. Il y a souvent des moments seul en scène, et pourtant ce spectacle est une formidable œuvre collective. Avec une mise en scène ciselée signée de Sara Desprez, doublée d’une véritable écriture chorégraphique, le groupe se soude, fait corps. Et naît petit à petit de ce qui est parfois chaotique, une énergie formidable et salvatrice comme de joie pure d’être ensemble. Le tonnerre gronde, la pluie s’abat avec un bruit assourdissant sur le toit du chapiteau. Debout sur son trapèze à quelques mètres du sol, Sara Desprez semble suspendre le temps quelques secondes, avant de replonger dans le vertige. Tout se termine dans une tornade, une furie joyeuse, calmée par l’apparition au dernier tour de piste d’une petite fille toute blonde, coiffée de la même fourrure de coyote. Ou la candeur de l’enfance qui semble apaiser tout le monde. Foutoir céleste dit tout du long l’importance de se serrer les coudes, du plaisir de prendre des risques. Et fait naître un profond, puissance et salvateur sentiment d’exutoire, qui fait un bien fou.
Un peu plus tard dans la soirée, les nuages se sont dissipés et le Duo Bonito peut prendre place au Théâtre de la Roche sous les étoiles pour son Comedia Bonita. Une sorte d’ovni absolument inclassable mais qui n’en est pas moins savoureux. On navigue entre le théâtre, le music-hall, le one-woman-show, le concert et l’art clownesque. Elle est espagnole, il est français, ils ont un chien et ils s’aiment depuis vingt ans. Sur leurs propres chansons, ils nous racontent leur histoire d’amour. C’est réjouissant, inventif, profondément attachant. C’est grinçant aussi, savoureux souvent, facétieux, parfois la larme à l’œil. Et c’est au final un spectacle drôlement séduisant, au fin travail musical, qui mêle plein de choses et ne ressemble à aucune proposition.
Plus tôt dans la journée, la Compagnie Majordome avait investi la cour de l’école d’Alba-la-Romaine avec son solo de jonglage À tiroirs ouverts. Sur la scène minuscule, quelques tréteaux de bois, un bureau, une clarinette, une poubelle et un tabouret. Au départ, Quentin Brevet – l’auteur et acteur de ce spectacle – démarre comme un clown ordinaire si l’on peut dire : en se prenant les pieds dans le tapis. Le début est un peu convenu. Mais au fur et à mesure, le jongleur trouve le ton, parle à ses balles, surprend, joue avec le public ou la cloche sonnant 15h30. C’est à la fois d’une grande virtuosité, quand les balles passent du tabouret au bureau, frappent un tréteau, dévient et finissent comme miraculeusement dans la poubelle. C’est aussi d’une belle inventivité, sachant nous amener dans un univers un peu à part, un peu absurde, un peu mélancolique aussi d’un homme face à sa solitude. Le travail du bruitage, mêlant boucles sonores et musique, est réalisé avec beaucoup de justesse. Bref, une jolie surprise et une belle découverte.
À l’image de de Bakana de la compagnie Das Arnak, vue sur la place du village sous une chaleur écrasante, dernier spectacle avant de repartir. Excusez par avant l’anglicisme, mais « Badass » est bien le premier adjectif qui me vient à l’esprit pour qualifier ces trois circassiennes mêlant danse, mât chinois… et capilotraction (retenues en l’air par un filin attaché à leur chignon). Pas de discours ou de revendication explicite. Mais implicitement une vraie revendication féminisme, où la sororité est à sa base. Avec en scène trois jeunes femmes bien de leur temps, qui n’ont peur de rien, s’élancent et prennent des risques sans jamais avoir envie de « faire jolie ». Qu’elles sont belles pourtant, ces trois artistes accrochées à leur mât, s’envolant dans les airs, narguant le public, défiant le soleil écrasant. Et percutant tout le monde par leur virtuosité, leur tempérament tout feu tout flammes, leur puissance assumée. Une troupe à suivre et une belle façon de terminer un festival comme on les aime.
Festival de cirque d’Alba-la-Romaine
Foutoir céleste du Cirque Exalté de Sara Desprez (écrire et mise en scène) et Angelos Matsakis (écriture), avec Jonathan Charlet, Maria Paz Marciano, Matthieu Bonnecuelle, Sara Desprez, Angelos Matsakis, Maria Jesus Penjean Puig et Marin Garnier. Mercredi 12 juillet 2023 au Chapiteau du Carbu. À voir en tournée lors de la saison 2023-2024, du 15 au 24 septembre au Village de Cirque à Paris…
Comedia Bonita du Duo Bonito, de Raquel Esteve Mora et Nicolas Bernard (auteurs compositeurs interprètes clowns, écriture et dramaturgie), Johan Lescop (écriture, dramaturgie et mise en scène) et Françoise Fognini (écriture, dramaturgie), avec Raquel Esteve Mora et Nicolas Bernard.Mercredi 12 juillet 2023 au Théâtre de la Roche. À voir du 29 juillet au 29 septembre dans la Drôme et le Vaucluse.
À Tiroirs ouverts de la Compagnie Majordome, de et avec Quentin Brevet, mise en scène Johan Lescop, musique Jérémy Ravoux et Luc Birraux. Mercredi 12 juillet 2023 dans la cour de l’école d’Alba-la-Romaine. À voir en tournée durant toute la saison 2023-2024.
Bakana de Das Arnak, de et avec Claire Auzanneau, Cathrine Nielsen, Frida Ocampo. Jeudi 13 juillet 2023 sur la Place du Château d’Alba-la-Romaine. À suivre sur leur compte Instagram.
La Cascade, le Pôle National du Cirque Ardèche-Auvergne-Rhône-Alpes, propose toute l’année de nombreux rendez-vous publics.