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On achève bien les chevaux – Ballet du Rhin et La compagnie des petits Champs

Présentée en « première mondiale » dans le cadre du festival d’été de Châteauvallon, devant un amphithéâtre de 1.200 places plein à craquer, On achève bien les chevaux réunit les 32 danseurs et danseuses du Ballet de l’Opéra du Rhin et les huit comédiens et comédiennes de la Compagnie des Petits Champs. Basée sur le célèbre roman d’Horace McCoy paru en 1935, cette adaptation signée par le chorégraphe Bruno Bouché et les comédiens et metteurs en scène Clément Hervieu-Léger et Daniel San Pedro met un coup de projecteur sur les tristement célèbres marathons de danse qui ont sévi aux États-Unis dans les années 1920-1930. Un peu perturbée par une averse bien drue qui a généré une interruption d’une vingtaine de minutes, cette première a malgré tout révélé une pièce qui va bien au-delà de la documentation d’un phénomène historique, en questionnant la précarité et la vulnérabilité de l’artiste quelles que soient les époques.

On achève bien les chevaux – Ballet de l’Opéra du Rhin et La Compagnie des Petits Champs.

États-Unis, dans les années 1930. Le pays vit la Grande Dépression, à la suite du krach boursier. Poussés par le chômage et la misère, des hommes et des femmes se jettent à corps perdus dans des marathons de danse, attirés par la promesse des primes proposées aux vainqueurs. Le jeune Robert (l’ex-Danseur Étoile Josua Hoffalt qu’on a plaisir à retrouver sur scène) pousse la porte d’un de ces immenses hangars transformés en piste de danse. Il y fait la connaissance de Gloria, une comédienne ratée à la dérive qui devient sa partenaire de compétition. Avec d’autres couples, ils vont tout mettre en œuvre pour tenir le coup et être le tandem qui empochera l’argent, voire se fera repérer par des producteurs venus incognito dans le public.

Avec un tel argument, il est étonnant que ce roman à succès, adapté en 1969 au cinéma par Sydney Pollack, n’ait pas davantage été porté au plateau (il l’a été bien sûr, notamment par Robert Hossein il y a une vingtaine d’années). D’où l’attente que cette adaptation a suscité. Revenant au texte, le chorégraphe Bruno Bouché, les comédiens et metteurs en scène Clément Hervieu-Léger et Daniel San Pedro se sont emparés de ce sujet, en décidant de mêler danse et théâtre, en faisant travailler ensemble danseur-se-s et comédien-ne-s. Repousser au maximum ses propres forces physiques, danser ou jouer jusqu’à l’épuisement, des questionnements qui parlent à chaque interprète. Toutes et tous se glissent avec conviction dans la peau de ces amateurs jusqu’au-boutistes, n’ayant rien à perdre, et à qui on va tout prendre, jusqu’à leur dignité.

On achève bien les chevaux – Ballet de l’Opéra du Rhin et La Compagnie des Petits Champs.

Le trio se saisit du récit de Horace McCoy, violente dénonciation du fameux rêve américain, sur ses laissés-pour-compte d’une Amérique gangrénée par la pauvreté, en le déconnectant en partie de son contexte. Il met en scène des êtres qui progressivement se laissent prendre par une mécanique déshumanisante, prêts à tout pour gagner une poignée de dollars, quitte à mettre leur santé, voire leur vie, en danger. Découpée en longs plans-séquences chorégraphiques aux identités très distinctes dans lesquels s’incorporent quelques dialogues, la pièce montre la brutalité de ces marathons mortifères qui vident les êtres de toute vitalité, les muent en zombies dans une course vers une victoire aussi vaine que pathétique. La fatigue se lit sur les corps qui ralentissent, sur les visages qui grimacent et se tordent au fur et à mesure des paliers successifs de ce marathon live. Soit 63 jours et 1.500 heures de danse condensés en 1h25.

Drame intemporel – à ce titre la bande-son interprétée par quatre musiciens au plateau constitue un très habile voyage à travers les époques – cette version d’On achève bien les chevaux entend aussi dénoncer une société du spectacle qui broie les individus les plus fragiles, notamment les artistes. La puissance dramatique est intacte, à travers le croisement des différentes intrigues : le déroulement du marathon en lui-même et les itinéraires de quelques-un.e.s des participant.es. Parmi eux, Muriel Zusperreguy (on a aussi plaisir à retrouver l’ancienne Première Danseuse du ballet de l’Opéra de Paris) se révèle très convaincante et attachante dans le rôle de Jackie.  Quant au public, régulièrement interpelé par Socks (joué par Daniel San Pedro), l’animateur et directeur du marathon, il se sent à la fois complice et voyeur, parfois jusqu’au malaise, de ces jeux du cirque des temps modernes. 

On achève bien les chevaux – Ballet de l’Opéra du Rhin et La Compagnie des Petits Champs.

Présentée dans l’écrin de verdure magique du Festival de Châteauvallon, cette première a subi les aléas du spectacle vivant en plein air. Interrompue une vingtaine de minutes à la suite d’une averse bien drue, la pièce a repris. Dans ce genre de circonstances, il n’est aisé ni pour les interprètes, ni pour le public de se remettre en selle, pour reprendre le cours de l’histoire là où elle s’était arrêtée. Ne pas trop penser à ce sol encore un peu glissant qui pourrait causer des blessures. Évacuer l’appréhension, endosser de nouveau le costume de son personnage. Respect aux interprètes d’avoir assuré malgré cet intermède.

À l’issue du spectacle, les coussins prêtés aux spectateurs et spectatrices pour leur apporter un petit confort volent jusqu’à la scène en marque d’affection. Je suis curieuse de voir comment mûrira cette pièce. Indépendamment des considérations météorologiques, on peut se demander si un théâtre de plein air était la bonne salle pour roder ce spectacle. Une autre configuration scénique accroîtrait sans doute le caractère oppressant du huis-clos de ces marathons qui emprisonnaient les candidat-e-s et le public. Une chose est sûre : en pleine crise financière, dans une société médiatique où certaines émissions de télé-réalité banalisent une certaine forme de violence et de maltraitance, cette pièce résonne toujours avec une profonde actualité.

On achève bien les chevaux – Ballet de l’Opéra national du Rhin et La Compagnie des Petits Champs.

On achève bien les chevaux de Bruno Bouché, Clément Hervieu-Léger et Daniel San Pedro (adaptation, mise en scène et chorégraphie) par le Ballet de l’Opéra du Rhin et La Compagnie des Petits Champs.  Avec Luca Besse (Rollo), Stéphane Facco (Rocky), Daniel San Pedro (Socks), Marin Delavaud (James), Juliette Léger (Ruby), Pierre Doncq (Mario), Muriel Zusperreguy (Jackie), Louis Berthélémy (Freddy), Deia Cabalé (Rosemary), Clémence Boué (Gloria), Josua Hoffalt (Robert), Julia Weiss (Mattie) et Claude Agrafeil (Madame Highbi) et Audrey Becker & Hénoc Waysenson, Susie Buisson & Jean-Philippe Rivière, Noemi Coin & Erwan Jeammot, Ana Karina Eenriquez Gonzalez & Pierre-Émile Lemieux-Venne, Brett Fukuda & Miquel Lozano, Di He & Rubén Julliard, Marta Dias & Jesse Lyon, Nirina Olivier & Avery Reiners, Leonora Nummi & Cedric Rupp, Alice Pernão & Cauê Frias, Julia Weiss & Marwik Schmitt, Dongting Xing & Ryo Shimizu, Lara Wolter & Alain Trividic (les concurrents). Jeudi 6 juillet 2023 au Festival d’été de Châteauvallon.

À voir les 9 et 10 septembre à Bayonne dans le cadre du Festival Le Temps d’aimer la danse, les 16 et 17 septembre à Paris, Gymnase Japy, dans le cadre des Journées européennes du Patrimoine et des Olympiades culturelles, du 15 au 21 novembre 2023 à la Maison de la Danse à LyonAutres dates de tournée sur le site de l’Opéra national du Rhin.

Le festival d’été de Châteauvallon continue jusqu’au 26 juillet.

 



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