Les Plumes d’or de la saison 2022-2023 sont attribuées à…
La saison 2022-2023 est terminée ! Alors que retenir de ces derniers mois écoulés ? Spectacles coups de cœur, interprètes marquant-e-s, révélations… Le meilleur (et parfois le pire) de la saison Danse avec les Plumes d’or 2022-2023 de la rédaction.
Les Plumes d’or d’Amélie Bertrand
Plumes d’or du spectacle de ballet – La Belle au bois dormant de Frederick Ashton d’après Marius Petipa par le Royal Ballet de Londres. De la fantastique Marianela Núñez à son formidable partenaire Vadim Muntagirov, de la production soignée à la chorégraphie vivante, du plus grand des rôles au dernier des figurants : tout était exceptionnel. Tout.
Plume d’or spectacle contemporain – Black lights de Mathilde Monnier. L’uppercut de cet été, et de toute cette saison. Un spectacle engagé et puissant, sensible, subtil et percutant. À voir et à revoir alors que la lutte contre les violences sexistes et sexuelles est si privée de moyens.
Plume d’or du spectacle de cirque – Foutoir céleste du Cirque Exalté. Découvert à Circa, revu à Alba-la-Romaine avec plus de liant. Une belle écriture, une troupe unie, quelque chose de profondément exutoire et d’attachant tout à la fois.
Plume d’or du ballet intemporel – Giselle ! Cinq version très différentes ont traversé la saison : la belle production de Carla Fracci au Ballet de Rome avec la sublimissime prestation de Natalia Ossipova, celle du Ballet de l’Opéra d’Ukraine portant la Culture en temps de guerre, la puissante et inoubliable version d’Akram Khan, la relecture aux accents féministes de Martin Chaix et l’ovni théâtral Giselle… de François Gremaud et Samantha van Wissen. Que ce soit dans sa version traditionnelle ou moderne, ce ballet ne cesse d’interroger et de toucher au cœur.
Plumes d’or des créations classiques – Les deux portées par le Royal Ballet et découvertes ailleurs. The Dante Project de Wayne McGregor fut ainsi la création la plus passionnante vue depuis bien longtemps à l’Opéra de Paris, et sûrement la série la plus intéressante de la saison. Light of Passage de Crystal Pite au Ballet National de Norvège révéla une autre facette de la chorégraphe et une œuvre entière. Deux pièces riches et ambitieuses.
Plume d’or de l’interprète masculin – Mathieu Ganio en Prince Rodolphe dans Mayerling de Kenneth MacMillan. Le rôle de sa vie et une performance qui justifie à elle seule l’entrée au répertoire à Paris de ce ballet.
Plume d’or de l’interprète féminine – J’ai eu la chance de voir cette saison les plus grandes ballerines de leur génération, et souvent dans leur rôle emblématique. Olga Smirova en Odette/Odile, Natalia Ossipova en Giselle, Marianela Núñez en Aurore, Myriam Ould-Braham en Odette/Odile et Manon, Tamara en Giselle (Akram Khan). Je ne peux choisir.
Plume d’or de la révélation – Le Ballet BC, dynamique compagnie contemporaine canadienne dirigée par le français Medhi Walerski. Des interprètes affûtés, un superbe programme dominé par l’époustouflant The Statement de Crystal Pite, une belle ambiance de troupe : à quand une prochaine tournée ? Également nommée : Bleuenn Battistoni qui aborde chaque nouveau rôle avec brio depuis sa promotion de Première danseuse.
Plume d’or du retour en force – Benjamin Millepied. On n’a vu que lui depuis le mois de mai. Et son duo Unstill Life avec Alexandre Tharaud fut la jolie surprise de l’été.
Plume d’or du Plouf – Le départ de l’Opéra de François Alu.
Plume d’or des encouragements – Les Ballets de région qui se démènent pour continuer à proposer de magnifiques saisons contre vents et marées. Mention spéciale pour le Ballet de Lorraine toujours surprenant aux prises à des baisses de subvention, et le Ballet de l’Opéra de Bordeaux vraiment épatant dans son Don Quichotte de fin de saison.
Plume d’or du raté – Prophétique (on est déjà né.es) de Nadia Beugré. Une heure de vulgarités se voulant transgressives mais qui ne le sont plus depuis longtemps pour conclure qu’une femme est quelqu’un avec des cheveux longs et des chaussures à talons. Dépasse en vacuité La Belle au bois dormant de Marcos Morau qui pourtant avait mis la barre haute (les coups de cœur n’ont de pleine valeur que s’il y a aussi des coups de gueule).
Plume d’or du gala – Celui des 50 ans du Prix de Lausanne. Trois heures de danse de haute volée, des interprètes exceptionnels et une programmation faisant sens à tous les niveaux avec l’histoire du Prix. Le plus beau gala de ces dix dernières années. Et des dix prochaines à venir.
Plume d’or de l’inventivité poétique – Du bout des doigts de Gabriella Iacono et Grégory Grosjean, petit bijou vu à la Maison de la Danse.
Plume d’or de la soirée où il fallait en être – Le Gala hommage à Patrick Dupond de l’Opéra de Paris. L’on n’avait pas vu autant de Balletomanes réunis lors de la même soirée depuis au moins quatre ans. Le gala du renouveau ? Peut-être bien.
Plume d’or de la danse sur écran – La saison 2 de L’Opéra de Cécile Ducrocq et Benjamin Adam. Pour le carambolage croustillant entre fiction et réalité, surtout pour la qualité d’écriture d’une saison traitant avec justesse d’un sujet si difficile à aborder : le harcèlement moral dans le monde de la danse.
Plume d’or du mercato géant – L’ensemble du monde de la danse française qui a mis une belle énergie pour décrocher ce prix avec de nombreuses nouvelles directions. Changement au Ballet de l’Opéra de Paris et fin (enfin !) du drama, changement au Ballet de l’Opéra de Lyon en toute discrétion, changement au Ballet du Capitole de façon plus mouvementée, changement à la tête des études chorégraphiques des deux CNSMD et changement effectif à la Maison de la Danse. Un beau rebond après le Covid ? On l’espère.
Les Plumes d’or de Jean-Frédéric Saumont
Plume d’or de la meilleure danseuse – Sa nomination n’aura guère étonné la balletosphère : Hannah O’Neill tient ce rang d’Étoile virtuellement depuis plusieurs saisons ! La seule surprise fut la décision de José Martinez de lui octroyer ce titre lors de sa première saison mais le nouveau directeur de la danse de l’Opéra de Paris connaît la maison et ses artistes sur le bout des doigts. La danseuse étincela dans le programme George Balanchine, s’aventura avec bonheur dans Signes de Carolyn Carlson. Il lui fallut attendre huit ans avant d’obtenir le titre d’étoile. C’est trop au regard de son talent mais à 30 ans, elle a encore tout le temps pour rattraper les années perdues. Sa nomination est l’une des meilleures nouvelles de la saison.
Plume d’or du meilleur danseur – Ce n’est pas à la quantité de ses représentations – 6 au total ! – que l’on peut distinguer Mathias Heymann, qui ne fut présent que tardivement au printemps pour un retour que l’on n’attendait plus. Il fallut presque le forcer à monter sur la redoutable table rouge du Boléro. On avait un peu peur après une si longue absence mais il délivra une danse au zénith. Seul danseur masculin ayant déjà dansé le rôle, il offrit un Boléro moins athlétique mais plus intérieur. Sa prise de rôle en Des Grieux finissait de nous rassurer sur la forme de ce danseur lyrique. Avec ses lignes superbes, il a démontré qu’il était un artiste exceptionnel et celui sans doute qui sait le mieux exprimer toutes les nuances psychologiques d’un rôle aussi exigeant dramatiquement. La saison prochaine lui convient à merveille, on trépigne d’impatience de le retrouver en pleine possession de ses moyens à la rentrée.
Plume d’or du chorégraphe – Wayne McGregor est revenu à l’Opéra de Paris avec une production coûteuse et ambitieuse coproduite avec le Royal Ballet qui en eut la primeur : The Dante Project. Et le chorégraphe britannique démontre que l’on peut bien créer de toutes pièces de longs ballets thématiques en se fondant sur la technique classique, avec de surcroît une superbe partition originale. C’est suffisamment rare à l’Opéra de Paris pour être salué. Les interprètes ont relevé le défi avec courage : Germain Louvet et Paul Marque ont été splendides dans le rôle-titre et ce fut aussi l’occasion de revoir sur scène Irek Mukhamedov incarnat Virgile. The Dante Project ne s’épuise pas à la première vision. Il offre une quantité de rôles et on espère qu’une reprise sera programmée lors des prochaines saisons.
Plume d’or de la révélation – Ils sont déjà nombreux et nombreuses à l’avoir découverte. Claudine Colozzi nous avait alertés la saison dernière mais comme il est difficile de tout voir, Leïla Ka avait échappé à mes radars. Quel choc ! Voilà une danseuse et chorégraphe qui nous emporte dans ses récits singuliers avec un style qui n’appartient qu’à elle, racontant des histoires de femmes bouleversantes. Si vous l’avez comme moi ratée trop longtemps, on peut voir son travail en replay sur Arte. Elle est l’une des huit chorégraphes sollicité-e-s par la chaîne franco-allemande pour célébrer Picasso. Leïla Ka a choisi la période du cubisme avec le tableau Les deux sœurs pour écrire ce qui est encore une superbe histoire de femmes. Elle sera artiste associée au 104 l’an prochain avec une création. Prenez vos places !
Plume d’or du… drama – Ce fut une Annus horribilis pour le leadership de trois grandes compagnies françaises de ballet. Après la démission brutale d’Aurélie Dupont, la compagnie débuta la saison sans chef à bord. Mais l’arrivée de José Martinez a été unanimement saluée, la maison est entre de bonnes mains. Puis c’est de Lyon qu’est venu le second choc avec le départ prématuré de Julie Guibert qui n’a jamais réussi à s’imposer. Son successeur, Cédric Andrieux saura sans doute retrouver une cohésion et un répertoire plus adapté à la compagnie lyonnaise. Le plus grand bouleversement fut l’éviction du jour au lendemain de Kader Belarbi du Ballet du Capitole. Son bilan artistique est incontestable. Mais ses rapports avec une partie des artistes et ses méthodes de direction ont été contestés par certains. Et l’enquête interne qui a suivi a amené à son licenciement. On sait ici fort peu de choses sur Beate Vollack qui le remplace. Elle aura fort peu de temps pour s’accoutumer et prendre les rênes d’une compagnie divisée après le départ de Kader Belarbi. On ne peut que lui souhaiter de réussir.
Les Plumes d’or de Claudine Colozzi
Plume d’or du spectacle – Giselle d’Akram Khan. L’attente de voir ce ballet dansé par l’English National Ballet dont la venue en France a été maintes fois reportée en raison de la pandémie a décuplé ma joie de le découvrir enfin. Et cette Giselle d’Akram Khan, magnifique revisite, a été une claque. J’y ai retrouvé certaines obsessions du chorégraphe. Le personnage de Giselle y est densifié. La danseuse Tamara Rojo, qui l’a choisi pour ses adieux à la scène à 48 ans, y est impressionnante. Toute candeur a disparu. Ne reste que la noirceur.
Plume d’or de l’interprète féminine – Samantha Van Wissen. Grâce à la performance de cette magnifique conteuse-danseuse, Giselle… (encore elle !) prend vie sous nos yeux accompagnée d’un sous-texte qui éclaire l’œuvre intelligemment. François Gremaud a visé juste en lui confiant ce rôle. Elle nous ouvre des portes sur l’acte de danser, sur la place de l’interprète, sur la façon de restituer une histoire sur laquelle le temps n’a pas de prise.
Plume d’or de l’interprète masculin – Mathias Heymann. Quelle joie de retrouver ce beau danseur. Ce Boléro à Bastille un samedi soir du mois de mai restera un grand souvenir de cette saison. C’est fou le pouvoir cathartique de cette œuvre pour les artistes ! Le Danseur Étoile est de retour et j’ai hâte de le retrouver, ne l’ayant pas vu dans L’Histoire de Manon, la saison prochaine.
Plume d’or du chorégraphe – Marco Da Silva Ferreira. Parmi les temps forts de la 22e Biennale de danse du Val-de-Marne, il y a eu la découverte de ce chorégraphe à côté duquel j’étais passée jusqu’à présent. À 36 ans, ce chorégraphe portugais est l’un des artistes chorégraphiques les plus intrigants du moment. Avec Carcass, il déboule avec une pièce très réussie par son propos et par une écriture métissée très personnelle. Un de mes coups de cœur de cette saison.
Plume d’or du documentaire – Graines d’étoiles. Après avoir partagé leur apprentissage en 2013, puis leurs débuts professionnels cinq ans plus tard, la réalisatrice Françoise Marie a retrouvé ses Graines d’étoiles pour un ultime volet intitulé « Les années de maturité ». « Dès nos premières rencontres, la force intérieure de certains m’a fascinée, m’a-t-elle confié. C’est émouvant de voir combien il y a dix ans leur personnalité et leur sensibilité étaient déjà affirmées. » Très émouvant en effet de suivre la trajectoire de Roxane Stojanov, Antonio Conforti (les deux chouchous de ma fille depuis qu’elle a découvert la série !) ou Awa Joannais. Ce travail documentaire a marqué, et continuera de marquer à coup sûr, beaucoup de jeunes danseuses et danseurs.
Plume d’or des adieux les plus émouvants – Alice Renavand. Un an après s’être blessée lors de ses premiers adieux, la Danseuse Étoile est remontée sur scène pour de seconds adieux dans le Boléro, événement inédit dans l’histoire de la compagnie. À quelque chose malheur est bon, ne pouvait-on s’empêcher de penser à l’idée de la découvrir avec cette prise de rôle inattendue dans ce ballet iconique. Et tout le public de l’Opéra Bastille, moi y compris, a semblé faire corps autour de la fameuse table rouge pour l’accompagner l’Étoile dans ce moment suspendu.
Plume d’or de la prise de fonction réussie – José Martinez. On ne l’attendait pas et en quelques mois, il a su s’imposer comme Directeur de la Danse de cette maison à laquelle il est si attaché. Etats de grâce des premiers mois de mandat ? Intelligence de situation face à un Ballet de l’Opéra de Paris qui a besoin de retrouver confiance en sa direction ? Je ne me risquerais pas ici à une analyse trop partielle. Une chose est sûre : José Martinez a compris qu’il fallait poser très vite des actes forts (nomination d’Étoiles, réintroduction de ballets classiques la saison prochaine…) et communiquer sur son projet. Deux bons points assurément ! Attendons de voir la saison prochaine.
Plume d’or de la reprise – Necesito, pièce pour Grenade de Dominique Bagouet par l’Ensemble chorégraphique du CNSMDP. Une superbe reprise menée par Rita Cioffi, une des interprètes d’origine de la pièce. Au-delà d’avoir accueilli ce travail et de s’en être saisis avec beaucoup d’intelligence, ces jeunes danseuses et danseurs en master « Danseur interprète répertoire et création », pas nés à la création de la pièce, repartent sans doute profondément nourris de ce kaléidoscope de mouvements. Et moi, qui ressort parfois terriblement frustrée de pièces chorégraphiques où les interprètes dansent si peu, quel bonheur de redécouvrir cette œuvre où la danse est sublimée à ce point.
Plume d’or du travail de recherche qui se dévore comme un roman – Marie Taglioni. Étoile du ballet romantique de Chloé d’Arcy. Quel coup de cœur que cet ouvrage dont l’érudition n’a d’égal que l’amour de la danse qui s’en dégage. Là où l’ouvrage se révèle passionnant c’est lorsqu’il montre comment la célébrité de la célèbre danseuse s’est construite, comment elle est devenue une « star » à laquelle on vouait un véritable culte alors même que ce terme pourrait sembler complètement anachronique, les liens qu’elle entretenait avec son public. Une réflexion d’autant plus fascinante quand on la juxtapose avec ce qui se passe aujourd’hui sur les réseaux sociaux et la balletomanie !